Au coeur de la Bretagne, la ville de Rennes dispose d’une solide industrie créative. Animation 2D et stop-motion, en particulier, sont historiquement des spécialités locales. Plusieurs projets en cours promettent de renforcer les studios déjà sur place. Avec une position de challenger face à Angoulême ou Montpellier, la métropole compte bien poursuivre son essor.
François-Xavier Jullien, qui travaille pour la métropole rennaise, a bien voulu faire un point avec nous sur les grands enjeux actuels. Avec notamment un « Quartier de la Création » qui donnera un élan de vitalité à l’industrie créative de la région, un point sur les studios, écoles et la recherche, les évènements majeurs, ou encore des aides, pistes pour les studios qui souhaiteraient s’installer sur place. Egalement au menu : transition écologique et bilan de la présence au Festival d’Annecy 2023 !
De quoi dresser un tableau complet : nous aurons sans doute l’occasion de vous proposer des points similaires sur d’autres villes ou régions, alors n’oubliez pas de nous suivre sur Youtube, Instagram, Facebook, Twitter, LinkedIn pour ne pas manquer nos articles et interviews !
3DVF : Bonjour François-Xavier, peux-tu te présenter en quelques lignes ?
François-Xavier Jullien : Je travaille pour la Direction de l’économie et de l’innovation de Rennes Métropole, où je suis chargé du développement des industries culturelles et créatives.
L’objectif est de structurer, d’accompagner, d’animer, de valoriser l’écosystème rennais de l’image et du son, qu’il s’agisse des acteurs du cinéma, du cinéma d’animation, de l’audiovisuel, du jeu vidéo, de la création en environnement numérique et immersif.
Concrètement, je vais accompagner les acteurs “techno-créatifs” dans leur développement, jouant un rôle de conseiller, de facilitateur et d’accélérateur. Je vais notamment favoriser leur inscription dans les réseaux, faciliter leur accès à des solutions de financement et d’hébergement.
3DVF : Quelles sont les forces de la région rennaise en matière de création ?
Bonne question, d’autant que le secteur des industries créatives est, par nature, très hétérogène, fragmenté. Une étude a été réalisée afin de disposer d’un état des lieux précis de notre écosystème. La métropole rennaise totalise aujourd’hui environ 12 000 emplois et 6280 établissements. Les points forts étant le secteur de l’image animée (cinéma d’animation au premier rang) et celui des technologies de l’image et du son.
Les studios d’animation rennais travaillent surtout autour de l’animation 2D et de la stop-motion. On citera en particulier les productions des sociétés Vivement Lundi ! et JPL Films. C’est à ces deux sociétés et à tous les techniciens/talents qui les accompagnent que nous devons cette expression d’une animation « à la rennaise ».
Travailler à la fois en 2D et stop-motion est un atout pour ces entreprises, cela leur permet de maintenir un plan de charge régulier, d’établir un modèle économique stable, pérenne.
Pour revenir à notre écosystème dans son ensemble, l’intérêt est donc de pouvoir faire converger les acteurs des technologies de l’image et du son, avec les acteurs du contenu pour expérimenter, innover.
3DVF : Et du côté de la recherche ?
Sur le volet animation, parmi les acteurs majeurs, je citerai notamment l’INRIA /IRISA (850 personnes à Rennes), avec des chercheurs comme Marc Christie, qui vont par exemple proposer de nouveaux outils de création de contenus 3D en réalité virtuelle, dédiés au layout et à l’animation [NDLR : nous reviendrons bientôt sur ce sujet dans une interview du studio Dada ! Animation]. Le centre INRIA rennais travaille par ailleurs beaucoup sur les technologies immersives et le développement de nouvelles expériences en environnement numérique (avec la plateforme Immersia). C’est un acteur avec lequel les partenariats pourraient s’accentuer à terme, notamment autour de la création de contenus en réalité virtuelle. D’où leur présence à nos côtés sur le stand dont Rennes Métropole dispose au salon Laval Virtual.
3DVF : Justement, Laval étant un gros pôle pour le secteur VR/XR, quel est l’impact pour Rennes ? Synergie, concurrence ?
