Le Sexe de ma Mère
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Le Sexe de ma Mère : les coulisses d’un court-métrage au croisement de la 3D et de la stop-motion

Cet article est également disponible en: Anglais

Francis Canitrot est un artiste au parcours atypique : passé chez Digital Banana, Autour de Minuit, La Cachette ou encore La Station Animation, il a eu l’occasion de travailler sur des projets en animation 2D, 3D, stop-motion : J’ai perdu mon corps, Panique au village, Primal, Partie de Campagne, etc.

Son nouveau projet, le court-métrage Le Sexe de ma Mère, est un film pour le moins atypique, entre stop-motion et animation 3D, avec un humour noir qui vient contrebalancer les thèmes abordés. Après une sélection au Festival de Cannes, le film fait actuellement le tour des festivals : vous trouverez les dates en fin d’article.
Francis Canitrot a bien voulu nous en dire plus. Voici donc son interview, juste après le pitch et la bande-annonce !

Francis Canitrot – réalisateur du film Le Sexe de ma Mère

À cinquante ans, le quotidien d’Éli se résume à s’occuper et supporter une mère handicapée au caractère bien trempé. Intrusive en ce qui concerne la vie sexuelle de son fils, elle aimerait qu’il fasse la connaissance intime de
la voisine, Nathalie. Nostalgique d’une jeunesse débridée, « le cul » est une idée fixe chez Marie ce qui a le don d’empoisonner la vie de son fils.
Une nuit, la vieille dame meurt. Les rapports conflictuels entre Éli et Marie ne sont pour autant pas résolus…

3DVF : Comment est né le projet Le Sexe de ma Mère ? Pourquoi avoir voulu raconter l’histoire d’Eli et de sa mère ?

Francis Canitrot : A l’origine, l’idée du film n’était pas tout à fait la même. J’avais vu L’homme qui aimait les Femmes de Truffaut et je me suis dit que ce serait intéressant de travailler un personnage comme celui de Bertrand, mais d’un point de vue moins objectivant pour la femme et moins glorifiant pour l’homme. Comme je n’avais pas l’ambition de faire un long-métrage, il fallait que je sois moins pléthorique que dans le film de Truffaut et il fallait que je trouve la relation qui homme/femme la plus adéquate. Quoi de plus naturel de traiter la relation avec la première femme qu’on a connu dans sa vie : sa propre mère ?

Très vite, je me suis dit que ce serait chouette que cette mère soit horrible et que le héros reste auprès d’elle, endurant une situation terrible que seul le lien du sang peut faire tenir. Dans un premier temps, la mère mourrait et le fils gardait son cadavre, c’était plus une histoire de deuil impossible. J’ai longtemps gardé cette idée, puis finalement, ayant écrit un film un peu trop dense pour 15 minutes, nous avons, avec Jimmy Bemon, décidé de laisser cet aspect là de l’histoire pour développer plus amplement les thèmes de la vieillesse. La mère est alors devenue encore plus dure, mais avec cette notion de nostalgie d’une jeunesse perdue.

3DVF : Lors d’une soirée de présentation du film en juin dernier, Jimmy Bemon (qui cosigne donc le scénario) et toi souligniez la genèse difficile du film. On suppose que le thème n’aide pas forcément à trouver des financements. Peux-tu nous en dire plus ? Comment a été monté le projet, au final, et comment sont arrivées les différentes entités associées au film, comme La Station Animation, le studio Personne n’est Parfait, o2o Studio ?

Je ne connais pas réellement les raisons pour lesquelles le film a été difficile à financer. J’imagine que la plupart des projets de court-métrage d’un.e réalisateur.trice « n’ayant pas fait ses preuves » son difficiles à financer. Si l’on remet les choses dans leur contexte, nous avons commencé les recherches de financement du film au début du mouvement ME TOO. Je suppose, et je comprends, qu’un film dont le personnage évolue sur le fil du voyeurisme, des fantasmes sexuels d’un personnage masculin ait pu faire peur. Après tout, personne, à part moi, ne savait réellement ce que j’allais faire à la réalisation de ces scènes qui n’étaient qu’écrites à l’époque. De plus, nous aussi traversé la période du Covid ce qui a grandement ralenti l’organisation des commissions financement. Toutefois, comme j’avais des retours assez positifs, même en cas de refus, ça m’a convaincu qu’il fallait persévérer.

