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A l’occasion du SIGGRAPH 2019, nous avons pu nous entretenir avec l’équipe de Nekki, développeur et éditeur de jeux vidéo à qui l’on doit les licences Shadow Fight, Vector et 11×11 sur mobiles.
Il y a quelques mois, Nekki a annoncé travailler sur un outil d’animation atypique, Cascadeur. Encore en beta, ce dernier s’appuie sur la physique et l’IA pour faciliter le travail d’animation : une approche originale que nous vous proposons de découvrir plus en détails au travers de cette interview. Vous y découvrirez les raisons ayant poussé l’éditeur à créer Cascadeur, mais aussi ce que l’on peut attendre de l’outil dans les mois à venir.
Ont répondu à nos questions :
Alexander Grishanin – Cascadeur CTO ;
Evgeniy Dyabin – Chief Producer & Founder ;
Evgeny Khapugin – Lead Animator.
3DVF : Quelle est votre vision du marché de l’animation, et quelle est la place de Cascadeur dans ce dernier ?
Nekki : Le marché des animations 3D va sans nul doute croître et un plus grand réalisme sera demandé. Par exemple, on voit de plus en plus d’animation 3D au cinéma. L’Odyssée de Pi est un bon exemple, tout est animé dans une 3D très réaliste.
La situation est semblable du côté des jeux vidéo, en particulier pour les genres comme l’action, les sports et les jeux de rôles, où il y a une forte demande pour un tel réalisme.
Avec Cascadeur, nous voulons donner aux animateurs des industries du cinéma et du jeu un outil avec un bon rapport qualité-prix pour créer des animations de personnages réalistes et crédibles, sans se reposer uniquement sur la motion capture.
Nous souhaiterions aussi arriver à rendre l’animation 3D plus accessible, plus user-friendly. A l’heure actuelle, animer un personnage reste une tâche complexe, et il n’est pas facile d’acquérir les compétences nécessaires si vous êtes un développeur de jeux indépendant. Avec Cascadeur il sera possible pour les développeurs indé et les animateurs débutants de télécharger le logiciel et d’obtenir de premiers résultats réalistes après 20-30h d’apprentissage. Avec le logiciel que nous développons, nous espérons rendre le processus d’animation plus facile et plus user-friendly pour n’importe qui, qu’il ou elle débute ou dispose d’une solide expérience professionnelle.
3DVF : Quels sont les avantages et inconvénients de l’animation de personnages reposant sur la physique ?
De notre point de vue, il y a beaucoup d’avantages. L’un des plus grands est la possibilité d’utiliser l’animation physique pour contourner l’uncanny valley, dont chacun connaît l’effet même sans avoir entendu le nom.
Si une poupée ou un androïde a une apparence quasi humaine et ne diffère que par quelques légères variations d’un vrai humain, nous trouvons le résultat étrange. Ces légères variations créent un sentiment de rejet en nous. D’un autre côté, des personnages très cartoon comme Mickey ou ceux des manga japonais génèrent des sentiments positifs, de la sympathie. Même chose pour les mouvements des androïdes : s’ils bougent de façon 100% humaine, ils le génèrent ni aversion ni répulsion en nous.
Il n’y a que deux façons de surpasser l’uncanny valley en animation : la motion capture et les outils reposant sur la physique, comme Cascadeur. La motion capture a cependant plusieurs inconvénients. Par exemple, elle se limite largement aux personnages bipèdes et humains. Mais que faire si vous voulez animer un dinosaure, un serpent géant ? En utilisant de l’animation physique vous pouvez obtenir des résultats qui ont l’air réalistes quel que soit le type de personnage.
Un autre avantage est que par exemple, si vous faites de la motion capture d’une personne qui se tient sur un pont qui s’effondre, il est difficile de reproduire le pont qui se brise dans la vie réelle. Avec une approche virtuelle, c’est très facile et vous n’avez pas à vous préoccuper de l’ensemble du décor.