On ne l’envisage pas comme une concurrence, au contraire. Il me semble que Rennes et Laval ont ensemble une carte à jouer. Nous partageons le même bassin d’emplois et bien des complémentarités pourraient être initiées entre les différentes parties prenantes. Il serait d’ailleurs intéressant d’envisager un pôle autour des technologies immersives. L’appel à projets « Pôles territoriaux d’industries culturelles et créatives » lancé dans le cadre de France 2030 pourrait être l’occasion de se mettre autour de la table et d’en discuter, en lien avec le Pôle Images & réseaux.
3DVF : Quelles sont les tendances de l’industrie créative rennaise côté emploi, entreprises, formation ?
Pour maintenir et développer notre écosystème, l’essentiel est de trouver, réunir les compétences nécessaires à la production et à la fabrication des films, de jeux-vidéo. La question de la formation, du recrutement, c’est un enjeu récurrent. Aujourd’hui, à Rennes, la situation a bien évolué.
Côté animation 3D, l’arrivée de l’école Creative Seeds va complètement changer la donne. La livraison cet été de leurs nouveaux locaux de 2 000 m², au sein d’un plus vaste ensemble immobilier de 16 000 m² baptisé Movies, dédié aux acteurs de l’image, va permettre d’accueillir à terme pas loin de 300 étudiants. C’est loin d’être anodin.
L’ESMA vient aussi d’annoncer son implantation à Rennes en 2025. 55 millions d’euros seront investis dans un ensemble immobilier de 17 000 m². 1 600 étudiantes et étudiants y seront formés aux métiers des effets spéciaux, des jeux-vidéo, du design graphique…cela à deux pas de la gare de Rennes.
De nouvelles générations d’artistes, de techniciens de l’image vont ainsi être formés à Rennes. Cette structuration, cette densification en termes de formation viendra ainsi consolider le dynamisme et l’attractivité de notre métropole sur ce secteur de l’image animée.
A ce titre, difficile de ne pas évoquer les résultats de l’appel à projets « Grande Fabrique de l’image » destiné aux studios et formations des secteurs du cinéma, de l’audiovisuel et du jeu vidéo. [NDLR : nous avions évoqué les résultats lors de leur annonce]
Rennes et la Bretagne ont totalisé pas moins de 5 projets lauréats, suscitant, vous vous en doutez, une forte émulation parmi les professionnels. Parmi les lauréats, l’école Creative seeds justement, mais aussi l’association Films en Bretagne pour la mise en place d’une formation dédiée à la stop motion, le Groupe Ouest pour la consolidation de son expertise en coaching d’auteurs et scénaristes, le studio Personne n’est parfait ! pour la création d’un studio de fabrication et de tournage de films en animation stop motion et enfin, l’entreprise The Yard pour l’ implantation d’une antenne à Rennes à terme.
3DVF : Et un « Quartier de la Création » est en chantier avec des entreprises du secteur de la création !
Oui, il verra le jour non loin du futur site d’implantation de l’ESMA et donc, surtout, à proximité immédiate de la gare. La programmation fera la part belle à l’art forain et à ses liens avec le secteur de l’image animée. Il s’agira d’un lieu inédit où le patrimoine forain rencontre l’ère créative et innovante d’aujourd’hui, un site résolument moderne, intergénérationnel, qui emprunte au passé, au présent et au futur. Le site sera activé dès cet été, dans une phase de préfiguration.
Je ne peux pas en dire plus pour le moment ! Rendez-vous cet été pour les détails.
3DVF : Est-ce que vous vous inspirez d’initiatives similaires comme la Cité Créative de Montpellier, dédiée aux industries créatives et où se situe notamment l’ESMA Montpellier ?
Je dois me rendre justement à Montpellier dans les prochains mois pour découvrir les aménagements qui ont été réalisés et observer les formes de gouvernance qui ont été mises en place pour faire converger les différentes initiatives. Je suis impatient de m’y rendre.
3DVF : Concrètement, pour les studios qui cherchent une nouvelle ville dans laquelle s’implanter, comment se positionne Rennes ?
Les studios regardent beaucoup aujourd’hui du côté d’Angoulême, de Montpellier. Rennes est plutôt un challenger. La création du Quartier de la Création, à 1h25 de Paris, va nous permettre d’asseoir notre légitimité dans le secteur des industries créatives, de disposer d’une vitrine et surtout de développer une offre de service plus complète, en lien avec les compétences qui existent à Rennes dans le secteur des technologies de l’image et du son, voire de la cyber par exemple. L’offre de formation, que j’ai évoquée précédemment, sera aussi un avantage comparatif non négligeable. Tout comme l’existence de nos deux lignes de métro, qui facilitent grandement les relations, collaborations entre les différents acteurs de notre écosystème créatif. Tout le monde se connaît. La bienveillance, les mutualisations sont de mise. Tout est assez simple en fait.