Le Sexe de ma Mère

Au final, avec le soutien de la région Bretagne et de la région Sud, ainsi que quelques aides du CNC, nous avons pu monter le projet. Les assets 3D (personnages et accessoires) ont été modélisés, texturés et « riggés » à Paris. La partie décors (les maquettes) ont été fabriqués et tournés, sans personnages, au Studio Personne n’est parfait ! à Rennes. L’animation, elle a été répartie entre La Station Animation en région Sud et O2o en région Bretagne. Une partie des FXs a été faites par chaque studio. Le tout a été assemblé en Île-de-France à la Station animation Paris. Le rendu, compositing et toute la post-production a été faites à Paris ainsi que le son (chez Badje Auditoriums), le bruitage (au Studio ViNiLiX) et la musique dans le studio d’enregistrement de Julien Decoret. Ça a été une sacrée gymnastique !

3DVF : Artistiquement, Le Sexe de ma Mère frappe par son côté très stop-motion. Pourquoi avoir choisi ce style visuel ?

Au delà du choix de la stop-motion, c’est d’abord le choix d’utiliser le médium de l’animation pour raconter cette histoire qui est venu sur le tapis. Après tout, pourquoi ne pas faire ce film en prise de vue réelle ? Choisir l’animation pour traiter cette relation mère-fils c’est, pour moi, directement mettre une distance avec les personnages. Cette distance m’intéressait particulièrement car elle permettait d’aller plus loin dans les scènes sans pour autant tomber dans quelque chose de trop trash. La stop-motion est venue naturellement derrière car je trouvais, pour le coup, que l’aspect matièré, gratté, généraient une émotion un peu dérangeante qui était en accord avec le propos du film.

Le Sexe de ma Mère
Préparation des décors, fabriqués par le studio Personne n’est Parfait !

3DVF : Comment as-tu concrétisé cette vision ? Quels éléments sont réels ou non dans Le Sexe de ma Mère, et pourquoi, comment as-tu utilisé la photogrammétrie sur certains éléments ?

Initialement, j’avais envie de faire tout le projet en stop-motion, sauf qu’à l’époque, j’étais seul, sans producteur encore dans mon appartement en coloc à Paris. Pas vraiment l’endroit pour s’étaler et faire un film. A ce moment-là je me suis dit que ce serait peut-être les meilleures conditions que j’aurais. Alors j’ai commencé à fabriquer une première version d’un décor à l’échelle de maison de poupée (1/12 ème), moitié moins que l’échelle de stop-motion. J’avais fait tout un système pour que le tout soit démontable rapidement et rangeable dans un placard avant que mes colocs rentrent le soir. Sauf qu’à cette échelle, on ne peut pas animer de puppet de stop-motion finement car c’est beaucoup trop petit.

La solution était toute trouvée, il suffisait que je fasse ces personnages en 3D et que je les intègre dans les maquettes tournées. J’ai alors fait un premier design du personnage en 3D que j’ai intégré dans les décors mais je n’étais pas totalement satisfait du rendu, ça manquait de son côté fait main. J’ai donc préféré sculpter les personnages, les peindre et quand j’en ai eu l’occasion, nous avons fait une photogrammétrie propre de ces sculptures puis nous avons traité les scans obtenus pour rendre les personnages animables. Donc, pour résumé les décors sont des maquettes filmés dans lesquelles les personnages, préalablement sculptés et scannés sont intégrés en 3d. Cette technique est restée quand le projet est devenu plus « pro » avec l’arrivée de la Station animation comme producteur car elle s’avérait, dans mon cas, plus souple et moins coûteuse que la Stop-motion pure.

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Modèles sculptés des têtes des personnages
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Photogrammétrie de la tête du personnage principal. Les carrés bleus correspondent à l’emplacement des caméras.
Le Sexe de ma Mère
Modèle brut haute définition / Modèle après retopologie
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Maillage symétrique et maillage asymétrique du visage d’Eli

3DVF : L’équipe a réussi à maintenir ce look stop-motion sur l’ensemble du projet, jusque dans les FX. Quels ont été les points les plus délicats à gérer, artistiquement ou techniquement, pour conserver la vision de départ ?

Artistiquement, j’avais une vision assez claire de ce que je souhaitais. Comme j’avais eu le temps de penser chaque décor dans ses moindres détails et que j’ai pu faire mes sculptures de personnages moi-même, les choses étaient en place avant la mise production. Ça a été un vrai confort. Par la suite, le travail accompli au Studio Personne N’est Parfait ! (à Rennes) sur les décors, à la fabrication et au tournage a était, tout simplement, irréprochable. La seule contrainte artistico-technique que nous avons rencontré à cette étape était que nous avions une échelle de décors plus petite que la stop-motion habituelle. Ça nous a demandé de ruser au tournage pour le placement des caméras et la gestion de la lumière.

