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Interview : comment Pôle Nord Studio utilise Unreal et cinématographie au service des documentaires

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Vous le savez, 3DVF aime interviewer des studios travaillant sur des domaines très divers. Après Unit Image sur les cinématiques de jeux vidéo et leurs plans en séries/films, RISE sur les VFX de la série Fallout ou encore Illumination autour de Moi, Moche et Méchant 4, nous vous invitons à plonger dans un autre marché, celui des documentaires. Pôle Nord Studio nous en dévoile les secrets, et la manière dont leur équipe a insufflé un aspect cinématographique dans la mise en scène.
Au menu : batailles historiques, tardigrades, Histoire de Paris, mais aussi du clip et de la VR ! Pôle Nord Studio évoque ses méthodes de travail, sa stratégie, mais aussi la manière dont se comporte leur secteur dans un contexte de crise de l’animation et des VFX.

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Travail de Pôle Nord Studio sur la série documentaire Batailles de Légende produite par Pernel Media (Fabrice Frank, Samuel Kissous), diffusée sur Planète+ (Benoit Illès) et disponible sur myCANAL.

3DVF : Bonjour Pôle Nord Studio ! Vous vous spécialisez essentiellement dans la réalisation d’animations, reconstitutions, visualisations pour les films et séries documentaires.
Pourquoi vous être tournés vers ce marché ?

Pôle Nord Studio : Il y a de cela trois ans, un constat s’est imposé à nous ; avec la montée en puissance du streaming et l’accélération de la course des documentaires internationaux, le format documentaire a été amené à évoluer, voire parfois à se réinventer. Les attentes sont plus fortes tant sur l’esthétique que sur la façon de raconter des histoires, qui se rapproche de plus en plus des codes de la fiction, tout en ayant vocation à transmettre des faits réels. Dans cette optique, les images de synthèse apportent une valeur ajoutée, tant au niveau visuel que pour renforcer le côté ludique des contenus.

Ayant travaillé avant cela sur des projets très divers, impliquant par moments aussi bien des graphistes et animateurs que des professionnels de l’audiovisuel (réalisateurs, chefs opérateurs, compositeurs, …), le marché du documentaire à ce moment-là s’est avéré parfait pour réunir ces deux pôles, faire qu’ils s’enrichissent mutuellement, et ce à la faveur des vastes champs d’explorations qu’offre Unreal Engine.

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Travail de Pôle Nord Studio sur la série documentaire Batailles de Légende produite par Pernel Media (Fabrice Frank, Samuel Kissous), diffusée sur Planète+ (Benoit Illès) et disponible sur myCANAL.

3DVF : Vous insistez sur l’aspect cinématographique de vos animations pour vous démarquer d’autres studios visant le même marché. Concrètement, comment cela se traduit dans vos projets ? 
Vous travaillez pour différents producteurs, sur des documentaires diffusés sur des chaînes assez diverses en termes de ligne éditoriale : dosez-vous l’aspect cinématographique selon le client ?

Concrètement, Unreal nous a permis de nous rapprocher des personnages et de s’immerger dans du décor réaliste, quand pendant longtemps nous nous en sommes éloignés pour des raisons techniques.

Par ailleurs, concernant cet aspect cinématographique, il ne s’agit pas tellement de “doser” mais plutôt de s’adapter à des attentes différentes en termes de réalisation ; un diffuseur selon sa ligne éditoriale va par exemple privilégier l’aspect illustratif, ou disons les temps faibles de l’histoire racontés en 3D, quand un autre va privilégier l’action et des scènes de combats intenses. Tout est une question de vision, comme pour un film de cinéma !

3DVF : Parlons un peu de vos projets en cours. Après la saison 2 de « Batailles de Légende » (sur laquelle vous avez géré plus d’un millier de plans !), vous travaillez sur la saison 3. En parallèle, l’équipe s’active sur « Pharaons en Guerre ». Quels sont les enjeux sur ces deux séries documentaires ? Sur ce type de projet, quels sont vos interlocuteurs, et quelle est la part de demande du client vs liberté créative ?

