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D’Illumination à Pixar: rencontre avec Eddy Okba

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Formé au sein de l’ESRA, l’animateur Eddy Okba travaille depuis 2009 dans le secteur de l’animation. Chez Illumination Mac Guff, Sony Pictures Imageworks, Bron Animation, Animal Logic et enfin chez Pixar, il a eu l’occasion de travailler sur des licences telles que Moi, Moche et Méchant, Tous en Scène, Spider-Man ou encore le futur film Buzz L’Eclair.

Nous vous proposons de revenir en sa compagnie sur sa carrière et ses projets les plus marquants, mais aussi sur sa vision de l’animation et son expérience dans les studios.

3DVF : Bonjour Eddy et merci de nous accorder cette interview ! Tout d’abord, peux-tu revenir sur ton parcours et ce qui t’a poussé à devenir animateur ?

Eddy Okba : Merci de m’accueillir. Je suis originaire de Paris, étant enfant j’étais fasciné par les films d’animation et les bandes dessinées, en particulier les mangas. J’en ai lu des tonnes durant mon enfance, essayant de reproduire les dessins dont j’étais tombé amoureux, faisant avancer des VHS Disney du Roi Lion ou d’Aladdin image par image pour dessiner les personnages.
J’ai su très tôt que je voulais vivre du dessin, du fait de raconter des histoires. Les bandes dessinées semblaient naturelles pour moi, puisque vous n’avez besoin que d’une feuille de papier et d’un stylo.
L’animation semblait inaccessible en tant qu’enfant. Beaucoup de personnes impliquées, des caméras, des ordinateurs, c’était quelque chose que je ne pouvais pas imaginer même après des milliers d’heures passées à regarder des films d’animation. Après le lycée j’ai donc rejoint une école d’art (Emile Cohl) afin de devenir illustrateur ou dessinateur de BD. Nous avions beaucoup de cours différents, comme la sculpture sur glaise, le character design, l’anatomie et l’animation 2D. J’étais soufflé par cette dernière, c’était vraiment extraordinaire de voir mes dessins bouger. J’ai tellement apprécié que je me suis réorienté pour faire de l’animation et j’ai rejoint une école dédiée, l’ESRA, à Paris.

3DVF : Tu as passé 8 ans chez Illumination Mac Guff, en tant qu’animateur de foules puis animateur senior. Quelques mots sur cette partie de ton parcours ? Quels films/plans ont été les plus mémorables en tant qu’artiste, et pourquoi ?

Travailler chez Illumination Mac Guff a été formidable ! J’ai rejoint le studio juste après ma sortie de l’école, et même si le studio existait depuis des années en tant que Mac Guff Ligne, c’était alors le début du partenariat avec Illumination. J’ai eu la chance d’en faire partie tandis que l’équipe devenait de plus en plus grande.

Mon premier poste a été d’animer les foules, j’étais dans l’équipe en charge des personnages qui peuplent le film en arrière-plan. À la base, l’équipe crowd a été créée pour Moi, Moche et Méchant afin de gérer les minions. Ils ne devaient initialement être qu’une poignée, puis quelques dizaines, et rapidement des centaines. J’ai beaucoup appris à ce poste, car vous devez créer des animations crédibles et naturelles, mais qui n’attirent pas trop l’attention. On ne doit pas voler la vedette aux personnages principaux donc il faut un jeu subtil. On apprend aussi à faire attention aux détails auxquels personne ne prête attention, mais que le public va tout de même ressentir. Et je pense que c’est une des qualités indispensables pour être un bon animateur (ou un artiste en général). On s’est par ailleurs beaucoup amusés en créant de petites histoires et actions dans l’arrière-plan.

Le Lorax a été le premier film d’animation sur lequel j’ai travaillé, donc je garde une tendresse particulière pour lui.
Un de mes premiers gros plans délicats à gérer était sur Moi, Moche et Méchant 2, lorsque j’ai dû animer une cinquantaine de minions en train de se faire kidnapper par le camion d’un glacier. Tous ces éléments rendaient le plan difficile sur le plan technique, et c’était aussi un défi en termes de chorégraphie, car chaque minion devait avoir une performance et une personnalité spécifiques. J’étais assez dépassé à un moment, mais j’ai finalement réussi à faire valider mon plan, avec l’aide des superviseurs d’animation.

