Yves Courbet – Digital Kartel

 

3DVF : Il a sans doute fallu jouer de ruse pour obtenir une qualité visuelle alliant des temps de rendu raisonnable ?


Yves Courbet : Oui c’est certain, et la ruse est bien connue, elle s’appelle compositing, autrement dit dans mon cas, Combustion. Il y a sûrement encore beaucoup de graphistes qui essaient de faire des rendus définitifs directement sous leur soft 3D, ce n’est pas impossible seulement c’est très long. Ce que j’ai fait sur le clip, c’est récupérer chaque couche qui allait me permettre de travailler l’image comme je la voulais.

Je calcule les couches manuellement et les exporte en TGA si j’ai besoin de transparence ou JPG si ce n’est juste pour du mode de fusion de calque, pour calculer la couche de profondeur, pour faire une éventuelle profondeur de champ ou brouillard il suffit d’assigner un matériau blanc en shader phong à toute la scène, et de mettre une seule lumière omni ou directionnel avec un réglage d’atténuation, il faut mettre la lumière en mode ambiant. Le principe est de sortir une séquence d’image en noir et blanc qui servira d’information au filtre de Depth of Field sous combustion. Inutile de vous dire le temps gagné, quand on sait que pour faire du Dof en rendu, il faut recalculer la même scène sous différents angles en les superposant petit a petit.



3DVF : Comment vois-tu évoluer les technologies dédiées à la création numérique et quel est ton sentiment face aux évolutions à venir ?


Yves Courbet : Il est vrai que quand on regarde un peu en arrière, on se rend compte du bond incroyable fait en matière de technologie. Alors même qu’on ne pensait pas qu’un jour des choses qu’on voyait dans les films se produiraient réellement sous nos yeux, telles les images holographique façon Starwars, qui sont maintenant une réalité et de bien meilleure facture que dans le film : pour preuve le dernier concert de Gorillaz ! Mais tout n’est pas si évolutif qu’on pourrait nous le faire croire, prenons l’exemple des supports vidéo, si je vous demande qu’elle est le support qui a la meilleure qualité d’image, vous allez très probablement me répondre le DVD et sa soit-disante « qualité DVD » qui me fait bien rire. Vous vous souvenez sûrement de cette grande galette double face de la taille d’un Vinyle à surface brillante qu’on appelait Laser Disc ! Eh bien c’est justement ce support qui a pu apporter la qualité d’image absolue dans nos salons voilà quelques années de ça ! Et pour cause, le Laser Disc était le seul support à proposer une lecture numérique sans compression, et donc aucune perte de qualité, pas un pâté de pixels à l’horizon, une qualité cristalline encore jamais égalée sur support de salon.Mais pour quelle raison le Laser Disc a-t-il disparu ? Tout simplement le marketing, vous imaginez, un DVD ça prend tellement moins de place sur les étalages, on peut en mettre plus à moindre coût et faire tenir plein de bonus promotionnel sur le même support.



Le DVD est bel et bien une des images numériques la plus mauvaise due à sa compression de type MPEG2. Ils arrivent à nous les vendre en nous faisant croire qu’il s’agit de la perfection ! Même constat pour les écrans plats, faut pas être aveugle, un écran cathodique rend une bien plus belle image qu’un écran plat, encore une foi la loi du marketing a frappé ! ça prend moins de place, ça coûte moins cher à faire, le topo est vite fait. Vous allez me dire, oui mais les écrans plats ça supporte le HD et pas les cathodiques et les écrans plats fonctionnent en progressif. Et bien les cathodiques aussi, mais ils n’ont jamais été développés pour le grand public dans leur version HD, capable de diffuser du 24P. Ce qui doit nous préoccuper dans le futur, c’est ce que le marketing va encore nous faire croire pour amoindrir les coûts de production, peut être bien des pseudo-processeurs surpuissants, ou peut être un système d’exploitation avec une stabilité à toute épreuve, le tout camouflé par un superbe habillage d’interface en 3D !


3DVF : Quelle a été pour toi l’évènement le plus marquant de ces 12 derniers mois dans l’industrie de l’image ?


Yves Courbet : L’événement qui a le pavec à ce format pour le cinéma, ça ne va pas changer grand-chose, mais pour les petite sociétés, des changements radicaux vont intervenir, car le HD c’est quand même quasiment 3 fois plus de données qu’un format classique PAL. Les temps de calcul vont être conséquents, ainsi que les textures qui vont devoir tripler de taille. Le hic, c’est que les technologies de support stockage n’ont pas encore des coûts raisonnables pour pouvoir investir dans suffisamment d’espace disque ainsi qu’une bonne vitesse de transfert. Résultat, le montage vidéo devient plus ardu et beaucoup moins souple, les temps de calcul idem, etc.… L’une des solutions bon marché reste l’achat de disques externes et de les mettre en RAID0, ainsi avec 4 disc en RAID on peut arriver aisément à des vitesses de transfert qui commencent à être raisonnable pour le HD.