Autre exemple, celui des personnages bipèdes : si vous voulez mettre en scène un trick complexe, par exemple un saut avec coup de pied tournoyant de kung-fu, il vous faudra trouver et embaucher quelqu’un qui saura maîtriser ce genre d’acrobatie. Alors qu’il n’y a pas de limite de ce type en animation physique.
3DVF : Nekki est principalement un studio de jeux vidéo. Pourquoi avoir décidé de lancer publiquement Cascadeur au lieu d’en faire un simple outil interne ?
Au départ, Cascadeur était le passe-temps d’un des fondateurs de l’entreprise (Evgeniy Dyabin). Il avait créé les premiers outils d’animation reposant sur la physique par pure passion personnelle et pour la joie des expérimentations physiques. Plusieurs années après le lancement de notre société, nous avons décidé d’utiliser ces outils dans nos premiers jeux d’action. Les vieux outils n’étaient pas très user-friendly et dans nos jeux précédents, tels que Vector et Shadow Fight 2, le moteur se limitait à de l’animation 2D. Par ailleurs, la majorité du processus d’animation se faisait à la main et Cascadeur n’était pas un système complexe à l’époque.
Mais durant les dix années qui ont suivi, les outils se sont développés pour former une solution d’animation complète. Ce ne fut pas un développement simple et direct, et il y a eu quelques refontes totales. Après quelques années, par exemple, nous avons décidé de tout réécrire pour passer de Delphi au C++.
Plus tard, durant le développement de Shadow Fight 3, nous avons eu besoin de graphismes 3D réalistes et Cascadeur proposait déjà de vraies perspectives de caméras et des personnages humains. C’est à ce stade que nous avons compris que si nous réussissions à utiliser Cascadeur en interne pour nos projets, alors n’importe qui pouvait l’utiliser aussi.
Nous pensons que le marché a besoin d’un outil puissant d’animation physique de personnages. Nous espérons pouvoir améliorer le processus d’animation pour toute l’industrie, et nous avons donc choisir de développer Cascadeur en tant que produit distinct. A l’heure actuelle, plus d’une douzaine de développeurs travaillent sur la beta.
3DVF : Justement, la première vague de beta fermée a débuté en février 2019. Quels ont été les retours ?
Ils ont été assez positifs. De nombreux beta-testeurs ont pu créer des animations crédibles en s’appuyant sur la physique. Certains professionnels expérimentés, comme Richard Lico (lead animator chez Polyarc), ont obtenu des résultats impressionnants après seulement 20h d’usage de Cascadeur. Richard Lico a créé des animations impressionnantes et les a postées sur Twitter : les gens n’arrivaient pas à croire qu’aucune motion capture n’avait été utilisée.
Il y a eu beaucoup de retours également de la part de grands studios AAA de jeux vidéo et d’animation, qui nous ont indiqué vouloir adopter Cascadeur dans leur pipeline dès sa sortie. Enfin, il y a eu des retours très positifs de la part de novices complets et de personnes pour qui l’animation est une simple passion.
Après analyse des retours, nous avons compris que Cascadeur n’est toujours pas aussi user-friendly que nous le voulons, et il faut notamment que nous améliorions l’interface pour faciliter le processus d’animation. Les données reçues par nos utilisateurs dans la première enquête en ligne étaient également intéressantes. Par exemple, nous avions plus d’utilisateurs Blender que Maya, ce qui pouvait faire penser que nous avions beaucoup d’amateurs et indépendants, puisqu’ils ont davantage tendance à utiliser Blender.
3DVF : Vous avez dévoilé un teaser (visible ci-dessous) autour d’un nouvel outil reposant sur le deep learning, actuellement en alpha. Qu’apportera-t-il ?
Il s’agit de notre premier pas dans l’utilisation des algorithmes liés au deep learning pour améliorer le processus d’animation. Nous espérons que cet outil d’auto-posing contrôlé par IA permettra aux débutants de ne pas passer trop de temps sur le posing, et donc d’obtenir plus rapidement des résultats satisfaisants.
Nous espérons aussi accélérer l’ensemble du processus de prototypage de cette manière. Même si les outils de posing doivent encore être améliorés, notre teaser montre qu’ils peuvent déjà être utilisés pour du prototypage basique.