Ensuite, j’ai rejoint la principale équipe de character animation sur Les Minions. J’ai adoré travailler dessus, ça a vraiment été un effort collectif pour rendre le film très fun. Les superviseurs et le réalisateur demandaient tout le temps des idées et des retours de la part de l’équipe. Ce n’était pas une tâche facile, car il y avait beaucoup d’attentes.

Certains des plans dont je suis le plus fier sont ceux de Tous En Scène avec Johnny qui chante I’m Still Standing durant le show final. J’aime vraiment ce film et j’ai appris beaucoup durant sa fabrication. Tout le monde était très impliqué, l’équipe a vraiment tout donné. Et quand on m’a confié ces plans j’étais vraiment ravi, car je m’identifie à Johnny et je voulais vraiment le ressentir, le faire s’exprimer pleinement durant sa performance.

Recherches pour Johnny dans Tous en Scène, inspirées par Elton John et Freddie Mercury.
Crédit : Eddy Okba pour Illumination

3DVF : À l’été 2021, tu as déménagé et tu as posé tes valises chez Sony Pictures Imageworks. C’était donc ta première expérience hors de France : a-t-il été difficile de t’adapter à ce nouvel environnement ? Quelles sont les différences que tu as perçues entre Sony et Illumination ?

J’ai été contacté par Sony pour travailler sur un projet animé Spider-Man. J’avais toujours voulu voir l’étranger, en particulier l’Amérique du Nord, où tous les grands studios sont situés. Je ne savais pas grand-chose du projet, et il était difficile de quitter Illumination où j’avais tant appris et où je connaissais tout le monde. Mais j’avais une grande envie de découvrir une autre culture, une autre façon de faire les films et Sony m’a souvent impressionné avec ses projets animés (Les Rois de la glisse, Tempête de boulettes géantes, Hôtel Transylvanie).

L’adaptation n’était pas évidente dans le sens où je ne connaissais qu’Illumination, j’avais 8 ans d’habitudes, mais en même temps ça a été facile, car les gens sont vraiment gentils, et ils ont un excellent pipeline, de très bons outils.
Pour la différence entre Sony et Illumination… Je suis donc resté 8 ans chez Illumination et chaque projet est différent, alors que je n’ai travaillé que sur Spider-Man: New Generation chez Sony. Mais Illumination est un studio d’animation qui fait ses propres films. Sony est vraiment énorme et ils ont de multiples projets en parallèle : des films à effets visuels, des films pour d’autres clients, leurs propres films d’animation. Chez Illumination on a le sentiment de faire partie d’un studio, chez Sony on a le sentiment de faire partie de l’industrie.

3DVF : Tu as donc travaillé sur Spider-Man: New Generation (Spider-Man: Into the Spider-Verse en VO) en tant que Senior Character Animator. A-t-il été difficile de travailler sur un film à l’approche si stylisée ? Et quelle a été ta réaction lorsque le film a été oscarisé ?

Le superviseur d’animation Josh Beveridge m’avait prévenu en entretien que ce serait un challenge difficile, car ce serait un projet qui sortirait des sentiers battus. Et ce fut le cas ! J’ai rejoint le projet relativement tôt et nous avons lutté pour trouver le bon style, la bonne performance d’animation. Mais tout le monde avait conscience de travailler sur quelque chose de très spécial, et la motivation était là. De plus, l’équipe a développé des outils excellents pour étayer le travail du département animation. Outils qu’ils ont d’ailleurs utilisés sur d’autres films par la suite.
J’aimais beaucoup Spider-Man étant petit et pouvoir l’animer, en particulier ici avec Miles Morales, était vraiment génial.