Le Sexe de ma Mère
Décor physique (tournage chez Personne n’est Parfait !)

Nous avons rencontré plus de difficultés techniques après le tournage pour intégrer toute la partie 3D, mais rien d’insurmontable. L’avantage d’avoir un look stop-motion est que, l’échelle étant réduite, les simulations de FXs n’ont pas besoin d’être aussi fines que sur des effets spéciaux à une échelle réelle. Globalement, sur ce film, nous avons techniquement fait la même chose que sur un blockbuster Marvel avec du tournage et plein de 3D mais à une échelle réduite et plus modestement.

Un des FX du court-métrage, créé à l’aide de Quill.
Le Sexe de ma Mère
Coulisses du film Le Sexe de ma Mère : équipe décoration
Le Sexe de ma Mère

3DVF : Vu le sujet du Sexe de ma Mère, il y a sans doute eu beaucoup d’échanges à l’écriture, sur la manière de traiter la relation entre Eli et sa mère, mais aussi sur ce qui serait montré ou pas. Quelle a été votre réflexion à ce niveau ? Et dans quelle mesure certaines contraintes externes (notamment pour la diffusion en festival et TV) ont pu venir influencer vos décisions ?

L’avantage de faire un court-métrage presque en dehors de tout circuit commercial, est qu’on est à peu près libre de faire ce que l’on souhaite donc nous avons vite évacué les questions d’audience, de sécurité. Par contre, nous avons eu beaucoup de questionnements et de doutes sur l’équilibre des scènes : parfois nous avions peur d’être trop doux, parfois trop trash. Souvent, il s’avérait que nous avions surtout besoin de faire tomber nos propres limites morales car les scènes écrites naturellement, dans leur version initiale, étaient juste. Écrire un film ce n’est pas un long fleuve tranquille, c’est aussi ça qui est chouette !

Le Sexe de ma Mère

3DVF : Comment as-tu abordé le personnage principal, d’un point de vue animation ? Quels ont été les défis artistiques et techniques ?

L’enjeu de l’animation sur un film comme celui-ci est d’être juste et subtil. Éli est un personnage qui subit et quand un personnage qui subit une situation est au centre de la narration il faut beaucoup travailler pour que le spectateur ne subisse pas ce personnage. Il faut lui donner suffisamment de corps pour qu’il nous plaise, il faut qu’on ait de l’empathie pour lui, il ne faut pas qu’il nous ennuie. Surtout qu’il est contrebalancé par une mère qui est plutôt haute en couleur.

Pour ce travail, j’ai déjà eu énormément de chances d’avoir des animateurs très doués ! Mais, au delà de leurs compétences, j’ai été très attentif à leur sensibilité propre. J’avais à cœur que les animateurs.trices se sentent à l’aise avec les scènes qu’ils.elles animaient. J’ai donc fait en sorte de leur donner les scènes, certes en fonction de leur niveau, mais aussi en fonction de leur personnalité. Le « reste », c’est eux qui l’ont fait !

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3DVF : Les décors, le lighting ont clairement aussi fait l’objet de beaucoup de soin. Quelques mots à ce sujet ?

Les décors ont été travaillés avec à l’idée que l’action du film se passerait de nos jours dans un quartier qu’on imagine plutôt résidentiel, de la classe populaire, construit dans les années 60 en France. Par contre, au tournage, avec Simon Fillot le chef-opérateur, nous nous sommes inspirés des mises en lumière que l’ont peut trouver dans les films hollywoodiens comme Chinatown, Fenêtre sur Cour. J’aime bien ce contraste, je trouve que ça dégage une certaine poésie. On ne sait pas vraiment où l’on est.

Je voulais aussi que les décors contiennent des éléments représentatifs des personnages. Chez la mère d’Eli, Marie est un personnage outrancier, le genre de personne qui a fait le tour du monde pour assouvir sa passion (le sexe) et qui a ramener des souvenirs. Une forme de néocolonialisme sexuel. Au contraire, Eli, lui, ne pense plus à lui, il s’est effacé à tel point que les murs sont en plaques de plâtre sans peinture. Tous les décors du film obéissent à ce principe.

Le Sexe de ma Mère

3DVF : Un mot également sur le son : que peux-tu nous dire sur la direction des acteurs, mais aussi sur la musique signée Julien Decoret ?

