Electra - Daria Kashcheeva
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Electra de Daria Kashcheeva : entre pixilation, stop-motion et live action

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Créer un film en stop-motion/pixilation avec des marionnettes de taille humaine mais aussi des actrices et acteurs bien vivants : c’est le pari osé de la réalisatrice Daria Kashcheeva, dont le nouveau court-métrage Electra est en sélection au Festival de Cannes, et au Festival d’Annecy 2023. Une diffusion est aussi prévue sur ARTE, dans l’émission Court-Circuit : vous trouverez les détails en fin d’article.

Il y a quelques semaines, au Festival National du Film d’Animation de Rennes, Daria Kashcheeva se confiait sur sa démarche artistique et sur les enjeux techniques d’Electra. Voici donc les coulisses d’un projet hors normes, riche en expérimentations.

Electra : pitch et bande-annonce

Electra est un film inspiré par la psychothérapie, et la notion de complexe d’Electre, du nom de l’héroïne grecque qui a vengé son père en faisant tuer sa mère. Il est présenté comme une sorte d’équivalent du complexe d’Œdipe pour les femmes et filles. Daria Kashcheeva explique qu’elle voulait explorer cette idée de traumatisme déclenché par le décès ou départ d’un homme de la famille, touchant à la fois filles et mères. Un deuil qui s’accompagne aussi d’un désir de fuir le réel. Ici, Electra se plonge dans un monde artificiel, se transformant alors en mannequin.

Electra repense à son 10ème anniversaire, mêlant souvenirs, rêves et fantasmes cachés. Notre mémoire n’est-elle qu’une fiction ? Ou un mythe ?

Avant Electra, Daughter

Daria Kashcheeva s’est déjà fait un nom dans la stop-motion avec son film de fin d’études Daughter, qui avait été primé au Festival d’Annecy en 2019 et avait même été nommé pour l’Oscar du meilleur court métrage animé.

Centré sur une relation père-fille, le film est une petite prouesse technique et artistique. Il adopte un style caméra à l’épaule : un choix osé puisque posant de nombreux défis techniques. Daria Kashcheeva ne disposait pas d’un budget permettant de faire du motion control, et elle explique volontiers que les enseignants lui avaient fortement déconseillé d’adopter ce style.

Elle a néanmoins tenu bon, d’autant plus qu’elle s’est en partie inspirée des films du Dogme (mouvement artistique qui visait à créer des films plus sobres, à l’opposé des superproductions avec déluges d’effets spéciaux/visuels). Visuellement, une caméra non statique avait donc du sens, mais s’agissant de stop-motion, le mouvement devait être soigneusement maîtrisé. Elle est finalement parvenue à créer cet effet en récupérant un système entièrement mécanique, visible plus bas dans le making-of.
A noter aussi, les yeux des personnages qui sont peints et repeints d’image en image afin de les animer.

De Daughter, on retiendra donc que Daria Kashcheeva sait faire preuve d’une bonne dose d’audace, préférant rester fidèle à sa vision artistique, quitte à devoir emprunter des chemins techniques non balisés.

Electra : de nombreux défis

Après Daughter, Daria Kashcheeva s’est attelée à Electra, un projet là encore complexe techniquement puisqu’elle voulait mettre en scène des marionnettes de taille humaine, et utiliser de la pixilation (autrement dit des humains en stop-motion).

Jouer en pixilation, un défi

Premier problème : un humain n’est jamais parfaitement statique, et le corps bouge entre les photos. La pixilation peut donc produire des effets non désirés et des mouvements parasites trop importants.

Il a donc fallu trouver des compromis et astuces. Daria Kashcheeva a d’abord tenté d’utiliser un système de harnais pour que l’actrice principale puisse rester relativement statique sur les plans le nécessitant, mais cette technique a de gros défauts : l’actrice principale s’évaouissait. La réalisatrice a du coup changé d’approche, utilisé des supports non visibles à l’écran sur lesquels ses actrices/acteurs pouvaient s’appuyer. Le tâtonnement a été de mise : les bras magiques n’étaient pas assez rigides, mais l’équipe a fini par trouver des systèmes répondant aux besoins, comme comme l’armature ci-dessous que Daria Kashcheeva surnomme « chaise de torture ». Tout un programme.

Daria Kashcheeva, Franck Vialle ( Films en Bretagne) au
Festival National du Film d’Animation. Photo 3DVF

L’acting lui-même posait problème : en pixilation, les actrices et acteurs ne pourront pas tenir des expressions de façon stable sur toute la durée de prise de vue, et les visages, expressions vont trembler. Parfois trop. La solution pour certains plans a été de privilégier un non-jeu, une absence d’acting.
Autre astuce : pour que le ventre soit relativement stable dans les images finales, les photos étaient prises à l’expiration des actrices/acteurs. Cela demande évidemment une synchronisation entre prise de vue et respiration, mais le résultat fonctionne.

