Interview : Laurent Caneiro, animateur chez Dreamworks

Laurent Caneiro

 

3DVF : Comment s’organise la répartition des plans et personnages ?

L.C. : Le casting des plans est fait par le directeur d’animation en consultation avec les superviseurs. La répartition des plans est un exercice très compliqué car elle prend en compte plusieurs critères en même temps:
– Les plans sont d’abord répartis selon les équipes et le personnage qu’elles animent.
– Ils essaient parfois de donner des morceaux de séquence pour faciliter l’animation des raccords entre des plans qui s’enchaînent. Il faut donc prévoir le temps que prendra l’animation de tous ces plans.
– La disponibilité des animateurs par rapport aux plans qu’ils ont déjà à faire.
– Evidemment le choix de donner tel ou tel plan à un animateur se base aussi sur ses points forts afin de profiter de là où il est le plus efficace… Mais parfois il peut être décidé de lui donner au contraire des plans différents pour ne pas l’enfermer dans certains type de plans.
– Les animateurs eux-mêmes peuvent demander s’ils peuvent avoir tel ou tel plan parfois et c’est souvent pris en compte dans la mesure du possible.
 

3DVF : Quels sont vos relations avec l’équipe de rigging ?

L.C. : Les animateurs n’ont pas vraiment de relations directes avec le rigging, à part dans des cas particuliers. Sur Puss in boots par exemple, j’ai eu à travailler avec une personne du rigging pour le personnage de l’oie géante, car je devais vérifier le personnage puis faire la librairie d’animation (cycle de marche/course et le cycle de vol) avant que tout le monde commence à animer sur les séquences où le personnage était présent. Dans l’ensemble cela s’est très bien passé, mais mon expérience avec eux n’est pas assez grande pour pouvoir en faire une généralité.

3DVF : En quoi le fait de passer d’un réalisateur à l’autre change-t-il ton travail ? Certains ont-ils été plus présents que d’autres ?

L.C. : A mon niveau, selon le réalisateur, j’essaie d’adapter le degré de détails de mes blockings et je montre ou pas des vidéos de références avant de me lancer dans un plan.
Chaque réalisateur a sa propre personnalité et a ses propres connaissances techniques dans l’animation, certains ont été animateur dans leur carrière et ont la capacité de donner des notes très précises techniquement, pendant que d’autres vont plus se focaliser sur le feeling du plan et s’assurer juste que la performance proposée par l’animateur corresponde aux points importants du plan et laissent ensuite les superviseurs se charger de travailler avec l’animateur pour que le plan soit techniquement abouti.

Quoi qu’il en soit, le département s’adapte toujours en conséquence et rajoute ou enlève des étapes entre lui et l’animateur selon ce qui s’avère être le plus efficace.
Une production c’est toujours un équilibre, une alchimie entre la personnalité du réalisateur + des producteurs + du directeur d’animation + des superviseurs + des animateurs + des personnes en charge de la gestion de production. De ça, va se créer une manière de travailler propre au film avec un état d’esprit. Il y a donc en général une adaptation à chaque début de film, jusqu’à ce que l’équilibre soit trouvé. Chaque film est différent et c’est ce qui rend aussi l’expérience intéressante.

Megamind

Megamind
Megamind / Dreamworks – Paramount Pictures

3DVF : Quels sont tes points forts en tant qu’animateur ? Sur quels types de scènes ou personnages te sens-tu le plus à l’aise ?

L.C. : On me donne la plupart du temps des plans d’actings, je suppose donc que les gens sont satisfaits de ce que je fais dans ce type de plans.

J’aime bien les personnages assez extrêmes, soit excentriques ou au contraire timides/introvertis, ce sont des personnages qui cachent beaucoup leurs vrais sentiments et il y a plein de choses intéressantes à faire pour trahir leurs sentiments au travers de mimiques ou de petits mouvements incontrôlés de leur part.