Esquisses pour Miles Morales dans Spider-Man : New Generation, avec études de la pose « 3-point superhero landing ». Les réalisateurs ont finalement demandé à ce qu’une autre pose soit utilisée, Miles n’étant pas encore un super-héros à ce stade du film ; il est encore effrayé par ses pouvoir.
Crédit : Eddy Okba pour Sony Pictures ImageWorks / Sony Pictures Entertainment
La pose finalement retenue – crédit : Sony Pictures Entertainment

Lire les commentaires sous le premier teaser était extraordinaire pour l’équipe, nous pouvions sentir l’excitation autour du film et quand il est sorti avec toutes ces critiques enthousiastes et positives, nous avons commencé à croire à un Oscar. Gagner face aux Indestructibles 2 fut surréaliste. J’ai travaillé sur Moi, Moche et Méchant 2 qui avait été nommé dans la catégorie meilleur film d’animation en 2014, mais il semblait impossible à l’époque de gagner face à Pixar et Disney.
Après cette victoire, j’étais très heureux et fier de toute l’équipe !

3DVF : Par la suite tu as passé environ un an chez Bron Animation, sur le film d’animation La Famille Willoughby. Le studio est d’une dimension plus réduite que Sony ou Illumination : comment cela a-t-il affecté ton travail ?
Et que penses-tu de l’animation en step (notamment utilisée sur ce projet), à la fois en tant qu’animateur et passionné d’animation ?

J’étais en contact avec Bron Animation pour travailler sur La Famille Willoughby, et j’ai été séduit par le studio et son équipe. C’était assez rafraîchissant de travailler avec une équipe de taille plus réduite, cela permet de mieux connaître les gens. Et le film est si différent et original, c’était vraiment génial de pouvoir en faire partie.

L’animation en step, ou en « twos » (on anime généralement à 24 images par seconde, animer en twos signifie que l’on garde chaque pose pendant 2 frames, ce qui donne au spectateur le sentiment de voir 12 images différentes par seconde et donne un côté stop-motion) a quelque chose de très charmant et donne un aspect artisanal. Nous l’avions aussi utilisé pour Spider-Man afin de donner un côté comic book/anime, et sur La Famille Willoughby il s’agissait plutôt de donner le sentiment de stop-motion. Dans les deux cas, cela se fait au service de l’histoire.
En tant qu’animateur c’est plus rapide à animer en théorie, car on crée « moins » de frames par seconde, mais cela demande des poses fortes et de bonnes silhouettes. Certains animateurs travaillaient à partir d’une version lissée en 24 images par seconde puis faisaient du « baking » de leur animation en twos, d’autres animaient directement en step. Il y a des avantages et inconvénients, mais les deux fonctionnent. J’animais en spline la plupart du temps puis je faisais sauter une frame sur deux. C’était un peu plus long, mais je trouve cette approche plus confortable, j’ai le sentiment d’avoir plus de contrôle.

3DVF : Plus récemment, tu as travaillé sur Krypto super-chien (DC League of Super-Pets) chez Animal Logic. Il est évidemment trop tôt pour parler du film lui-même, mais peux-tu nous dire quelques mots sur ton expérience chez eux en tant que Lead Animator ? Comment t’es-tu adapté à ce nouveau rôle après des années en tant que Senior Animator ? Y a-t-il eu des surprises ?

Je suis impatient que les gens puissent voir le film. C’était ma première expérience en tant que lead et Dave Burgess, l’animation supervisor, m’a vraiment fait confiance. C’est un vétéran de l’animation avec une expérience démentielle, il vient de Disney et DreamWorks ! Il a travaillé sur Le Roi Lion, Aladdin et d’autres films que je regardais encore et encore étant petit. C’était vraiment magique de travailler avec quelqu’un qui vous a donné l’envie de devenir animateur.

https://www.youtube.com/watch?v=NjOHvTJBqL0
https://www.youtube.com/watch?v=jDCNqTR0qts

