Archeovision

Rencontre avec Archeovision : des mégalithes de France aux églises d’Ethiopie, la 3D au service du patrimoine

3DVF : En 2017, vous aviez participé à l’exposition Aton-Num de Lille. Sur ce type de projet, il s’agit évidemment de trouver le bon équilibre entre restitution scientifiquement correcte et une approche accessible au grand public. Comment dosez-vous ces éléments ?

Le projet Aton-Num est vraiment significatif de l’ADN d’Archeovision. Il illustre de manière parfaite la symbiose possible entre recherche et valorisation. Concrètement, ce projet est né sous l’impulsion de Robert Vergnieux, Egyptologue et ancien directeur d’Archeovision qui menait des recherches sur la période d’Amenophis IV (Akhenaton) et dont le règne est marqué par une révolution religieuse qui aura un impact très fort sur l’architecture de cette époque.

Ce programme a démarré au début des années 90 et s’est finalement achevé en quelque sorte en 2017 lors de cette exposition. Ce qui est particulièrement intéressant, c’est que le lien entre science et valorisation a toujours été présent. Pour faire vivre un projet scientifique sur une durée comme cela, vous avez besoin de financements, et pour avoir des financements vous avez souvent besoin de valorisation. Ainsi, tout au long de l’existence de ce projet, nous avons été à même de drainer du financement par l’avancé des recherches. Ce financement a permis de mettre en place des opérations de valorisation qui ont permis de présenter les résultats de recherche tout en soutenant la recherche.

https://vimeo.com/173326568

La force de ce dispositif est de présenter de véritable travaux scientifiques, avec donc une matière incroyablement riche, de manière très didactique et nous l’espérons de la manière la plus esthétique possible.

Le public est de plus particulièrement intéressé de voir que nous ne sommes pas dans du « one shot » mais que la recherche est un processus en constante évolution, avec ses incertitudes et ses erreurs.

https://vimeo.com/173326565
https://vimeo.com/173326566

3DVF : Quelques mots également sur votre projet autour de la ville belge de Spa ?

Le projet sur Spa, s’il se situe dans la lignée de nos travaux, est une expérimentation de présentation d’une publication scientifique complète sous forme visuelle. Pour le contexte, au XVIIIème siècle, si Paris était le centre rayonnant des Lumières, elle était surpassée chaque été par la petite ville thermale de Spa. La noblesse et les têtes couronnées venaient de toute l’Europe pour y prendre les eaux, au point que l’Empereur du Saint-Empire Romain Germanique lui donna le surnom de « Café de l’Europe ».

La publication scientifique contextualise précisément une Europe ravagée par les conflits et ce curieux havre de thermalisme dont les registres d’hôtellerie nous informent qu’un général français, un ministre anglais, un industriel allemand ou un diplomate suédois ont pu s’y retrouver au même moment… En se basant sur les guides touristiques publiés chaque année par la ville (« Les Amusemens de Spa »), il a été possible de retrouver précisément le circuit emprunté le temps d’une journée par ces curistes de haut rang pour visiter et goûter les eaux des différentes sources et fontaines autour de la ville. Les restitutions 3D ont été basées sur la littérature disponible et des gravures contemporaines de la fin du XVIIIème siècle.

Ce format de « publication vidéo » aura été un projet assez dense à mener, avec l’optique de permettre au grand public d’avoir accès une forme plus digeste d’un article complet (hormis la bibliographie, qui est textuellement attachée). Au final, le résultat reste quand même plus l’expression d’un discours de chercheur qu’une forme vulgarisée, mais l’expérience est restée intéressante à mener et les restitutions 3D plaisantes à réaliser.

3DVF : Pouvez-vous nous parler de la Stéréothèque ?

L’idée de la Stéréothèque est venue d’un fonds documentaire (corpus) de photos stéréoscopiques rassemblé par Robert Vergnieux tout au long de sa carrière. En particulier, un ensemble daté de 1905 présentant des vues de sites égyptiens et que notre égyptologue préféré considérait comme un support 3D à part entière.

La Stéréothèque rassemble aujourd’hui plus de 15000 images stéréoscopiques numérisées à partir des supports originaux (plaques de verre, cartes postales, tirages sur papier ou carton, etc.) et permet de redécouvrir un patrimoine remontant aux années 1850. Le site internet permet au grand public de les découvrir avec de simples lunettes anaglyphes, mais ces numérisations sont bien sûr transposables à d’autres systèmes de visualisation.

Ci-dessus : aperçu de l’interface de la stéréothèque. Ci-dessous : exemple d’images conservées (Rue Lafayette, Paris, 2ème moitié du 19ème siècle)

3DVF : Evoquons votre tout dernier projet. Archeovision vient d’achever une mission sur le site de Lalibela, en Ethiopie : avec ses 11 églises monolithiques médiévales taillées dans la roche, il s’agit du plus grand site chrétien de tout le continent africain. Quelle était votre mission sur place, et comment s’est déroulée la coopération entre scientifiques français et éthiopiens ? Sur ce type de projet international, la question du partage et de l’utilisation des données est sans doute un sujet complexe ?

Nous travaillions déjà depuis quelques années avec les archéologues sur la restitution des phases d’évolution du site de Lalibela, et lorsqu’un grand projet visant à étudier le site pour sa restauration a été mis en place par le ministère des Affaires Etrangères, c’est tout naturellement que nous avons été sollicité pour y participer en fournissant une matière première essentielle, son relevé en 3D.

Nous avons donc intégré une équipe pluridisciplinaire d’une cinquantaine d’experts, archéologues, géologues, architectes des Monuments Historiques, ingénieurs structures, de nationalité française et éthiopienne afin de leur fournir des données support pour une première étude sur site puis pour les études ultérieures. Nous avons mis en place tous les moyens à notre disposition, scanner laser, photogrammétrie terrestre et par drones, relevé traditionnel, afin de créer un modèle le plus précis et le plus exhaustif possible de cet ensemble. Au final ce
sont quelques 10 milliards de points et 30 000 photographies qui ont été relevés, et nous devons maintenant traiter cette masse de données plus finement pour fournir les meilleures informations possibles aux spécialistes.
La coopération a été un des points clés de la réussite de ce projet car nous ne sommes resté qu’une vingtaine de jours sur place. Quand on sait que le site s’étend sur 14 hectares, avec de très nombreuses galeries et espaces creusés en plus des églises, on comprend que sans l’aide et la connaissance des éthiopiens le travail aurait été quasi impossible à réaliser. Il y a de plus dans chaque église des lieux sacrés dans lesquels seuls les religieux peuvent pénétrer. Nous leur avons donc appris à manipuler nos matériels et ce sont eux qui ont procédé aux acquisitions dans ces zones.

2 commentaires

Cetras 14 février 2020 at 10 h 56 min

Super intéressant !!! Merci pour le partage 3dvf 🙂

Shadows 15 juin 2020 at 20 h 47 min

En complément sur le site de Lalibela, un documentaire Arte sur le sujet.
Toute leur série « Enquêtes archéologiques » est passionnante : en moins de 30 minutes, chaque épisode présente un site, les études archéologiques en cours et ce que ça nous en apprend, en n’oubliant pas d’insister sur le « comment on sait ça » : l’archéologue ne se contente pas de donner les résultats, les éléments qui ont permis de parvenir à la conclusion sont indiqués.
https://www.youtube.com/watch?v=ZbdAsorUo_o

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