En production, nous travaillons beaucoup en séquence d’images TGA 32bits, alors imaginez la taille que peuvent prendre 5400 images en 1920×1080 TGA 32bit non compressés et que vous avez en moyenne 6 couches de rendus donc 32 400 images àenviron 8 megas l’image ! Soit 250 gigas de données, sans compter les déclinaisons avec les passes d’effets et les sorties définitives pour report sur bande. Bon, on peut se dire, c’est pas énorme pour 1000 euros on se monte 1 tera avec 4 disc 250 en raid0, la ou ça devient complexe c’est pour l’archivage et le travail sur plusieurs projets en même temps. Autant dire que les petites boîtes vont avoir du mal à supporter l’arrivé du HD si les technologies ne se sont pas optimisées d’ici là ! Bon, il n’y a pas que des mauvais cotés au HD, l’énorme résolution va permettre aux graphistes de s’exprimer avec des détails beaucoup plus poussés, surtout au niveau des matières; avant on faisait souvent des textures très poussées dans le détail qui au final n’étaient que perceptible, avec le HD on se rendra davantage compte du travail abattu par les graphistes.




3DVF : Puisque nous parlons de l’avenir, peux-tu déjà nous parler de tes prochains projets et envies ?


Yves Courbet : Je travaille actuellement sur un autre vidéo clip en full3D, mais cette fois ci en rendu cartoon. L’artiste sera virtuel et médiatiquement parlant, ne mettra pas en avant une personne physique mais numérique, à la manière de Gorillaz, Crazy Frog etc… Sur ce projet, Julien NOEL m’a rejoint mais avec une charge de travail bien plus conséquente que sur Solone et Marli, car il s’occupe à 100% des personnages et de leurs animations. Pour ma part, je m’occupe de la réalisation, décors, composinting, montage, etc.… D’ailleurs ce vidéo clip est bientôt terminé, encore quelques semaines de travail et ce sera bouclé. Je travaille également sur la réalisation d’une série animée pour une très grande enseigne de magasin de meubles, aussi en rendu cartoon.

Par la suite j’aimerais attaquer une série télé en animation puis du long métrage. Si tout ce passe bien d’ici 4 ans cela pourrait se concrétiser. Niveau court-métrage, il y en a un qui me trotte dans la tête depuis un bon moment déjà, mais le niveau graphique qui permettra de lui faire prendre tout son sens est encore loin de ma portée. Avec le temps Digital Kartel se sera formé et ce court pourrait devenir un projet commun d’équipe, car concrétiser ce genre de projet tout seul c’est loin d’être évident. Il y a 3 ans, quand j’ai travaillé avec M6 sur le clip de JUST A MAN, j’étais tout seul. J’avais dû accomplir le travail sur moins de 3 mois et ce fut un vrai challenge. Mais ne pas dormir pendant plusieurs nuits, et être enfermé devant son ordi aussi longtemps non-stop, ce n’est pas une vie. J’encourage les jeunes qui débutent à travailler en équipe, c’est un gain de temps considérable et un partage de connaissance non négligeable.



3DVF : Pour finir, un petit mot pour les lecteurs de 3DVF ?


Yves Courbet : J’aimerais dire une chose à tous les lecteurs graphistes et tous ceux qui débutent dans ce domaine, vous allez rencontrer beaucoup de personnes qui vont essayer d’utiliser votre talent pour arriver à leur fin. Par exemple une des phrases les plus courantes est « travaille avec nous gratuitement et quand ça marche on te payera royalement »; bien entendu se sont des offres à décliner directement, même si ça peut paraître alléchant au premier abord.

A vrai dire, je suis de plus en plus écœuré par l’attitude des producteurs face aux artistes et principalement dans notre beau pays, pas si beau que ça, la France. Vous avez des mains en Or, alors faites bien attention au gens qui vous font miroiter de belles choses, n’acceptez jamais de bosser sans acompte si vous ne connaissez pas la personne, faites encore plus attention à tout ce qui concerne les droits d’auteur, pour vous donner une idée de la réalité, là où l’on m’a fait miroiter monts et merveilles sur les droits d’auteurs que je devais recevoir de la sacem pour l’artiste Just a Man se sont en fait révélé à peine plus qu’un smic sur 1 an de diffusion, soit environ 7 euros par diffusion. Ne soyez pas surpris ! Bienvenue en France. Et puis c’est tout de même le seul pays au monde qui rémunère les droits d’auteurs. Donc n’acceptez pas une soi-disante compensation en droit d’auteur qui ne sera qu’un prétexte pour moins vous rémunérer.



Je vous remercie d’avoir tenu la lecture jusqu’au bout (rire); je sais que je parle beaucoup. Je tiens à remercier tout particulièrement l’équipe 3DVF pour cette interview et leur soutien à toute la communauté d’artistes francophones, ainsi que Said et Jeremy qui m’ont prouvé qu’il peut y avoir des producteurs qui pensent d’abord à l’intérêt de toute une équipe plutôt qu’à leurs intérêts personnels. Merci aussi a Julien NOEL pour sa participation active sur le vidéo clip, David Marli et Yanne Solöne pour leur persévérances dans la musique a mi-chemin entre l’underground et le commercial, à ma famille pour leur soutien, et un grand non remerciement au gens qui ne respecte pas leur paroles !

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