Je suis également assez à l’aise pour faire des vidéos de références, on me demande souvent de l’aide pour faire les références des autres.

3DVF : Inversement, quels sont tes points faibles ?

L.C. : Depuis que je suis à Dreamworks, je n’ai pas eu l’occasion de travailler sur un de leurs projets très cartoon (comme Madagascar par exemple), du coup j’appréhende un peu le jour où ça arrivera !

J’imagine qu’avec le training de départ, tous les réflexes reviendront, mais il y a toujours cette petite appréhension.

Aussi, je suis souvent maniaque avec mes courbes d’animation pendant le polish des plans, je travaille tout en Bézier et je passe parfois beaucoup de temps à cleaner toutes les courbes une par une, alors que certaines ont des valeurs si faibles qu’elles n’ont quasiment aucun impact visuel, je perds donc parfois du temps avec ça, il faut que j’apprenne à me focaliser seulement sur les courbes qui ont une influence visible. 😉

3DVF : Quels ont été les plans les plus délicats à gérer, sur les films auxquels tu as participé chez Dreamworks ? Comment as-tu résolu les problèmes rencontrés ?

L.C. : Je me souviens surtout d’un plan dans How to train your dragon, à la fin du film, après que Hiccup se soit réveillé et levé du lit, il se dirige vers la porte pour sortir de la maison, en sautillant car il a une prothèse et en s’appuyant sur Toothless  (le dragon principal, Krokmou en VF), la caméra est dans leur dos.
Dans ce plan on devait comprendre, en plus de l’action à faire, que les deux personnages étaient désormais plus proches que jamais, et pour cela je devais aussi faire passer la queue du dragon devant la caméra pour rappeler que tous les deux avaient le même type de handicap (Hiccup sa jambe, Toothless sa queue). C’était donc un plan très important, qui racontait beaucoup de choses et qui comportait aussi beaucoup de problématiques techniques à prendre en compte:
– Le rig de la prothèse n’était pas aussi développé que tout le reste, car le rigging avait eu très peu de temps pour le faire. Du coup, j’ai dû animer son pied ainsi que le genou en IK, complètement indépendant du corps et indépendant l’un de l’autre !
– Je me rappelle que la caméra avait une grande focale, ce qui donnait l’impression que les personnages avançaient très peu, et cela a été difficile de donner l’impression qu’ils parcouraient une certaine distance jusqu’à la porte.
– J’avais animé que des humains depuis le début du film et là, c’était le premier plan que l’on me donnait avec un Dragon, je n’étais donc pas un expert de leur rig, je le connaissais un peu car j’avais eu le training au début du film, mais cela faisait déjà plusieurs mois.
– Comme Hiccup devait s’appuyer sur le Dragon, cela rajoutait une difficulté technique supplémentaire.

J’ai résolu tous les problèmes en travaillant par passes: déplacement rough des personnages, contacts des pieds et des pattes, animation d’Hiccup sans tenir compte de sa jambe blessée et du contact avec le dragon, animation et ajustement de la jambe ensuite, une nouvelle passe pour réajuster l’ensemble, puis repasser sur tous les éléments, un par un, pour que tout soit polishé proprement. Il a fallu garder son sang-froid et avoir confiance dans le processus, dans ce genre de plan, le résultat n’est pas très esthétique pendant longtemps, c’est seulement quand on a presque fini que tout à coup le plan prend forme. Heureusement que le directeur d’animation avait totalement confiance en moi et savait que j’arriverais à faire quelque chose de propre à la fin, même si cela n’allait pas se voir au blocking.

Megamind
Megamind / Dreamworks – Paramount Pictures

3DVF : De quel film/scène es-tu le plus fier, et pourquoi ?