« Batailles De Légendes » a été un super tremplin pour nos expérimentations. Nous avions déjà joué avec le combo, UE / metahuman et motion capture pour le clip de Koudlam “Precipice Fantasy” (NDLR: voir clip ci-dessus). La liberté créative que nous avons découvert avec le temps réel a été phénoménale. un changement radical dans notre façon de travailler, de voir les plans. Nous avons mis un place un workflow plus proche du cinéma que du film d’animation ou motion design. Batailles de Légende a été le grand plongeon dans la production industrielle. Le gros avantage pour les graphistes c’est qu’ils ne sont plus cantonnés à une seule tâche et participent à quasiment toutes les étapes de construction des séquences.

Travail de Pôle Nord Studio sur la série documentaire Batailles de Légende produite par Pernel Media (Fabrice Frank, Samuel Kissous), diffusée sur Planète+ (Benoit Illès) et disponible sur myCANAL.

Nous travaillons avec des réalisateurs qui connaissent très bien leurs sujets historiques et scientifiques mais qui ne sont pas forcément très enclins à utiliser de l’image de synthèses dans leurs films. Ils sont donc très friands des propositions artistiques que nous pouvons faire.

D’un point de vue technique, le défi de ces deux séries est d’aller toujours plus loin dans la qualité de nos rendus, tout en proposant une mise en scène cohérente par rapport au script de chaque épisode, qui comporte des séquences plus ou moins complexes à réaliser.

Nous sommes entrés dans une logique “industrielle” qui nous oblige à s’accorder en amont sur une vision commune de ce qu’il est envisageable de créer avec les réalisateurs et producteurs, et travailler de manière beaucoup plus collaborative à chaque étape de la production. L’important est à la fois de servir l’intention artistique des réalisateurs tout en gardant une identité commune à l’ensemble de la série documentaire. Nous sommes loin d’être seulement exécutants sur ce genre de projets, embrassant quasiment un rôle de producteur exécutif : nous élaborons une DA clé en main sur toute la série, titres inclus, définissons les mises en scène et valeurs de cadre, Unreal nous permettant de générer massivement des rushes avec des plans et mouvements très variés.

3DVF : Sur le plan technique, Pôle Nord Studio s’appuie fortement sur Unreal Engine. Quels sont les avantages/inconvénients pour vos usages ? Que pensez-vous de MetaHuman pour vos personnages ?
De plus, vous venez de recevoir un accord du CNC pour une bourse destinée à votre R&D (Aides aux moyens techniques : collège « production numérique »): comment cet argent sera investi, quelles améliorations espérez-vous mettre en place ?

Unreal Engine nous a permis de mettre en place, progressivement, un pipeline simplifié. À commencer avec la création des MetaHuman, qui nous permet d’avoir des personnages pré-setupés, pré-riggés avec un rendu très réaliste, notamment pour les visages. Par ailleurs, nous ne faisons plus de storyboard ni de layout, et ce afin de passer plus de temps sur la mise en scène et les cadrages, la prévisualisation dans UE nous offrant plus de choix artistiques – dans la mise en scène de nos assets comme dans nos cadrages.

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Travail de Pôle Nord Studio sur la série documentaire Batailles de Légende produite par Pernel Media (Fabrice Frank, Samuel Kissous), diffusée sur Planète+ (Benoit Illès) et disponible sur myCANAL.

Nous faisons face à des défis techniques importants, notamment du fait de la gestion de nombreux assets, qui implique de lever au fur et à mesure une multitude de contraintes (collisions d’animations, bugs), sur un logiciel qui reste encore expérimental. À ce titre, la subvention qui nous a été accordée nous servira sur plusieurs volets de R&D, avec in fine l’objectif d’avoir un pipeline dans UE réplicable sur l’ensemble de nos productions. Les améliorations visées sont multiples : les MetaHuman, avec des itérations simultanées de composants (vêtements, accessoires) et d’animations sur un grand nombres de personnages en simultané ainsi que la mise en place d’outil nous permettant de gérer des foules dans UE, et enfin l’optimisation des rendus et de la post-production.

