Cet article est également disponible en:
Anglais
Début février sortait dans les salles françaises le film d’animation Maurice le chat Fabuleux, adaptation en animation de l’oeuvre Le Fabuleux Maurice et ses rongeurs savants de Terry Pratchett.
Réalisé par Toby Genke, le film a été fabriqué par studio Rakete (Ooops! J’ai raté l’Arche, Balaya), le studio Red Star (surtout habitué à la création de contenus 3D/4D pour les parcs d’attraction et musées) et par l’équipe lyonnaise de Stim Studio.
Nous avons voulu en savoir plus sur les coulisses de ce projet hors normes. Nous nous sommes donc tournés vers Jordan Soler, dirigeant de Stim Studio aux côtés de Félix Ferrand. Le nom de Jordan Soler vous dit sans doute quelque chose si vous nous lisez depuis plusieurs années : nous l’avions interviewé en 2018 sur son travail de grooming/surfacing/lookdev sur le film Pierre Lapin !
Cette fois, il revient donc sur le film Maurice le chat Fabuleux et la partie gérée par Stim Studio : pas moins de 150 personnages à créer sur cette première expérience en long-métrage ! Vous découvrirez aussi dans cette interview les projets futurs de Stim Studio, dont une série qui sera présentée au Festival d’Annecy en juin, et de grosses ambitions pour le long terme.
Voici la bande-annonce, suivie de l’interview.
3DVF : Comment s’est mise en place l’implication de Stim dans le projet ? Et quel a été le ressenti de l’équipe face à l’idée de travailler sur une adaptation des travaux de Terry Pratchett ?
Jordan Soler / Stim Studio : Red Star nous a contactés, et assez rapidement on a réussi à établir une belle relation avec eux. Ils nous ont confié la réalisation de tous les personnages du film Maurice le Chat Fabuleux, du modeling au lookdev / groom, ce qui représente environ 150 personnages.
C’est toujours plaisant de travailler sur des adaptations d’œuvres connues, qui ont pu bercer notre enfance et l’enfance de beaucoup de gens. Je pense que pour les artistes à Stim Studio c’était une belle reconnaissance pour eux, pouvoir dire à leur famille qu’ils travaillent sur quelque chose qui leur parle.
3DVF : Comment avez-vous réparti le travail entre les différentes entités impliquées : Stim, Studio Rakete, Red Star ?
De notre côté, on s’est occupé de toute la partie personnages, on a fait le modeling, shapes faciales, lookdev, textures, groom. Puis du côté de Red Star, ils faisaient l’animation, le lighting, le CFX, j’en oublie sûrement.
Rakete eux avaient plus un rôle d’art direction, c’est avec eux qu’on traitait pour les briefs de concepts, comment ils voyaient les personnages, le type de texture qu’ils imaginaient à tel ou tel endroit.
3DVF : Vous avez donc géré environ 150 personnages sur l’ensemble de Maurice le Chat Fabuleux, à commencer par le fameux chat Maurice mais aussi les rats, les humains, l’antagoniste principal… Avec un tel volume de travail, comment avez-vous organisé le projet ?
C’est vrai que rétrospectivement, on se dit que ca fait pas mal de personnages aha. La réalité, c’est qu’on avait une bonne phase de planification, avec des deadlines, sur un certain nombre de personnages par semaine / mois et on avançait petit à petit. On a toujours un œil quand on supervise sur la globalité, mais on essaie de ne pas se dire « il en reste 140 ». Plus le temps passe, plus on voit le tableau de personnages approuvés grossir et en dé-zoomant on se dit « ah ca y est on en a fait 150 ». Le mérite revient aux graphistes de Stim Studio et à la chargée de production qui, ensemble, ont réussi à rendre le projet sans trop de stress ou de crunch.
L’équipe chez Stim était au final assez réduite, par rapport à la quantité de travail. 3 artistes lookdev / groom et la même chose en modeling / rig facial. Plus une productrice et un superviseur pour le rig et le groom (Félix et moi [NDLR: Félix Ferrand, l’autre dirigeant du studio]).
On a donc dû mettre en place des systèmes pour pouvoir produire vite et surtout bien afin d’être certains de livrer une qualité équivalente malgré un fort « rendement ». On a bossé environ 1 an sur le projet. Comme d’habitude sur ce type de projet long, les premiers personnages étaient plus longs à faire et plus ça allait, plus nous avons pu récupérer des choses des persos précédents. Ca nous a aussi mis dans une dynamique de production de série grâce au développement des outils qui nous ont permis d’être plus rapides que sur du long métrage traditionnel. C’est suite à cela qu’on a su qu’on pourrait faire des séries qualitatives à coût raisonnable.