Pour autant, il manque encore aujourd’hui à Rennes un gros studio, une véritable locomotive, en capacité de susciter un effet d’entraînement significatif sur le territoire, tout en préservant les équilibres en place. Il s’agit bien évidemment de créer de l’activité supplémentaire, de créer, maintenir de l’emploi.
3DVF : Quelles sont les entités à connaître dans le secteur rennais, par exemple pour les entreprises qui envisagent de s’y installer ?
Tout va dépendre de l’activité de l’entreprise, de ses attentes…
Films en Bretagne va s’adresser en particulier aux professionnels de l’audiovisuel et du cinéma, agir sur le volet formation, favoriser la recherche de compétences spécifiques, l’organisation d’ateliers de travail relatifs aux enjeux et à l’évolution du secteur…
Sur un volet plus recherche, innovation, le pôle de compétitivité Images & Réseaux créé en 2005, pourra être un interlocuteur pertinent pour parler 5G, réseaux, cloud, broadcast, sobriété numérique…
Mais, d’une manière générale, la Direction de l’Economie de Rennes Métropole reste la première porte d’entrée et je me tiens à la disposition de tous les acteurs intéressés pour mieux appréhender notre écosystème créatif et notre offre de services (hébergement, financements…).
3DVF : Quelques mots également sur les grands rendez-vous du secteur, en termes d’événements, salons, festivals ?
Outre le festival de l’Association Française du Cinéma d’Animation (AFCA), dont 3DVF a beaucoup parlé [NDLR : voir notamment nos comptes-rendus autour des pitchs, de La Sirène, d’Electra], je citerai la manifestation Made By, dédiée à l’ensemble des acteurs des Industries créatives. Elle est organisée chaque année à Rennes, dans le cadre du festival de cinéma Travelling, organisé par l’association Clair Obscur. Made By est l’occasion de donner une carte blanche à un acteur reconnu pour sa contribution à l’innovation dans le secteur de l’audiovisuel et du cinéma. Une journée durant, devant plus de 300 professionnels, cet acteur va proposer ateliers, conférences autour de thématiques comme les nouveaux modes de production, l’IA, la réalité virtuelle, le metaverse. La 5éme édition a eu lieu avec la société Atlas V, succédant à Arte et à Mikros. La prochaine édition, qui se tiendra le 20 février 2024, pourrait s’organiser autour d’Unreal /Epic Games.
Autour du jeu vidéo, nous avons le Festival ADDON, organisé en amont du Festival Stunfest, évènement dédié au jeu vidéo indépendant organisé par l’association 3 Hit Combo (ADDON étant co organisé par Atlangames et 3 Hit Combo). Le Stunfest réunit plus de 8 000 personnes chaque année.
On peut aussi citer le festival Maintenant, consacré à la création artistique en environnement numérique et organisé par l’association Electroni[k].
Enfin, n’oublions pas Laval Virtual, où la métropole rennaise est fortement représentée, avec l’INRIA et différentes entreprises comme Artefacto, Farsight, Noise Makers, Digipictoris et Emova [NDLR : voir notre article sur Emova] et bien d’autres.
3DVF : Comment accompagnez-vous la transition écologique ?
La Direction de l’Economie de Rennes Métropole dispose de plusieurs dispositifs d’aide en faveur des industries culturelles et créatives. L’idée est de coller aux besoins : nous avions mis en place des dispositifs spécifiques pendant le Covid, et désormais nous les réajustons justement autour des besoins liés à la transition écologique. Avec l’Appel à projet Créativité croisé, nous soutenons aussi, par ailleurs, la création de prototypes de contenus hybrides, éco-conçus, expérimentés dans l’animation, l’audiovisuel ou le gaming. Plus d’une cinquantaine de projets ont été labellisés dans ce cadre.