L.C. : Je suis fier d’avoir travaillé sur How to train your dragon, car le film est unique et la production était excellente, j’en ai un très bon souvenir, mais je pense que c’est sur Puss in boots que j’ai eu le travail le plus gratifiant à faire de ma carrière et où j’ai eu la sensation d’avancer le plus dans mon apprentissage continuel de l’animation. Mon superviseur, Olivier Staphylas, était vraiment super, il a su utiliser le meilleur de ce que je pouvais offrir et le mettre au service de son personnage et du film. Il m’a en plus de ça, donné certaines responsabilités. On a fini en étant récompensé par une nomination aux Visual Effect Society (VES) Awards. Ce film restera une aventure inoubliable pour moi. 🙂

3DVF : Comme beaucoup de studios, Dreamworks fait appel au crunch time, avec des périodes durant lesquelles les artistes ont des semaines particulièrement chargées… Comment arrives-tu à le gérer, et à conserver une vie personnelle ?

L.C. : Dans mon cas, j’imagine que c’est un petit peu plus facile que pour d’autres, du fait que je n’ai pas encore d’enfant. J’ai en plus la chance d’avoir une femme très compréhensive et habituée à ce que je fasse des périodes chargées, du coup ce n’est généralement pas un gros problème.
Dreamworks essaye aussi de limiter ces périodes en essayant de nous faire travailler un samedi de temps en temps pendant la production, afin d’éviter de devoir faire tous les samedis pendant deux mois à la fin, ou trop d’heures supplémentaires pendant trop longtemps. De plus, quand on doit venir un samedi, on peut faire venir la famille le midi pour manger ensemble et il arrive qu’il y ait un service de garderie pour les enfants qui soit mis en place. Tout est fait pour réduire au maximum les problèmes occasionnés.

3DVF : Avec plus de 3 ans chez Dreamworks, tu es resté plus longtemps à Glendale que dans n’importe lequel des studios chez qui tu as travaillé… Signe que tu comptes bien y rester encore un moment ? Où te vois-tu dans quelques années ? Quelle serait ton évolution en termes de responsabilités ?

L.C. : La position à responsabilités la plus proche pour un animateur, est la position de superviseur. C’est un rôle que j’ai déjà eu dans le passé, quand je travaillais sur Paris et qui m’avait bien plus. C’est une position qui pourrait certainement m’intéresser également à Dreamworks dans le futur, en plus d’être un vrai challenge, mais ce n’est pas non plus un objectif que je me fixe absolument. Je pense que si je suis prêt un jour et si une équipe me voit vraiment fait pour prendre en charge un personnage en particulier, les choses se feront naturellement, autrement je suis déjà très heureux d’être dans des conditions qui me permettent de pouvoir pousser mes plans le plus loin possible et donc de pouvoir continuer d’apprendre tous les jours. Un autre aspect qui pourrait m’intéresser tout autant, c’est d’enseigner aux autres.

3DVF : Quels sont les artistes qui t’ont le plus influencé et inspiré ?

L.C. : Avant d’être attiré par l’animation, j’ai d’abord été attiré par la bande dessinée et l’illustration, et quand j’étais ado, des auteurs comme Uderzo, Franquin, Frazetta, Crisse ou Olivier Ledroit, m’inspiraient beaucoup.

Au niveau de l’animation, sans connaître leurs noms à l’époque et au travers des dessins animés qui passaient à la TV quand j’étais enfant, des artistes japonais comme Shingo Araki, Masami Kurumada, Hayao Miyazaki, Tsukasa Hojo ou encore Akemi Takada, m’ont fait rêver et m’ont fait aimer le dessin animé.
Plus tard, ce sont des artistes comme  Glenn Keane, Andreas Deja, James Baxter ou encore Kristof Serrand, qui m’ont inspiré et qui ont été des références pour moi et qui le sont d’ailleurs toujours aujourd’hui.

Puss in Boots
Le Chat Potté / Dreamworks – Paramount Pictures

Pour en savoir plus :

Le site de Laurent Caneiro.

 

Megamind
Megamind / Dreamworks – Paramount Pictures
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