3DVF : Peux-tu nous en dire plus sur les relations entre Stim et le reste de l’équipe, dont le réalisateur Toby Genkel, le character designer Carter Goodrich (qui a aussi travaillé sur Ratatouille, Moi, Moche et Méchant, Les Croods) et Oliver Kurth, qui a travaillé sur le design des personnages secondaires ? Par ailleurs, quels étaient vos liens aves les autres départements des différents studios ?
On ne traitait pas directement avec les réalisateurs, mais on a eu pas mal de discussions avec Heiko Hentschel, le directeur artistique. On avait des retours quasi chaque semaine de la part des réalisateurs et producteurs sur notre travail. Savoir si on allait dans le bon sens ou pas.
C’était vraiment intéressant de pouvoir définir avec eux le type de textures qu’ils voulaient, le degré de réalisme, etc.. Red Star et Rakete sont aussi venus nous voir pour notre expertise en assets, et c’était vraiment agréable de pouvoir discuter avec eux, et savoir qu’ils nous ont écoutés sur pas mal de points, quand on leur disait que telle ou telle chose ne marcheraient pas, ou qu’au contraire on souhaitait leur proposer une idée sur les textures par exemple.
3DVF : Quel était votre pipeline, pour les personnages ? Quels outils avez-vous utilisés ?
C’était un peu notre première « grosse » production, du moins sur du long métrage à travers Stim Studio. Bien sûr, Félix, certains de nos graphistes ou moi- même étions habitués à travailler sur des projets conséquents. Le faire avec Stim Studio nous a permis et obligé à développer notre pipeline. Tout a été fait autour de Maya – Arnold – Yeti. L’avantage de ce type de projet, c’est que ça nous a permis, aussi, d’être plus qu’armer pour les prochaines grosses productions. On a appris, on a développé et Stim Studio est passé d’une petite structure qui fait des petits projets à une structure capable de travailler sur du long métrage.
3DVF : Maurice est un chat très particulier, que ce soit en termes de personnalité ou d’apparence. Comment l’avez-vous abordé, quels ont été les principaux défis artistiques ou techniques à résoudre ?
Le personnage de Maurice… c’était pas facile. Déjà c’est le personnage principal du film, il y a une attention toute particulière à avoir sur lui. Il a une certaine place dans le cœur des réalisateurs, producteurs, et même des gens qui connaissent l’œuvre. On avait reçu un premier design ou le chat était complètement bouclé, avec un poil très rêche, et ça fait partie justement des discussions qu’on a eu directement avec Red Star, et Rakete. On avait l’intime conviction que ça ne fonctionnerait pas sur un long métrage. Le personnage ne donnait pas très envie d’être « caressé », pour un chat, c’est dommage. Donc on a fait énormément d’itérations, d’allers-retours, pour trouver le sweet spot au niveau du poil.
Ça a aussi été un beau challenge en shapes faciales, et en modeling, car il devait être traité comme un quadrupède, mais au final il se retrouve parfois à être sur deux pattes. Il a une gamme d’expressions conséquente, une bouche gigantesque et bien entendu on devait pouvoir permettre aux animateurs de donner les expressions qu’ils souhaitaient. On a développé énormément les shapes et notre façon de travailler pour que la fluidité à l’animation, dans Maya soit quasi temps réel.
3DVF : Peux-tu aussi nous parler des rats de Maurice et le Chat Fabuleux ?
Les rats, c’était un challenge incroyable, parce qu’il y en a BEAUCOUP. On devait donc s’assurer d’un style qui fonctionne, mais aussi d’une certaine optimisation. On a commencé par Sardines [NDLR: ci-dessous au premier rang de la foule, avec une canne et un noeud papillon], pour définir le style, l’épaisseur du poil, si on voulait de la transparence ou non etc..
Puis on a pas mal enchaîné. Utiliser Yeti pour des personnages ou l’on peut transférer des paramètres, c’est plutôt agréable [NDLR: Yeti est une solution logicielle de création de poils, plumes, géométrie procédurale pour Maya éditée par Peregrine Labs]. Le système nodal nous a aussi permis de créer des variations de rats mouillés rapidement.
3DVF : Et pour Keith et Malicia, les deux humains ?