J’ai eu énormément de chance de travailler avec Badje Auditoriums. Anthony Dugousset et Emmanuel Rebaudengo m’ont tout simplement donné les meilleures conditions que l’on puisse espérer pour le son d’un film. Grâce à eux, j’ai pu rencontré Martial Le Minoux qui, trouvant le projet intéressant, m’a tout simplement proposé tout un casting de voix pour chaque personnage. C’était vraiment génial et les comédiens étaient vraiment très justes. Par exemple, lors de la scène de dialogue devant la maison entre Eli et Nathalie (la voisine), Bruno Magne et Jessie Lambotte, qui se connaissent très bien, rejouaient pour la première fois depuis le Covid en enregistrement simultané. Ils se sont servis de cette situation : L’émotion de se retrouver pour jouer est devenue l’émotion de la scène du film.

Le Sexe de ma Mère
Mixage du son chez Badje Auditoriums

Pour la musique du film, j’imaginais vraiment le travail avec un compositeur plus comme une réelle collaboration que comme une commande de musique. Pour moi, à partir du moment où je rencontre un compositeur qui me parle, avec qui j’ai un feeling sur la musique et humainement, je suis prêt à lui faire totalement confiance. Dans cette optique, toujours grâce à Emmanuel Rebaudengo, j’ai rencontré Julien Decoret dans son studio. Je suis arrivé tard après une journée éreintante, je pensais rentrer chez moi prendre un Doliprane et me coucher mais il y avait ce rendez-vous qu’on avait pu caler à un moment où nos agendas étaient tous deux très chargés. Ça partait mal ! Mais au bout de cinq minutes nous étions déjà en train de parler musique, création et cinéma. Ça a duré trois ou quatre heures, je ne sais plus, et ça a marqué le début d’une belle amitié et très certainement de futures collaborations ! Il est génial, on parle le même langage, lui et moi.

3DVF : Nous avons noté que le film était dédié à Sei Riondet et Jeanne Chagnon…

Sei et Jane étaient avant tout des amies, elles m’ont beaucoup soutenu pendant le développement de mon film. À ma grande tristesse, elles ne sont pas là pour voir le film fini. Je leur dédie aussi ce court car elles étaient toutes deux passionnées par l’animation et le cinéma et elles ont beaucoup donné et sacrifié pour cette passion.
Jane était un des piliers d’Autour de Minuit, une grande gueule au cœur tendre qui savait remuer ciel et terre pour que les films sortent dans la bonne humeur.
Sei était une immense storyboardeuse, une réalisatrice encore dans l’ombre que des gens peu scrupuleux et criminels ont réduit à néant.

NDLR : rappelons que l’AVFT (Association européenne contre les Violences faites aux Femmes au Travail), le 3114 (numéro national de prévention du suicide en France) peuvent vous aider si vous avez besoin d’aide, de soutien, pour vous ou une personne de votre entourage.

3DVF : Une dernière question. Il s’agit de ton premier film. Comment as-tu vécu cette aventure, et qu’est-ce que tu en retires en tant qu’artiste ? Souhaites-tu poursuivre dans la réalisation ?

Dans les conditions financières d’un court-métrage, c’était une expérience éreintante, extrêmement difficile à concilier avec une vie de famille. Mais c’était surtout, comme tu dis, une « aventure » géniale qui m’a permis de rencontrer plein de gens passionnés. Des gens qui, pour certain.es, n’ont pas compté leurs heures parce que, à leur yeux, le projet en valait la peine. Voir le film prendre forme petit à petit, passer d’une vue d’esprit à des décors concrets, des plans animés, une image finale : c’est grisant. Artistiquement c’est aussi un soulagement d’avoir évacué cette histoire de ma tête. Voir qu’elle n’a pas pris trop de bosses au passage ou au contraire qu’elle a évolué positivement par l’intervention d’autres personnes, à l’écriture avec Jimmy Bemon, mais aussi par tous les petits détails que l’équipe a proposés à toutes les étapes. Ça laisse la place pour les histoires suivantes que je m’empresse déjà d’essayer de raconter.

Pour en savoir plus

Le Sexe de ma Mère sera projeté dans différents festivals dans les semaines à venir :

  • Animest (Roumanie) qui se tient du 6 au 15 octobre 2023
  • Primanima (Hongrie) – 11 au 14 octobre
  • CinéOpen (France) – 17 octobre au 1er novembre
  • Bucheon International Animation Festival (BIAF – Corée du Sud) – 20 au 24 octobre
  • Festival du Film Court en Armagnac (France) – 21 et 22 octobre

Vous pouvez suivre Francis Canitrot sur Instagram, LinkedIn.

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Le Sexe de ma Mère
Affiche du film Le Sexe de ma Mère

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