Être lead était génial, j’ai vraiment apprécié. J’étais en charge de plusieurs séquences du film et j’ai supervisé les animateurs retenus pour travailler sur celles-ci. J’étais également là pour les aider en termes de support technique et d’échanges avec les autres départements. C’était vraiment agréable de partager et discuter avec les artistes, de les pousser afin qu’ils donnent les meilleurs plans possibles et de voir ce qu’ils ont créé. Il était aussi très intéressant d’être de l’autre côté de la production et de travailler sur les questions d’emploi du temps et de budget. J’avais moins de temps pour animer par moi-même, mais j’ai tout de même pu travailler sur quelques plans, au final.
Quand vous êtes animateur, vous travaillez sur vos plans et vous communiquez avec votre cercle d’amis/collègues. Quand vous êtes lead vous devez échanger avec tout le monde à un moment ou un autre, et chacun est différent. Il était donc intéressant de devoir gérer des personnalités et niveaux différents, du junior avide d’apprendre au senior confiant. Je suis un fan de football donc je me sentais un peu dans le rôle de l’entraîneur qui essaie de faire en sorte que chaque joueur donne le meilleur de lui-même sur le terrain, en fonction des aptitudes de chacun.

3DVF : Enfin, tu télétravailles actuellement pour Pixar, sur leur film Buzz l’Éclair. Là encore, on ne va pas pouvoir parler du film lui-même, mais peux-tu nous parler du télétravail chez Pixar ? En particulier, comment gérez-vous les communications au sein de l’équipe ?

Je pense que c’est assez proche de la manière dont ça se passe dans d’autres studios. Les réunions et reviews se font en visioconférence, et nous restons en contact via une plateforme de communication. Les gens sont très amicaux et on peut donc échanger, discuter à tout moment.
Nous avons aussi quelques évènements sociaux en ligne, et globalement la communication dans l’équipe est très bien gérée. À un niveau plus personnel, j’aimerais pouvoir découvrir le campus « en vrai » ; nous avons eu une visite virtuelle et il a vraiment l’air extraordinaire.

3DVF : Durant ta carrière, les outils employés en animation ont beaucoup évolué. Ces dernières années, les studios ont commencé à adopter des moteurs de jeu ou de l’IA pour améliorer leurs workflows. Que penses-tu de ces évolutions ?

Je crois vraiment au côté artisanal de l’animation, mais si je peux créer de l’animation rien qu’en pensant, ou le faire plus rapidement et mieux, ça me convient tout à fait. De nombreux outils que nous utilisons sont là pour rendre les animateurs plus efficaces ou pour leur faciliter le travail. Mais ils restent des outils, plus pointus peut-être, mais des outils. Ils ne changent pas, pour le moment, la façon dont on anime des personnages. Ce n’est pas comme l’animation 3D qui était une révolution par rapport à l’animation traditionnelle. Je vois l’usage des moteurs de jeu utilisés dans l’industrie du cinéma de la même façon, ils aident les artistes au quotidien à visualiser, ébaucher et mettre en place le monde virtuel plus rapidement. Pour les jeux vidéo c’est une révolution, car vous créez des mondes à 360°, mais pour le cinéma, on reste sur des frames.

3DVF : Où te vois-tu dans quelques années ? Et quel serait le projet sur lequel tu rêverais de travailler, le genre de film sur lequel tu adorerais animer ?

Je suis littéralement en train de vivre mon rêve actuellement en travaillant sur Buzz L’Eclair ! J’ai toujours rêvé de travailler sur un film Toy Story, et animer Buzz est comme jouer avec le jouet que l’on avait étant petit. J’espère pouvoir travailler sur d’autres films Pixar dans le futur, mais je savoure déjà pleinement chaque moment passé sur Buzz L’Eclair.

3DVF : Un conseil pour les personnes qui nous lisent et sont en école d’animation, et/ou veulent devenir artistes ?

C’est un travail extraordinaire avec des gens extraordinaires, mais c’est aussi difficile et compétitif. Il faut aimer ça ! Vous allez lutter, vous aller échouer, mais parce que vous aimez ça, vous allez continuer et devenir d’excellents artistes.

3DVF : Une dernière question : y a-t-il un film/une série d’animation qui t’ont marqué récemment ?

Luca était un gros moment d’émotion pour moi cette année. Le Sommet des Dieux était une très belle surprise également.

Pour en savoir plus

  • Le profil d’Eddy Okba sur LinkedIn.
  • La sortie en salles de Krypto super-chien est fixée au 18 mai 2022 en France, au 20 mai en Amérique du Nord.
  • Buzz L’Eclair sortira cet été au cinéma.

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