Ces deux personnages de Maurice le Chat Fabuleux font partie de ceux sur lesquels on a passé le plus de temps en lookdev et groom. Pareil que pour Maurice, il fallait définir le style et ce que les réalisateurs et producteurs voulaient pour ces deux personnages principaux. Malicia a plusieurs variations d’habits, il y a eu pas mal de tests, des re-concepts pour trouver ce qui semblait le plus pertinent sur elle. Leurs coupes de cheveux aussi ont donné aux artistes du fil à retordre, mais globalement, on est très content du résultat!
Crédit : Ulysses Filmproduktion GmbH and Cantilever Group Limited
3DVF : Maurice le Chat Fabuleux met en scène deux antagonistes principaux : Monsieur Patron (Boss Man en VO), un personnage mystérieux qui reste dans l’ombre une bonne partie du film. Et le Joueur de flûte (The Pied Piper en VO), qui est très expressif : ses mouvements dans certaines scènes évoquent une araignée ou un insecte étrange. Comment avez-vous abordé ces personnages ?
BossMan c’était le défi technique, avoir les rats à l’intérieur qui construisent l’antagoniste au fur et à mesure (il y a plusieurs phases), c’était le point d’interrogation. On a pas mal discuté avec Red Star sur le côté technique, et vu avec Rakete pour faire quelques modifications de design afin que ça rentre dans le temps de production, et que ce soit animable et faisable.
Les changements de designs ont surtout été d’un point de vue technique, il a fallu trouver des solutions pour le déplacement du personnage, car il est fait de rats sous ses habits. Donc on a beaucoup discuté avec eux sur la faisabilité d’avoir des groupes de rats sous les pieds pour le faire se déplacer, de comment on allait gérer le fur quand on voit les rats dans les trous des habits, comment on allait faire une sorte de « crowd » asset pour les rats etc.. Avec tout ceci, ils ont pris certaines décisions, et le résultat est celui que vous voyez dans le film!
Pied Piper, c’est plus en animation au final je pense qu’ils ont vraiment réussi à lui donner cet air d’araignée. Nous au lookdev / groom, c’était que du fun sur un personnage comme ca.
3DVF : Les échanges de données entre studios sont toujours un défi. Comment l’avez-vous surmonté ?
Ça fait clairement partie des points techniques sur lesquels on a dû se pencher sur Maurice le Chat Fabuleux. Avoir un réseau et un serveur sécurisé, pouvoir transférer des données rapidement, être capables d’adapter nos checkers à ceux de Red Star pour pouvoir leur livrer des fichiers prêts à être intégrés dans leur pipeline et mis en lumière. L’échange de fichiers se faisait principalement à l’aide de connexions VPN chez Red Star et de notre côté, puis plusieurs scripts de copie/miroir qui tournaient tous les jours pour s’assurer que les data étaient bien synchro sur les deux serveurs.
3DVF : Ta plus grande fierté sur Maurice le Chat Fabuleux ?
C’est difficile de trouver une chose, mais en tant que dirigeant du studio, je pense que je suis surtout hyper fier du résultat, et de ce que nos artistes ont réussi à faire. De l’ambiance générale pendant la production, du fait que tout le monde s’est vraiment donné à fond, et pour beaucoup qu’ils ont pu travailler sur un long métrage à travers Stim Studio très rapidement.
3DVF : Parlons de Stim Studio, justement. Peux-tu nous parler de ses origines ? Pourquoi avoir lancé l’entreprise, et pourquoi l’avoir fait à Lyon ?
Stim Studio a été créé par Félix Ferrand et Thibaut Vuillin, en commençant par des petites productions, types pubs, petites cinématiques, etc. Puis quand on a pu travailler sur Maurice, Félix m’a contacté afin que je rejoigne Stim Studio, dans un premier temps en tant que superviseur lookdev / groom puis dirigeant associé.
Ca faisait depuis nos études avec Félix qu’on voulait travailler ensemble, on ne savait ni quand, ni sous quel forme, et ça a donné Stim Studio. On avait tous les deux travaillé sur beaucoup de longs métrages que ce soit en VFX ou en animation, dans le monde entier et on souhaitait voir l’autre côté du métier.
La réalité c’est aussi qu’on avait beaucoup de demandes de travail freelance dans nos spécialités respectives (groom et rig facial pour Félix) et on savait qu’en créant une structure on allait pouvoir faire travailler des artistes avec nous et pouvoir construire quelque chose.
Lyon c’est pour plusieurs raisons, la première c’est que Félix et Thibaut ont enseigné à l’école Bellecour et l’ESMA Lyon.
La deuxième, c’est qu’on ne souhaitait pas aller à Paris, et qu’on voulait une région et une ville quand même conséquente dans laquelle développer le cinéma d’animation et l’audiovisuel ferait sens.
