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Production virtuelle, mocap, tournage : Dark Matters évoque ses premiers projets et son avenir

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Ci-dessus : coulisses du tournage du spot Handicap International chez Dark Matters

Studios de tournage, mur de LED pour la production virtuelle, motion capture : le lancement de Dark Matters à une quarantaine de kilomètres de Paris n’était pas passé inaperçu. Nous profitons de l’automne pour faire un point avec Romain Cheminade, cofondateur et président de l’entité. L’occasion d’évoquer les projets réalisés par l’équipe ces derniers mois, le marché de la production virtuelle, la R&D en cours, la motion capture, ou encore un partenariat avec The Yard.

3DVF : Bonjour Dark Matters ! Vos studios de tournage ont beaucoup fait parler d’eux lors de leur lancement : il faut dire qu’avec 15 000m² de studios, 6 plateaux, des murs de LED, de la motion capture, le projet est ambitieux. Où en est l’entité désormais ?

Romain Cheminade – cofondateur et superviseur : L’an passé, nous nous sommes concentrés sur la mise en place opérationnelle, avec beaucoup de travaux, même si nous avons tout de même pu accueillir la production de Dogman, de Luc Besson. 200 personnes, une centaine de chiens… Ce tournage nous a permis de mettre à l’épreuve les installations.

Dark Matters - plateaux

Concrètement, le complexe de tournage est pleinement opérationnel depuis janvier 2023. On est donc désormais vraiment dans la phase de lancement commercial, ce qui a évidemment nécessité de mettre en place une équipe dédiée, afin de nous mettre en avant auprès de l’industrie.

3DVF : Quelles productions sont passées par Dark Matters cette année ?

Dans les projets que l’on peut évoquer publiquement, on peut citer la nouvelle campagne publicitaire de Handicap International. L’équipe était très agréable et c’est pour une bonne cause, donc vraiment un beau projet. Le studio Digital District était également impliqué dans cette campagne.

Ci-dessus : la campagne
Ci-dessous : les coulisses

Autre projet récent, le clip Modern Jam de Travis Scott. Une expérience intéressante, un artiste américain avec beaucoup de créativité, Gaspar Noé à la réalisation ! Nous avons pu travailler main dans la main avec lui et son équipe.

C’était d’autant plus intéressant que Gaspar avait déjà eu une expérience en production virtuelle qui l’avait refroidi, ça avait été très complexe et il n’avait pas pu obtenir ce qu’il souhaitait. Il avait donc une certaine appréhension, et finalement cette fois tout c’est bien passé avec nous.

Le clip de Travis Scott

Autre projet notable, une pub pour le parfum Phantom de Paco Rabanne. On a également divers projets publicitaires mais qui sortent en fin d’année ou début 2024, je ne peux donc pas en parler à ce stade.

3DVF : Vous avez déjà travaillé pour différents films, fictions… S’agit-il plutôt de projets français, européen, américains… ?

Beaucoup de projets locaux, ou d’Europe de l’Ouest en général. 

Des projets intéressants, y compris côté pub avec par exemple un projet qui a nécessité 8000m² d’emprise au sol ! Tout simplement parce qu’ils ont les mêmes soucis qu’en cinéma, la contrainte principale est le calendrier de l’égérie de la marque, donc ils ont profité du tournage pour faire plusieurs campagnes en même temps, mais aussi les éléments destinés au web, des photos, etc.  

Comme nous avons beaucoup de projets européens, la grève des scénaristes qui vient de s’achever nous a peu affectés, en dehors de projets pour 2024 qui avaient été mis en pause.

Coulisses du tournage de la publicité du parfum Phantom de Paco Rabanne

3DVF : Concrètement, que demandent les clients de Dark Matters ?

Sur tout ce qui est productions France, Europe de l’Ouest, on nous demande beaucoup de 2D et 2,5D, peu de 3D.

On nous demandera de reproduire un environnement qui a été capturé, donc de faire du travail sur des plates, du 360°, du compositing live en 2,5D… Nos clients en sont assez friands car ils maîtrisent déjà ces approches.
Ca a été un peu surprenant de mon côté, étant issu du cinéma j’étais habitué à davantage de 3D, mais en même temps c’est parfaitement logique.

Notre plus gros projet 3D à ce jour, en termes de nombre d’environnements et de complexité est… La campagne Handicap International ! 3 environnements sous Unreal, un par pays, avec des catastrophes à représenter.

3DVF : Comment se passent les échanges avec les équipes de ces projets, dont celles qui viennent tourner chez vous ?
Pas trop d’appréhension de la part de certains métiers ?

