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View Conference 2019 – Rencontre avec Ralph Eggleston (chef décorateur – Pixar)

A l’occasion de la View Conference 2019, qui se tenait récemment en Italie, 3DVF a mis en place un partenariat avec Thomas Martin alias Gorkab, dont nous avons souvent eu l’occasion de partager les vidéos sur l’histoire des images de synthèse.
Le résultat : une série d’interviews en compagnie de nombreux invités de l’évènement, que vous pourrez découvrir au fil des mois à venir.

Voici la première d’entre elles, avec un artiste de choix : Ralph Eggleston des studios Pixar. Il a notamment eu l’occasion de travailler sur Les Aventures de Zak et Crysta dans la forêt tropicale de FernGully, Toy Story, Les Indestructibles, Là-Haut… On lui doit aussi le court-métrage culte For The Birds.
L’interview porte principalement sur le début de sa carrière : premiers projets mêlant animation 2D et 3D, Toy Story 1, For The Birds, Monstres & Compagnie. Ralph Eggleston évoque également la conversion relief, et l’intérêt ainsi que la faisabilité du HFR (fréquence d’images allant au-delà du traditionnel 24/s) pour l’animation.

La vidéo est en anglais, sous-titrée en français (n’oubliez pas d’activer les sous-titres via l’interface Youtube). Vous retrouverez également une retranscription de l’interview plus bas.

Retranscription de l’interview :

Ralph Eggleston : Je travaille aux studios d’animation Pixar, je suis chef décorateur de longs-métrages et vous regardez CGM ! Bienvenue dans CGM !

Thomas Martin, alias Gorkab : Alors ! « Zak & Crysta » était l’un des premiers exemples des années 90 à mixer animation 2D & 3D. Est-ce que vous avez travaillé sur ces éléments à l’époque ?

Ralph Eggleston : Avec mes bons amis Bill et Sue Kroyer je travaillais sur des pubs et des titrages de film et ils avaient un projet, « FernGully » / « Zak & Crysta » et j’ai été pris en tant qu’animateur et concepteur dessus. J’ai aussi travaillé un peu sur l’histoire. Nous avions pas mal de producteurs zélés et souvent, pour les harmoniser, je me retrouvais à faire des petits dessins au pastel pour leur montrer « voilà ce qu’on devrait faire » ou pour montrer à Bill & Sue, et s’ils aimaient ils soutenaient l’idée. Et d’un seul coup, je faisais pas mal de dessins au pastel et ils m’ont nommé directeur artistique !
Je n’avais jamais fait ça avant, donc je me suis dit « je vais tenter le coup ! ». C’est ainsi que j’ai vraiment débuté. C’était le premier film sur lequel je travaillais comme directeur artistique. J’ai fini par storyboarder, animer et concevoir aussi le film mais c’était fun, j’ai appris énormément avec ce film.

Thomas Martin, alias Gorkab : Mais avez-vous travaillé sur les scènes 3D du film ?

Ralph Eggleston : J’ai travaillé dessus, mais c’était surtout travailler avec un Monsieur appelé… Et bien, Bill Kroyer, en fait ! En plus de Brian Schindler et de Mark Pompian, c’était nos deux gars chargés des CG dans le bâtiment à l’époque. J’ai effectivement beaucoup travaillé avec eux. J’avais aussi deux séquences qui ont été… La majorité du film a été peint traditionnellement sur cellulo avec de la vraie peinture et de vrais dessins que vous pouviez tenir dans vos mains. Il y avait deux séquences dans le film qui ont été peintes numériquement pour des questions de temps, car c’était l’une des premières versions. Disney, je crois, était le seul endroit où ça se faisait à l’époque avec de l’encre et de la peinture numérique qui reproduisaient la tradition. On a fait ça et on s’est bien amusés !

Thomas Martin, alias Gorkab : Vous étiez aussi directeur artistique, sur le premier « Toy Story ». J’ai lu que vous étiez un peu responsable de son look « moins synthétique », pas vrai ?

Ralph Eggleston : Je crois que nous l’avons tous été ! Venant d’un background d’art et d’animation plus traditionnels et voyant à quoi ressemblaient les images de synthèse d’alors, trop parfaites et brillantes… Ouais, vous vouliez polluer cette perfection en somme et la rendre imparfaite, lui trouver des imperfections. C’est aussi vrai que cela doit servir l’histoire et les personnages et non se mettre en travers.
Le public veut vraiment se concentrer sur l’histoire et les personnages. Vous deviez choisir vos champs d’action, surtout entre 1992, 93 et 94, quand nous étions en train de faire le film, on ne pouvait pas faire ce qu’on voulait. L’idée même de faire un léger changement de point, de focus, c’était de la folie ! Et très cher !
Nous devions choisir nos imperfections avec soin pour rendre le film un peu plus humain.

Thomas Martin, alias Gorkab : Vous avez aussi dirigé un court, appelé « For The Birds » avec vous prêtant voix à certains des oiseaux, non ?

Ralph Eggleston : Eh bien, j’ai utilisé des jouets, mais oui c’est moi !

Thomas Martin, alias Gorkab : Et il y avait pas mal de recherche et développement sur ce court, tout spécialement sur le système de plumage, pas vrai ?

