Animateur chez Dreamworks Animation, Laurent Caneiro a pu travailler sur des films tels que Dragons, Megamind, Le Chat Potté ou, actuellement, Les Cinq Légendes (Rise of The Guardians en VO). |
Nous vous proposons aujourd’hui de revenir sur son parcours et ses méthodes de travail, sur sa perception de Dreamworks et du métier d’animateur. |
3DVF : Bonjour Laurent, et merci d’avoir accepté de répondre à nos questions. Laurent Caneiro : J’ai fait un bac professionnel en comptabilité avant de me décider à changer complètement de direction et de me lancer dans l’animation, je suis alors rentré au LTAM (Lycée Technique des Arts et Métiers) situé au Luxembourg, c’était une formation de 2 ans (BTS) en animation traditionnelle 2D, j’ai ensuite fait une formation complémentaire de quelques mois en 3D de manière autodidacte. J’ai alors eu mon premier job d’animateur à Oniria Pictures (Luxembourg) où j’ai travaillé sur la série Bob’s beach et sur le film Tristan et Iseult, je suis ensuite parti sur Paris pour travailler pour le studio Sparx, sur la série Rolie Polie Olie, puis après un court passage à Ubisoft, j’ai été contacté par le studio IMPS en Belgique, le studio des Schtroumpfs, là où sont dessinées les BD notamment ; après avoir vu mon court-métrage Pom Pom, ils m’ont proposé de travailler avec eux dans le développement de l’univers des Schtroumpfs en 3D, dans le but de faire un pilote pour le film. |
3DVF : Comment s’est passé le recrutement chez Dreamworks ? Et pourquoi avoir voulu quitter l’Europe ? L.C. : Je suis allé aux États-Unis pour avoir l’opportunité d’être aux côtés des personnes les plus douées dans le domaine et pour travailler pour une des compagnies les plus expérimentées dans la fabrication de films d’animation. C’était un de mes gros objectifs depuis mes débuts dans l’animation, j’ai donc orienté tout mon parcours dans ce sens, notamment en allant chercher les projets intéressants là où ils étaient dans toute l’Europe, et se fut un apprentissage incroyable, j’ai rencontré des gens formidables et eu à expérimenter des manières de travailler très différentes selon les endroits, chaque fois avec des points forts et des points faibles. Je pense que cela a été une véritable chance d’avoir pu le faire, et je n’oublie pas de remercier ici ma compagne qui m’a toujours suivi et qui s’est toujours parfaitement adaptée aux endroits où l’on devait aller. 🙂 Pour le recrutement, ça s’est passé à la fin du film Planet 51, j’ai envoyé ma demoreel à Dreamworks, j’ai reçu assez rapidement un email me proposant de faire une interview par vidéo-conférence, qui s’est très bien passée ; J’ai par contre dû attendre environ 2 mois pour recevoir une proposition, car même s’ils étaient intéressés de m’avoir dans leur équipe, il n’y avait pas de poste disponible immédiatement. |
3DVF : Depuis ton arrivée, sur quels films as-tu travaillé ? Quels étaient tes rôles sur les différents projets ? 3DVF : En enchaînant différents studios des deux côtés de l’atlantique, on imagine évidemment que les méthodes de travail ont pu changer radicalement, de même que les outils… Quels ont été les bouleversements les plus notables ? L.C. : Le dernier studio dans lequel j’ai travaillé avant d’aller à Dreamworks, était Ilion, où j’ai travaillé sur le film ‘Planet 51’, le studio essayait de fonctionner sur le modèle américain, ce qui m’a permis de faire un premier pas dans cette façon de travailler avant même de venir aux États-Unis, mais quand je suis arrivé, j’ai quand même pu apprécier quelques différences… |
Tout d’abord quand tu commences sur un film, tu as toujours une petite phase de mise en jambe pour t’adapter à l’équipe et au style du film, soit on te donne des exercices prévus, soit tu as un training spécifique. Sur How to train your Dragon par exemple, on avait eu la « Flight School », pour s’assurer que tout le monde sache animer un cycle de vol, un atterrissage et un décollage de dragon, à la fin on s’est vu remettre un petit diplôme pour symboliser la fin du training et le début des plans de production. Au niveau des outils, on travaille sur de gros PC HP, mis à jour et changés régulièrement et l’on travaille sur des logiciels propriétaires, développés en interne, pour lesquels on a une formation lorsque l’on arrive. |
Dragons / Dreamworks – Paramount Pictures
3DVF : Du côté de l’ambiance et de la culture d’entreprise, quelles ont été les différences ? L.C. : Il y a une véritable culture d’entreprise à Dreamworks, qui est déjà dû à l’histoire du studio et de la place qu’il représente dans le monde de l’animation en général. Mais au-delà de ça, tout est fait pour l’entretenir. On a par exemple régulièrement des « updates », c’est-à-dire de gros meetings avec tous les employés réunis, dans lesquels on est informé de toutes les choses importantes qui touchent au studio, des choses prévues dans le futur, des résultats financiers, mais également on nous présente le travaille artistique fait dans les différentes productions, afin que l’on se fasse une idée de tout ce qui est en cours de production. 3DVF : L’adaptation a-t-elle été facile, au final ? La langue a-t-elle posé un problème ? L.C. : Ayant eu déjà l’expérience d’avoir travaillé dans des pays étrangers avant de venir (Luxembourg, Belgique, Espagne), l’adaptation aux États-Unis n’a pas été trop difficile, en particulier du fait que Dreamworks facilite grandement les choses afin que cela se passe au mieux. 3DVF : Quelle est ton approche, que ce soit sur le plan technique ou artistique, lorsque tu traites un plan d’animation ? L.C. : Chaque plan a sa propre histoire entre le moment où on le reçoit à faire et le moment où il part au département suivant. Selon le plan que j’ai à faire, je peux être amené à procéder de différentes façons, mais de manière générale, il y a un certain nombre d’étapes qui s’enchaînent: |