Nous ne sommes plus vus comme des ovnis, les personnes impliquées dans les projets s’intéressent, veulent participer aux réunions, il y a une vraie cohésion. 

Mieux encore, on commence à écouter nos contraintes, il y a une vraie évolution.

3DVF : C’est très intéressant car par le passé les échos que nous avons eus n’étaient pas toujours aussi positifs : certains métiers du côté réalisation ou direction de la photographie par exemple pouvaient avoir peur de la production virtuelle, avaient des craintes pour leur métier, hésitaient sur la manière d’aborder la chose…

Mon expérience de superviseur fait que j’ai gardé cette volonté de fédérer les équipes, cela aide beaucoup. Sur nos projets en cours, les échanges avec les équipes déco, DIT, DOP, la direction de production sont vraiment très riches. Mon sentiment est que plus le projet est ambitieux, plus la cohésion est rapide. 

3DVF : Au SATIS l’an passé, certains spécialistes de production virtuelle étaient un peu lassé de certaines tâches répétitives comme le rouling (autrement dit les séquences de voitures qui sont censées rouler, avec un décor qui défile derrière sur l’écran)…

Je ne m’en plains pas : c’est maîtrisé et assez sûr, c’est une très bonne première approche pour les équipes qui n’auraient jamais utilisé la production virtuelle. Que ce soit pour des séquences de dialogue en voiture ou des cascades. 

Ce dernier point me tient à cœur : la France a une grande tradition de cascades en voitures au cinéma, et la production virtuelle permet de refaire les prises ou d’enchaîner les plans, ça a beaucoup de sens. Je travaille fortement sur ces sujets actuellement.

Dark Matters - production virtuelle

3DVF : Et plus largement, comment évolue le marché ?

La technique se démocratise, avec de plus en plus de gens qui sont formés ou sensibles à cette approche. 

Du côté publicité, c’est presque devenu un réflexe : les clients, même s’ils viennent chez nous pour louer les studios de tournage classiques, pensent spontanément aussi à la production virtuelle, nous demandent si telle ou telle séquence aurait du sens avec écrans LED.

Plus qu’une logique artistique, cette évolution vient d’une logique de planning: la production virtuelle permet de gagner du temps, d’éviter les contraintes comme la météo en extérieur, etc.

Au final, les premiers assistants réalisateurs sont devenus mes meilleurs amis ! 

3DVF : Avant de passer à une autre de vos compétences, la motion capture, parlons un peu d’écologie et R&D. Est-ce que l’aspect écologique de la production virtuelle (par rapport à des tournages sur lieux classiques) intéresse vos clients ? Peut-être en vue des demandes du CNC à partir de 2024 pour toucher les aides à la production ?

C’est un sujet assez nouveau pour nos clients, qui ont différentes approches.
 

Nous disposons de données que l’on peut sans problème leur fournir sur demande, et on travaille aussi à la réduction de notre consommation énergétique, que ce soit pour les panneaux LED ou les processeurs. C’est un projet de R&D qui aboutira courant/fin 2024. On pense pouvoir économiser 20% d’électricité, à qualité visuelle identique. Sur une installation de 400 ampères, c’est non négligeable.

Autre optimisation sur laquelle nous travaillons : celle des systèmes d’accroche et structure, afin d’optimiser le montage/démontage puisque nous changeons fréquemment de configuration. Et optimiser cette partie pourra rejaillir sur l’empreinte carbone, puisque l’idée est de faire baisser le nombre de personnes et la durée nécessaires pour réagencer le système.

3DVF : Y a-t-il d’autres projets de R&D en route chez Dark Matters ?

Oui, outre les deux sujets que je viens d’évoquer, on travaille aussi sur la question des framerates, le but étant d’arriver à des fréquences assez élevées pour que l’on dispose d’un vrai motion blur, que la caméra capturera comme pour une scène classique. C’est un sujet qui me tient à cœur depuis des années, on espère arriver à du 96 images/s voire 128. C’est ce type d’approche qui a été utilisé dans le film Maverick.

On travaille aussi sur des solutions internes pour la lecture de médias, les media servers classiques étant assez généralistes et donc pas totalement optimisés pour nos usages. On devrait avoir de quoi faire une démo au premier trimestre 2024 !

Dark Matters - production virtuelle

3DVF : Sur cette question du framerate, une possibilité avec des fréquences élevées est de pouvoir afficher un fond vert une frame sur deux, par exemple, ce qui permet potentiellement d’avoir à la fois de la production virtuelle et des plates sur fond vert… Est-ce un sujet chez vous ?