Une autre façon dont nous voudrions exploiter le deep learning est dans la capacité de nos outils physiques à changer la position relative des parties du corps dans la séquence animée. Actuellement, nos outils ne peuvent que déplacer et faire pivoter le personnage entier, mais une fois que nous aurons terminé notre outil de deep learning ils pourront aussi modifier les poses sans les casser. Cela permettra de trouver de meilleures solutions plus proches de l’animation d’origine.
3DVF : Vous avez expliqué vouloir amener le deep learning dans d’autres portions du workflow d’animation. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Nous souhaitons combiner deep learning et outils reposant sur la physique. Par ailleurs, nous voudrions que le deep learning permette de positionner automatiquement les points d’appui et comprenne quand un personnage est en l’air ou qu’il fait autre chose. Actuellement un animateur doit manuellement placer les points de contact dans les scènes et ajouter des intervalles quand un personnage est en vol libre. Nous aimerions aussi utiliser le deep learning pour l’interpolation, et peut-être qu’il montrera de meilleurs résultats, ou au minimum mènera à un prototypage plus facile.
3DVF : Avez-vous décidé du modèle économique de Cascadeur ?
Il est encore trop tôt pour parler de tarif, comme nous sommes encore en beta fermée. Après l’ajout récent des outils de rigging dans Cascadeur, nous allons passer en beta ouverte. Durant cette phase les utilisateurs pourront télécharger Cascadeur gratuitement, rigger leurs propres personnages et utiliser Cascadeur dans leurs projets.
Pour un usage non commercial, Cascadeur sera très probablement disponible gratuitement. Pour un usage commercial, nous discutons encore des tarifs, mais tout ceci sera décidé à l’approche de la sortie. Cela sera peut-être dans un an, mais cela prendra peut-être plus longtemps, étant donné que nous ne voulons pas annoncer la date de lancement tant que nous ne sommes pas satisfaits du produit à 100%.
Nous pensons proposer une version gratuite permanente pour les développeurs indépendants et une version payante pour les gros studios, qui pourrait avoir une API et s’utiliser en plugin pour les moteurs populaires. Mais pour être honnêtes, rien n’est encore figé.
3DVF : Comment voyez-vous l’évolution de Cascadeur d’ici quelques années ?
Nous voulons lancer dans un futur proche la beta ouverte, et lancer une version plus puissante de Cascadeur d’ici deux ans. Cette version proposera de nombreuses fonctions avancées comme du rigging facial, un moteur 3D externe, de la détection avancée de collisions, et des fonctions de skinning.
Idéalement, nous souhaitons voir Cascadeur devenir un outil standard dans la production de jeux AAA mais aussi de projets indépendants.
Au-delà du jeu vidéo, nous pensons que Cascadeur a un gros potentiel pour la production de longs-métrages. Nous avons rencontré des animateurs du secteur du cinéma cette année à la GDC et au SIGGRAPH. On nous a raconté des choses passionnantes lors de ces rencontres, et il est incroyable comme même les films à gros budget et studios VFX luttent encore avec les inconvénients de la motion capture. Un animateur primé travaillant pour le cinéma, par exemple, nous a dit qu’il doit parfois enfiler un costume avec des membres artificiels quand il doit imiter certains monstres ou animaux.
En ce sens, nous sommes confiants dans le fait que l’industrie du cinéma bénéficiera grandement de Cascadeur d’ici quelques années. Et puisque l’animation 3D va jouer un rôle de plus en plus important dans les futurs films, ce marché pourrait un jour devenir notre marché principal.
Pour aller plus loin
– Le site de Cascadeur ;
– Les bases de l’outil en vidéo ;
– Le site de Nekki.
2 commentaires
Vraiment très prometteur, ça fait longtemps qu’une news ne m’avait pas autant impressionné.
Ça parait tellement évident que ça va marcher.
Oui comme souvent les très bonnes idées "il suffisait d’y penser": offrez à des animateurs (surdoués quand même) de la physique et vous obtenez des animations bluffantes:
p…… le chat! p…….. le "samouraï" pfiuuuuu!!!!!