– Je regarde le montage de la séquence en layout et en storyboard, pour voir le plan dans son contexte, je porte une attention toute particulière à ma première vision qui peut parfois être intéressante. – S’il s’agit d’un plan de physique, je vais ouvrir la scène en 3D pour analyser l’espace géographique que j’ai réellement dans le décor et me faire une rapide idée de ce qui peut être fait ou pas avec la durée du plan. – Si c’est un plan d’acting, j’écris la ligne de dialogue et analyse quels syllabes ou mots sont appuyés, où sont les respirations etc… Je joue ensuite le plan en boucle un certain nombre de fois, avec 1 ou 2 plans de contexte avant et après, pour laisser parler mon imagination. Dans cette étape, j’essaie toujours de bien faire attention aux sentiments du personnage pendant son dialogue, afin de déterminer ce qu’il pense réellement, car il peut par exemple penser ou ressentir l’inverse de ce qu’il prétend dire. – Je discute avec mon superviseur des idées que j’ai. – C’est en général après ces étapes que j’ai l’opportunité de voir le réalisateur afin qu’il me donne ses intentions pour le plan et discuter avec lui des idées que j’ai eues dans ma réflexion. – Quand je le peux, j’aime bien faire des vidéos références pour avoir quelque chose à montrer qui représente plus concrètement mon idée. Je montre donc cette ou ces vidéos à mon superviseur, puis au réalisateur. – Pour mon blocking, je fais une passe sur le visage pour avoir une idée bien précise de ce que je veux pour les yeux et un minimum de poses de bouche qui marquent les moments importants. – Je montre au réalisateur, si les étapes précédentes ont bien été faites, il est rare de devoir tout refaire. – Je passe en refine/polish en prenant en compte les notes du réalisateur. Selon le plan et selon ce qui s’est passé quand j’ai montré le blocking, je montrerai soit le plan complètement polishé directement ou soit je passerai par une étape intermédiaire, pour m’assurer que je suis toujours dans la bonne direction. |
Dragons / Dreamworks – Paramount Pictures
Le Chat Potté / Dreamworks – Paramount Pictures
3DVF : Quelle est ta méthode pour conserver un personnage « homogène » et cohérent quand tu animes, sachant que d’autres artistes ont également travaillé dessus ? L.C. : En plus des librairies faciales et de mouvements qui sont créées pour chaque personnage, on a une organisation au niveau du département pour conserver l’homogénéité des personnages et pour gagner en efficacité dans la production. 3DVF : Peux-tu nous raconter le déroulement d’une journée type de travail ? L.C. : On commence souvent les journées par des dailies, pour ceux qui ont besoin de montrer leur plan au réalisateur ou pour ceux qui veulent y assister pour garder un oeil sur ce qui est fait actuellement. Ensuite, le HOCA (directeur d’animation) suivi parfois des superviseurs, font une « ronde » pour aller voir tous les animateurs individuellement et faire le point avec eux de leur plan respectif et réajuster les estimations si nécessaire. Autour de 10h se placent les éventuelles réunions avec son équipe. On anime ensuite jusqu’au repas de midi. |
3DVF : Lors d’une précédente interview en compagnie de trois autres artistes travaillant ou ayant travaillé chez Dreamworks, Ludovic Bouancheau nous expliquait que chaque étape des plans (blocking, animation, passe finale) devait être validée par le superviseur puis par le Head Of Character Animation avant d’être montrée au réalisateur. Le cadre semble finalement très structuré… Conserves-tu tout de même une certaine liberté ? L.C. : Cela dépend beaucoup du moment où on en est dans la production. Quand on est au début, il y a généralement beaucoup d’étapes avant de pouvoir montrer au réalisateur car les superviseurs et le directeur d’animation veulent pouvoir avoir leur mot sur tout ce qui va être montré. Aussi, le réalisateur lui-même peut parfois toujours être dans la recherche d’un style pour un ou plusieurs personnages, et on se retrouve donc parfois à devoir faire des animations bien précises, sans vraiment avoir beaucoup de marge de manœuvre personnelle. Mais plus on avance dans le film et plus la liberté des animateurs grandit en même temps que les personnages sont de mieux en mieux maîtrisés par tout le monde. J’ai le sentiment d’avoir finalement souvent le choix dans la performance des personnages dans mes plans, je dois juste faire attention à bien suivre les intentions du plan et incorporer tous les éléments indispensables pour la continuité de l’histoire. |
Dragons / Dreamworks – Paramount Pictures
Le Chat Potté / Dreamworks – Paramount Pictures