L’aide du CNC nous permet de faire évoluer nos recherches que nous avons déjà lancé depuis l’an dernier, et cet apport numéraire nous permet de faire de la recherche d’adaptation d’outil et de les mettre immédiatement en production. Nos graphistes sont trop en flux tendu pour arriver à faire des expérimentations pendant la production. Un développeur vient également renforcer l’équipe pour les aider à adapter les outils difficilement utilisables en mode Cinematic de Unreal.

Batailles de Légende
Travail de Pôle Nord Studio sur la série documentaire Batailles de Légende produite par Pernel Media (Fabrice Frank, Samuel Kissous), diffusée sur Planète+ (Benoit Illès) et disponible sur myCANAL.

L’utilisation d’Unreal sans développeur à notre niveau devient impossible, tant les bugs sont présents, les outils encore adaptés aux jeux vidéos et pas encore déclinés à 100% pour le mode Cinematic (donc de rendu). Entre la saison 2 et 3 de batailles nous avons changé 3 fois de moteur de rendu, en passant de Lumen au Raytrace puis après l’abandon du Raytrace de nouveau à Lumen.

La communauté n’étant pas encore très développée, nous devons trouver des solutions en grandes parties par nous-mêmes, mais cela va changer très vite, vu l’engouement pour ce type d’outil.

Travail de Pôle Nord Studio sur le documentaire Le Tardigrade, réalisé par Raphaël Hitier, produit par Les Films à Cinq / Capa TV, et diffusé sur Arte.

3DVF : Malgré ce choix net en faveur d’Unreal, vous utilisez aussi un pipeline précalculé pour certains projets : pourquoi ? Et quelques mots sur vos activités en VR sous Unity, avec par exemple le spectacle immersif #WhiteOut ?

Dans le marché du documentaire en France, la demande est encore essentiellement tournée vers les reconstitutions architecturales ou scientifiques, avec des assets à modéliser et nécessitant une grande précision au détail. De ce fait, pour ce genre de projets, nous passons essentiellement par 3DSMax, où nous avons développé une expertise (nuage de point, photogrammétrie).

Si nous n’avons pas de grosses scènes nécessitant un grand nombre d’assets, le travail sur des logiciels comme Blender ou 3ds Max est encore tout à fait d’actualité, notamment, pour le motion design avec des outils comme Tyflow qui n’ont pas encore d’égal sur Unreal Engine. De plus, ces outils sont aussi redoutablement efficaces en production et très stables.

Faire de l’Unreal aujourd’hui, c’est comme se lancer sur 3ds Max 1.2, c’est un mélange d’exaltation et de douleur devant les résultats que nous obtenons au quotidien. Mais cela fait partie de notre métier.

Par ailleurs, nous gardons chaque année une marge de manœuvre sur des projets plus expérimentaux, la plupart du temps financés par le CNC. Nous avons eu l’opportunité cette année de travailler sur une pièce VR pour une adaptation d’une nouvelle de Damasio au théâtre par la Compagnie du Clair-Obscur. Le principe était d’inoculer des souvenirs à des spectateurs via des casques VR. Pour ce faire, nous avons travaillé avec des nuages de points générés grâce à des photogrammétries, que nous avons animés dans Unity. À ce titre, cela fait déjà plusieurs années que nous travaillons avec le VFX Graph de Unity qui est une véritable pépite pour les motion designers et qui est d’une grande facilité d’utilisation.

3DVF : Le studio s’est lancé en 2011. Comment a évolué Pôle Nord Studio au fil des ans ? Comment est organisée l’entité aujourd’hui (notamment avec votre antenne à Marseille) ? Pratiquez-vous aussi le télétravail ? Enfin, quelle est la taille typique d’une équipe pour une série documentaire telle que « Batailles de Légende » ?