Une des autres raisons, c’est la proximité avec quasiment toutes les villes de France (on est rapidement à Montpellier ou à Paris), et donner la possibilité aux artistes et superviseurs d’avoir un cadre de vie qui nous semble bon, avec un coût de la vie moindres qu’en Île-de-France. En gros, on voulait s’assurer que nos artistes y trouveraient leur compte et pourraient s’ils le souhaitent se voir ici sur du long terme.
Pour conclure sur Stim Studio, Benoit Gielly qui est un expert pipeline et rigging et aussi un ami de longue date nous a rejoint en tant que troisième associé suite au départ de Thibaut. Ce qui nous permet désormais de mettre les bouchées doubles sur le développement interne du studio et de pouvoir avoir les outils nécessaires pour les gros projets de séries ou long métrage.
3DVF : Quels services sont proposés par Stim Studio ? Et peuxt-tu nous en dire plus sur vos projets récents/en cours?
A Stim on fait « tout ». On est capable de prendre des projets complets, de A à Z, que ce soit dans l’animation, les VFX, les cinématiques etc.. De part Maurice, et nos passifs, on a une grande expertise en assets (personnages), et notamment en groom et rig facial. Ce qui nous permet de travailler et d’aider des gros studios tels que Framestore, Atomic Cartoons, Dneg et autres sur leurs productions. On a beaucoup de projets à venir et en cours, beaucoup sous NDA malheureusement. On vient tout juste d’annoncer un partenariat avec Mercury pour une co-production franco – canadienne d’Octicorn ! [NDLR : future série preschool 52×11 minutes mettant en scène une pieuvre-licorne]
On devrait revoir Stim Studio prochainement sur des longs métrages et de la série en plus de cela! ;). En dehors de ça, on continue de faire grandir le studio, et on travaille beaucoup sur de la pub en parallèle, et nos propres productions!
3DVF : Beaucoup de studios français (et internationaux) essaient d’améliorer leur empreinte carbone. Est-ce que vous travaillez sur ce point ? Comment ?
Bien sûr, on a été au RADI-RAF [NDLR: voir les conférences en vidéo], et c’est forcément quelque chose sur lequel on essaie de travailler. C’est jamais facile dans une industrie où on utilise des ordinateurs, et des fermes de rendus qui tournent potentiellement nuit et jour, mais ça fait partie de nos objectifs 2022-2023. On va se pencher sur des solutions adaptées à notre échelle et voir ce qu’on peut faire pour continuer d’améliorer le studio, la qualité de vie des graphistes, et diminuer notre impact écologique.
NDLR : les conférences des RADI-RAF 2022 sur l’écoresponsabilité (avec Miam! Animation, TeamTO) et la transition écologique (labels, calculateurs carbone, CNC, impact sur les aides) donneront aux studios et artistes qui nous lisent des pistes sur ces thématiques.
3DVF : Quelques mots sur l’avenir de Stim Studio ? Quels sont vos projets à moyen, long terme ?
On a depuis le début plusieurs objectifs, dans un premier temps de pérenniser le studio, pouvoir avoir un certain nombre de graphistes à temps plein, qui travaillent sur des productions récurrentes, sans qu’ils se demandent si le mois prochain ils seront là ou non.
C’est pourquoi on se développe sur différents axes:
- Continuer la prestation pour les studios, que ce soit en pub, long, court, cinématique ou autre.
- On se lance aussi dans la co-production, avec Mercury sur le projet Octicorn, sur de la série Pre-school! Ce qui devrait nous permettre de passer une étape, celle du prestataire à celle du studio de production.
- On développe en interne nos propres productions qu’on va présenter au fur et à mesure de l’année et notamment à Annecy pour Les Aventures De Lou. C’est une série 6-10 ans, d’aventure et éducatif, l’histoire d’une petite fille qui est à l’école et en fermant les yeux, se retrouve dans le monde / le sujet abordé par sa maîtresse (par exemple, le trailer que nous développons parlera du système solaire!).
On avait vraiment envie de pouvoir créer nos propres séries, long métrage et se lancer dans la production. C’est ce qui, nous l’espérons, va nous permettre sur du moyen – long terme de faire de Stim Studio un acteur majeur du cinéma d’animation en France!
Pour en savoir plus :
- La fiche de Stim Studio sur 3DVF, celles de Studio Rakete, Red Star.
- Les sites de Stim Studio, Studio Rakete, Red Star.
- N’hésitez pas à suivre 3DVF sur les réseaux sociaux et plateformes : Youtube, Instagram, Facebook, Twitter, LinkedIn.