Il y a des aides financières, certes, mais il nous appartient aussi d’accompagner les professionnels des industries créatives à faire autrement, à aller vers plus de sobriété, en les mettant, par exemple, en lien avec des acteurs de l’innovation. Je pense par exemple à l’Institut de recherche ComposiTIC (basé à Ploemeur), en pointe sur les matériaux composites, avec qui des échanges ont été initiés avec Films en Bretagne dans le secteur de la stop-motion. Nous attendons beaucoup de ce partenariat qui est en cours de construction. Plus largement, il s’agit de produire mieux mais aussi plus vite. C’est un défi que nous nous efforçons de relever au côté des acteurs.
3DVF : En termes de patrimoine, conservation, quelles sont les actions locales ?
On y réfléchit. Le futur Quartier de la Création/transmission doit nous permettre de travailler ce volet, dans le but de valoriser, révéler les œuvres, contenus fabriqués sur le territoire, toujours notamment dans le secteur de l’image animée. Comme je l’indiquais, ce quartier sera aussi un haut lieu de transmission des savoirs-faire. Le patrimoine y sera vivant, accessible et même enchanté, en lien avec l’art forain.
3DVF : L’écosystème de Rennes était présent au Festival d’Annecy, peux-tu nous en parler ?
Oui, l’écosystème rennais et breton était bien représenté, avec pour la 11ème année consécutive, un stand au MIFA, opéré par Films en Bretagne. L’accent y est mis sur les films et sur les compétences. Cet espace est pensé comme un lieu d’échanges où nous donnons l’occasion aux professionnels bretons (animateurs stop motion, 2D…) de venir présenter leur travail sur les films. C’est un exercice qu’ils apprécient particulièrement. Tout cela se déroule sur un stand que nous nous efforçons de rendre chaleureux et convivial, avec encadrées, les affiches des films/séries emblématiques, en compétition ou en cours de développement. Le volet institutionnel passe au second plan, mais, bien évidemment, les collectivités (Rennes Métropole et la Région Bretagne) sont aussi présentes pour valoriser les dispositifs de soutien et d’accompagnement en vigueur sur le territoire.
La délégation comptait cette année une vingtaine de personnes, elle se renforce d’année en année, se diversifie, se structure. L’AAP La Grande fabrique de l’image est venu consacrer cette dynamique. Les lauréats bretons ont ainsi pu échanger à Annecy avec la Ministre de la Culture et insister sur tous les atouts de la Bretagne, en particulier autour de la stop motion, où tous les ingrédients sont réunis pour créer un centre d’excellence européen.
3DVF : Comment mesurez-vous le succès d’une présence au Festival d’Annecy ?
Les professionnels du MIFA nous font de très bons retours. Ils apprécient le stand, la manière dont nous valorisons les productions, mobilisons les compétences présentes sur le territoire. Ce stand est une vitrine. Il est le reflet de la créativité du territoire.
Une créativité que l’on retrouve bien souvent au palmarès, avec cette année encore, 3 prix obtenus :
- Ten2Ten Films (Rennes) avec 369 – Prix France TV – Catégorie Pitch expérience numérique
- La Cellule Productions avec What comes at night de Gaia Alari – Prix la Nef Animation – Catégorie Pitch court métrage [NDLR : nous vous en avions parlé dans notre sélection de pitchs présentés au Festival National du Film d’Animation]
- Studio Pupps’ Motion (Rennes), prix de senscritique pour Electra de Daria Kashcheeva [NDLR : votre notre article sur les coulisses techniques entre stop-motion, pixilation et expérimentations, et le site d’ARTE pour voir le film jusqu’au 08/08/23]
Notre délégation a été particulièrement sollicitée cette année, nous sortons du MIFA lessivés mais surtout enthousiastes au regard des perspectives et opportunités qui s’annoncent.
3DVF : Merci François-Xavier ! Et merci également à l’équipe du Festival National du Film d’Animation, sans qui cette interview n’aurait pas eu lieu.
Pour en savoir plus
- Rennes métropole ;
- François-Xavier Jullien sur LinkedIn.
- Notre carte des studios, avec une partie de l’écosystème rennais. Vous y trouverez aussi, sous la carte, les détails pour vous faire référencer si votre studio n’est pas déjà listé !
- Notre rubrique emploi. Studios rennais (et d’ailleurs), n’oubliez pas que vous pouvez poster gratuitement des annonces !
- Chez Ouest France, un reportage autour du futur Quartier de la Création.
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