Lors de la création en 2011, Pôle Nord était d’abord un collectif d’indépendants sur des projets très divers, dans l’institutionnel, le musée, le spectacle vivant, l’architecture, mais également le clip musical. Cela a amené des collaborations parfois très hybrides (allant de manière aléatoire de 2 à 6 personnes), ne comprenant pas seulement des graphistes ou animateurs, mais aussi des metteurs en scène, développeurs, compositeurs, artistes. De ce fait, en travaillant avec des sensibilités différentes, nous avons développé une façon de réfléchir où l’on trouve une cohérence pleine entre le contenu et le contenant, et d’éviter de s’enfermer dans des étiquettes de “techniciens” ou “esthètes”.

C’est en 2021, après ma rencontre avec Klaus Singer, artiste 3D d’origine allemande qui utilisait déjà Unreal Engine, nous avons décidé d’abord de collaborer et d’explorer toutes les possibilités du moteur, puis de donner une nouvelle impulsion à Pôle Nord au fil des projets (Koudlam, « Batailles de Légendes »).  C’est au moment du lancement de BDL que nous avons décidé de pérenniser des profils seniors et d’agréger des profils juniors, que nous avons formés à Unreal et qui sont passés de stagiaires à intermittents, avec le plus ancien d’entre eux aujourd’hui à plein temps chez nous en CDI. En 2023, nous avons eu en moyenne 10 personnes sur « Batailles de Légendes », et sommes au même chiffre cette année.

Travail de Pôle Nord Studio sur le documentaire Paris, Le Mystère du Palais Disparu
Produit par CAPA TV, diffusé sur France 5.

Concernant le télétravail, il s’applique essentiellement aux encadrants ne nécessitant pas de moteurs 3D lourds qui se partagent entre le travail à distance et sur place, et certains freelances (directeur artistique, chargées de production, animateurs 3D). Pour le reste, nos équipes opérationnelles sont essentiellement sur place, avec des possibilités ponctuelles à distance grâce au recours à un VPN, permettant l’accès direct à notre serveur commun. 

Enfin, nous avons ouvert cette année des bureaux à Marseille, avec une équipe dirigée par une directrice de production 3D, afin de pouvoir intégrer davantage de projets et fluidifier notre organisation. L’équipe marseillaise étant plutôt spécialisée dans les projets architecturaux et la conception des décors, celle-ci vient compléter l’équipe parisienne, qui s’occupe du Motion Design et de l’animation.

3DVF : Une dernière question. L’animation et les effets visuels sont en crise. Qu’en est-il dans le secteur documentaire ? Comment vivez-vous la période actuelle ? Et pour les artistes en recherche d’emploi : quelles sont les qualités recherchées par les entreprises comme Pôle Nord Studio ?

Le secteur documentaire est en voie de restructuration, avec des groupes qui aspirent des petites ou moyennes sociétés, qui elles-mêmes réorientent de plus en plus vers du contenu de plus en plus hybride, moins classique. Les sociétés indépendantes sont quant à elles face à un choix : soit celui de se réinventer, d’innover leur contenu en direction de chaînes aux lignes éditoriales ambitieuses ou aux plateformes, soit de rester sur le même modèle et de réduire la voilure en termes de thématiques traitées, de type de production, etc, s’adaptant à la ligne éditoriale de chaînes TV spécialisées.

Nous ne pouvons pas dire que le secteur soit en plein boom, mais il y a une demande grandissante des spectateurs pour du documentaire avec des animations 3D et du motion design.

Forcément, ce sont ces sociétés aux productions innovantes avec qui nous sommes amenés à collaborer le plus, et qui partagent souvent une meilleure connaissance des technologies, de la 3D à l’IA, permettant d’avoir une vision artistique commune avec eux.

Concernant les artistes, nous recherchons essentiellement des profils graphistes, avec une bonne culture artistique et cinématographique et une grande volonté de pousser dans une voie encore très peu explorée. Nous aimons travailler avec des profils plutôt curieux et créatifs et nous trouvons beaucoup de profils très intéressants !

3DVF : Merci Pôle Nord Studio pour ces réponses !

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