Ralph Eggleston : C’était un excellent test pour de nombreuses choses. Le système de plumage est devenu celui de la fourrure sur « Monstres & Cie », je crois bien qu’il se partageaient ça. Je ne crois pas que c’était l’un au détriment de l’autre car ils se partageaient des technologies, à essayer de résoudre des problèmes au même moment, vous savez ?
Et vous savez ce que c’est qu’une chips Pringles, celles en tuile ? Nous avions ces choses appelées Pringles, qui autorisaient deux personnages à se toucher. Avant ça, si on mettait deux personnages l’un contre l’autre dans l’ordinateur, ils s’entrecoupaient.
Nous avons créé ces Pringles invisibles qui permettaient aux personnages de se cogner mutuellement.
Bien sûr, maintenant nous pouvons faire bien plus de choses, mais c’était un challenge à l’époque. Tout le court reposait sur ces petits oiseaux entassés, donc bon…

Thomas Martin, alias Gorkab : J’aime beaucoup ce court !

Ralph Eggleston : Merci beaucoup !

Thomas Martin, alias Gorkab : Il était très partagé dans les années 2000. J’adorais particulièrement le gros oiseau, l’un de mes persos préférés.

Ralph Eggleston : C’est super !

Thomas Martin, alias Gorkab : Après, vous avez travaillé sur « Monstres & Cie », mais pas comme directeur artistique ?

Ralph Eggleston : Eh bien, j’étais là dès le début, à travailler sur l’histoire et le développement visuel, avec Pete [Docter], Harley Jessup, le chef décorateur, et nous nous sommes éclatés.
Nous travaillions à Pixar, mais dans un bâtiment séparé, pendant la période de développement.
Vous savez qui d’autre y était ? Jill Culton, qui est aussi ici [au VIEW] ! On a pu bosser ensemble, un vrai plaisir ! On dessinait toutes nos idées folles, quoi.

Thomas Martin, alias Gorkab : Après plus de 20 ans à Pixar, qu’est-ce qui a le plus évolué, selon vous ?

Ralph Eggleston : Eh bien, la base d’outils et les gens qui l’utilisent. Lorsque j’ai débuté à Pixar, nous avions des gens merveilleux, Bill Reeves, Thom Porter, des gens brillants ! Ils écrivaient les logiciels, et construisaient les machines pour faire « Toy Story » alors que nous faisions « Toy Story ». C’étaient de brillants techniciens, qui pouvaient tout faire sur ordinateur, et de brillants scientifiques, des mathématiciens.
Tous n’avaient pas de compétences visuelles et vu que notre gagne-pain, c’est de mettre des images dans des films, ça semblait un facteur majeur !
Et donc, les outils que nous avions alors, se sont mis à évoluer. Les gens qui s’en servent maintenant… Nous avons 2, voire 3 générations complètes depuis « Toy Story ». Et les outils sont tellement meilleurs de nos jours, les gens qui s’en servent sont à présent des artistes en lieu et place des scientifiques – Ils sont parfois les deux !
Vous savez, ça me libère vraiment, en tant que concepteur, de ne pas me soucier des détails, et de pouvoir me concentrer sur la vision d’ensemble à nouveau. Sans cette expérience, je ne pense pas que j’aurais été aussi loin dans ma réflexion sur la façon de faire mon job, comme à présent. Mais c’est merveilleux de ne pas vraiment se soucier des détails, et de se concentrer sur les objectifs et aider à fournir un bac à sable pour tous ceux qui arrivent sur un projet, après que le gros de mon travail soit opérationnel, pour contribuer, et comprendre comment et pourquoi on fait ça et non pas « ça c’est un bloc de pierre, voilà ce à quoi ça doit parfaitement ressembler ».
Parfois, nous devons encore faire ça, mais c’est très rare, c’est formidable.

Thomas Martin, alias Gorkab : Qu’avez-vous ressenti lorsque « Toy Story 1 & 2 » ont été convertis en 3D stéréoscopique ?

Ralph Eggleston : Eh bien, vu que j’ai travaillé sur le premier « Toy Story »… C’est fun, et intéressant. Je n’ai pas grand chose à dire là-dessus, je ne crois pas… Je pense que l’idée de la 3D est intéressante, mais moi elle ne me passionne pas vraiment.
C’est plaisant à regarder. Je pense que ce serait vraiment innovant de faire un film pour le relief, car ces films ont été créés en 2D, puis remodelés en stéréoscopie. Nous avons une excellente équipe qui s’en occupe super bien. Mais je suis certain que faire un film qui soit, dès le début, dans le montage, l’animation et la conception ancré dans la troisième dimension, pensé pour ça. Ce serait vraiment cool.

Thomas Martin, alias Gorkab : Dernière question : on parle beaucoup du HFR, à 120 images seconde, par exemple avec « Gemini Man ». Serait-ce possible de faire un Pixar en HFR ?

Ralph Eggleston : Oh, c’est possible, nous avons fait des tests dans ce genre. Mais je ne pense pas en voir le bénéfice. En animation, ça pourrait vraiment être très difficile, car tout est fait à la main, image par image et, de 24, il faudrait passer à 120 images par seconde ?
Je ne sais pas, la mentalité, en termes de temps, pour obtenir une physique correcte, serait un véritable défi. Je ne dis pas qu’on ne peut pas, qu’il ne faudrait pas, ou que ça ne sera pas fait, car on y arrivera, mais 24 images par seconde, c’est toujours aussi solide !

Thomas Martin, alias Gorkab : OK, merci pour vos réponses.

Vous pouvez soutenir financièrement le travail de Thomas Martin alias Gorkab sur Tipeee : https://www.tipeee.com/gorkab ainsi que Utip : https://www.utip.io/Gorkab .

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