Non, j’ai mis de côté cette idée. Ca n’est pas demandé spontanément car les clients ne savent pas que c’est possible, donc ce serait à nous de le proposer. Sur le papier c’est une bonne idée, mais ce n’est pas agréable pour les acteurs. Comme pour du fond vert classique, au bout de quelques heures certaines personnes ne supportent pas et ont une sorte de « green screen sickness ». Pour moi, cette technique n’aura donc du sens que si elle ne rend pas malades les comédiens.

En revanche, il nous arrive régulièrement, pour des prises de vue en motion control, que l’on nous demande de refaire une seconde prise avec vue de caméra en vert : pour rappel, en production virtuelle l’écran LED affiche l’environnement global, avec une zone face à la caméra qui va prendre en compte la position et donc parallaxe celle-ci, c’est la vue de caméra.

3DVF : Du côté motion capture, avez-vous eu des projets intéressants ?

Oui… Mais on ne peut pas encore trop en parler !

En revanche je peux dire que sur ce marché, il y a deux gros clients : l’animation et le jeu vidéo. Du côté jeu, nous travaillons surtout sur des titres AA, pas encore de AAA (NDLR : rappelons que les jeux AAA sont les blockbusters à très gros budget. Les jeux AA sont le plus souvent des titres au budget plus limité).

Cela colle assez avec la particularité française, puisque nos studios développent beaucoup de jeux narratifs qui impliquent donc des tournages en mocap.

Dark Matters - motion capture
Le studio de motion capture.
Structure de 19x19x5m, 60 caméras Vicon, jusqu’à 8 personnes simultanément, couverture corps, mains, visage.
Dark Matters - motion capture

3DVF : Quelques mots sur Unreal et Epic Games, puisque vous utilisez ce moteur pour la production virtuelle ?

Nous avons une très bonne relation avec Epic Games. On s’appuie beaucoup moins sur leur support désormais, car avec les évolutions de ces 2, 3 dernières années, pour nos usages, tout fonctionne bien.

J’en profite aussi pour évoquer la question du tarif, puisque certains se demandent si une nouvelle grille tarifaire sera mise en place, avec un passage au payant touchant plus de studios : ça ne me semblerait pas choquant, il est parfaitement normal de soutenir le développement, surtout après tant d’années de politique tarifaire très généreuse.

En revanche, la communication d’Epic Games nous pose quelques souci : l’entreprise insiste sur la facilité d’usage en production virtuelle, sur la puissance du moteur, résultat on a parfois des clients qui arrivent avec deux semaines d’expérience sous Unreal, sans avoir pris la peine de bien apprendre l’outil. Ou des décideurs qui désignent des personnes sans expérience pour faire des scènes complexes avec des nuages, qui devront tourner à 50 images/s. Résultat, soit la scène est laide, soit elle tourne à 12 i/s…. Oui, c’est du vécu ! Et évidemment, pas évident pour ces personnes novices de gérer de tels projets. 

Unreal reste un outil très complexe, il ne doit pas se prendre à la légère, comme tout outil de nos métiers.

3DVF : Enfin, peux-tu nous parler du partenariat entre Dark Matters et le studio d’effets visuels The Yard ?

Nous connaissons bien Laurens Ehrmann (NDRL: fondateur et superviseur VFX de The Yard), c’est un ami et on partage des valeurs. 

Dernière bande démo du studio The Yard

L’idée est de faire des tests, de mettre en place de bonnes pratiques, puisque l’on ingère fréquemment des environnements issus de sociétés extérieures. A force d’avoir affaire à des scènes absolument pas optimisées, des VDB avec 8 milliards de particules, des bougies de 2 millions de polygones alors qu’elles sont en arrière plan… 

Bref, on veut mettre en place des méthodes pour l’optimisation, l’ingestion, le test d’ingestion.

On cherche aussi à mettre en place des process de data wrangling en plateau, à notre niveau, afin d’envoyer les données pertinentes aux équipes VFX. Typiquement, quelle nomenclature utiliser pour que les données de caméras soient exploitables. Autre exemple, notre processus de calibration colorimétrique automatique des caméras nous permet au passage de récupérer des grilles de distorsion, ce qui peut être utile en VFX.

Le but ultime est de gagner en compétences mais aussi de donner à la communauté un retour d’expérience sur nos tests, de partager nos résultats. C’est vraiment l’objectif principal.

On travaille aussi avec Fix Studio, Digital District sur ces mêmes questions. 

3DVF : Merci d’avoir répondu à nos questions, on ne manquera évidemment pas de relayer ces résultats et informations sur 3DVF le moment venu !

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