En clair, explique Daria Kashcheeva, elle a fait en sorte que ses actrices et acteurs deviennent des marionnettes de stop-motion.

Zuzana Částková
L’actrice principale, Zuzana Částková, prenant la pose pour un gros plan : un support sous son menton lui permet de conserver une pose relativement statique.

Autre problème, Daria Kashcheeva voulait pouvoir bouger sa caméra tout en filmant, mais il est souhaitable de le faire à 24 images par seconde afin d’avoir un mouvement fluide. Oor, les scènes en pixilation sont filmées à un framerate bien plus faible. Elle a opté pour créer des effets de zoom en post-production. Elle filmait en 12 images par seconde, dupliquait les frames en post, puis effectuait un zoom numérique en 24 images par seconde. L’action reste donc en 12 images/seconde, mais le zoom est fluide.

Simuler la pixilation

Certaines scènes étaient tournées en extérieur ou comportent des plans larges, rendant impossible l’usage de supports.
La réalisatrice a utilisé une astuce totalement différente : elle a fait de la fausse pixilation. En bref, elle a demandé aux actrices et acteurs de bouger au ralenti, et a accéléré les images en post-production (environ 5 fois) tout en gardant le même framerate final que sur le reste du film. Le résultat, une performance légèrement saccadée qui reproduit la pixilation/stop-motion classique.

Cette approche a notamment été utilisée pour une séquence de métro tournée en studio, mais aussi pour une scène dans laquelle l’actrice principale marche dans un tunnel. D’autres astuces ont parfois été utilisées en complément. Par exemple, comme marcher à 1/5 de la vitesse normale est difficile voire impossible, l’actrice principale était parfois placée sur une dolly (système sur rail) et bougeait, oscillait pour faire semblant de marcher. Avec un cadrage adapté, l’illusion est parfaite.

Electra de Daria Kashcheeva

Des marionnettes de taille humaine

David Roussel, constructeur de marionnettes qui a travaillé sur Electra, était également présent pour cette conférence. Il opère surtout pour JPL Films et Vivement Lundi !, et a eu l’occasion de travailler sur des projets de stop-motion avec des styles visuels, matières et techniques très divers. Dernièrement, il faisait partie de l’équipe du film Interdit aux Chiens et aux Italiens.

Electra de Daria Kashcheeva - making of
De gauche à droite : David Roussel, Daria Kashcheeva, Franck Vialle ( Films en Bretagne) au
Festival National du Film d’Animation. Photo 3DVF

Electra était un nouveau défi, puisque les marionnettes sont de taille humaine donc plus difficiles à manipuler. La petite équipe en charge de ces marionnettes a choisi de prendre des mannequins de vitrine comme base. Le modèle retenu dispose d’articulations au niveau des épaules, coudes, genoux qui permettent une bonne gamme de mouvements.

Les têtes, elles, ont été fabriquées spécifiquement pour le film, grâce à de multiples échanges entre l’équipe et la réalisatrice. Un processus qui est passé par la création de modèles 3D sous ZBrush, de l’impression 3D, avant de passer par une approche plus classique (moulages, tirages en silicone) afin d’obtenir les visages définitifs. Une mâchoire mécanique était également insérée.
La fabrication a été faite en France, avant une finition dans le pays de tournage, la République Tchèque : ceci a permis à la réalisatrice de définir plus précisément des éléments comme la couleur des yeux, les sourcils. Ces derniers sont en fait une fine couche de silicone qui colle naturellement à la tête : on peut donc les coller, décoller, ajuster selon les besoins.

Au final, les marionnettes disposent donc d’une certaine gamme de mouvements, même si comme l’a expliqué David Roussel, le silicone limite forcément les expressions faciales. De plus, la taille des marionnettes et donc leur masse pose quelques contraintes lors de l’animation.

Electra de Daria Kashcheeva - marionnette
Une des marionnettes employées pour le court-métrage, lors du Festival National du Film d’Animation. Photo 3DVF

Un projet hors normes à découvrir très bientôt

Mélange de techniques, échelle atypique des marionnettes… Vous l’aurez compris, Electra sort clairement des sentiers battus. Reste désormais à découvrir le court-métrage : il sera visible au Festival d’Annecy, mais également sur ARTE dans le Court-circuit Spécial « Festival international du film d’animation d’Annecy », le samedi 10 juin.

Electra de Daria Kashcheeva est une production tchèque/française/slovaque de MAUR film, Papy3D Productions, FAMU & Artichoke. La distribution est gérée par Miyu Distribution.

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