Souvenir souvenir

Interview 3DVF : Souvenir souvenir, comment animer l’indicible

3DVF : On a souvent tendance à estimer qu’une des forces de l’animation est de pouvoir tout exprimer, mais le court souligne au contraire les difficultés : projets avortés, séquence du témoignage d’une algérienne dans laquelle les marqueurs semblent créer un décalage avec le propos… Pouvez-vous développer ce point ?

Tout exprimer visuellement oui! Mais dans le spectre des idées… Ecrire un scénario, que ce soit en prise de vue ou en animation est toujours un chemin difficile. Le montage d’un film, quelque soit son sujet, est une entreprise de plusieurs années qui demande beaucoup d’efforts et de constance. C’est aussi cela que j’ai voulu exprimer dans ce film, je fais un parallèle entre le chemin de croix du réalisateur et celui du chercheur de mémoire ou du psychanalysé. Le fait d’utiliser l’animation, un médium qui est souvent identifié comme destiné à des contenus légers, renforce encore le coté dérangeant de l’enquête et du tabou du sujet. D’autant plus dans la partie « cartoon »… Troubler les pistes entre ce qui fait parti du réel, du film, de la place de ce travail dans ma vie sont au cœur de ce projet…

Ci-dessus et ci-dessous : mise en place du plan dans lequel des soldats font irruption dans une maison

3DVF : La question de la représentation de la violence est récurrente sur ce type de sujet, avec des partis pris très divers : on se souvient par exemple de Funan qui, avec une certaine pudeur, préférait ne pas montrer le génocide de façon trop explicite. Souvenir Souvenir choisit la voie inverse, avec une violence frontale renforcée par le style retenu pour les séquences du passé. Pourquoi avoir fait ce choix ?

La différence fondamentale entre Funan et Souvenir Souvenir c’est que Denis Do connaissait son histoire et la raconte en mettant en scène des personnage ayant existé, qu’il connaît.

Bande-annonce de Funan, de Denis Do. Le film évoque la survie et le combat d’une jeune mère, durant la révolution khmère rouge, pour retrouver son fils de 4 ans, arraché aux siens par le régime.

J’ai raconté dans Souvenir Souvenir la quête de quelqu’un qui ne sait pas, qui « s’imagine le pire » et quand finalement des bribes de réalités interviennent dans le film (la scène du repas,le tournage de motion capture) on ne voit rien, on est gardé à distance… Et la brutalité est, à mon sens, bien plus aiguë que les premières scènes de tortures et de viol traités de manière frontale et « cartoon »… J’ai aussi voulu montrer une progression, un maturité où la pudeur prend sa place et montrer ou ne pas montrer sont des enjeux de narration, de questionnement.

J’ai adoré Funan sur absolument tous ses aspects mais j’ai été gêné par la façon dont chaque moment de violence était annoncé, désamorcé. Sans doute encore une fois dû à la pudeur du réalisateur et au fait qu’il ait une proximité avec ses protagonistes. J’écris actuellement un film « similaire » (sujet adulte, historique, réaliste) et mon approche est à l’opposé. Je veux que le spectateur sorte de la salle en morceaux.

Ci-dessus et ci-dessous : séquence de la motion capture, du storyboard au compositing en passant par la 3D et le pré-compositing.

3DVF : Comment ont réagi vos proches face au film finalisé ?

Mes grands parents sont décédés avant que je finisse le film. Quand à mes parents, étonnamment, je n’ai pas eu de réaction de leur part. Ils insistaient depuis longtemps pour voir le film, avant même qu’il soit fini. Mais je tenais bon et leur disais d’attendre de le voir en salle. Le Covid à chamboulé tout cela et je leur ai montré chez eux. Mon père a fait sa propre voix et je redoutais un peu sa réaction de retrouver dans le film ses deux parents récemment décédés. De plus, il n’a pas vraiment le bon rôle dans le film. Mais tout le monde est resté assez impassible. Ca m’a beaucoup troublé. Je crois qu’il manquait le rituel de la salle de cinéma et de l’avant première ou de la projection d’équipe. Suite à votre question, j’ai écrit à mon père pour savoir s’ils avaient revu le film sans moi et voici ce qu’il m’a répondu : « Le manque de réaction n’est qu’apparent ».

3DVF : Souvenir-Souvenir n’est pas votre première réalisation : on peut notamment citer Cargo Cult, ou des carnets de voyage/portraits de voyage. En tant que réalisateur, comment cette nouvelle œuvre s’inscrit-elle par rapport à vos précédents projets ?

Dans Madagascar, carnet de voyage, j’invitais le spectateur à découvrir une ancienne colonie française.

Cargo Cult était une réflexion sur l’acculturation et la mondialisation, le choc brutal entre deux civilisation antagonistes durant la seconde guerre mondiale.

Dans Portraits de voyages j’emmenais le spectateur à la rencontre de 20 personnages à travers le monde…

Il y a donc une continuité certaine : Colonies, rencontres, interviews, guerres… Mais avec Souvenir Souvenir, c’est peut-être la première fois où je suis acteur… et plus simple spectateur. Un ami, pour m’embêter, me répète sans cesse : « quand est-ce que tu fais un film qui parle pas de toi »? En fait je crois que Souvenir Souvenir est le premier film dans lequel je parle vraiment de moi. Dans Madagascar et Portraits de voyages, j’avais une position de passeur et j’essayais de m’effacer au maximum. Je voulais que le spectateur vive l’expérience comme s’il s’agissait de lui et non de moi. Qu’il se mette à ma place. Là ce n’est clairement pas le cas avec Souvenir. Même si la prépondérance des plans en vue subjective peut tendre à cela.

Je vois aussi l’évolution d’un regard qui, assez naïf et émerveillé dans Madagascar, deviens de plus en plus dur et critique au fil des films. Je me pose aujourd’hui des questions sur les motivations, les inspirations qui m’ont nourri. Le mythe du baroudeur, de l’aventurier et de l’explorateur berce le développement des petits garçons depuis des générations. Le jeune garçon est invité à voyager et à conquérir les pays. Voyager est viril. Voyager est signe de réussite. Et pendant des siècles, tout une production de texte et d’images a permis la mise en place d’un imaginaire de l’ailleur fantasmé. D’un ailleur à voir, à conquérir, à posséder, à promouvoir pour mieux le vendre à d’autres rêveurs. L’altérité comme promesse. Comme produit. D’où vient cette injonction au voyage? Cela fait partie de mes réflexions en ce moment. Comment décoloniser mon animation.

Pour en savoir plus

14 commentaires

phicata 9 octobre 2020 at 17 h 11 min

On attend avec impatience des courts métrages algériens sur les horreurs perpetrés par le FLN

phicata 12 octobre 2020 at 17 h 00 min

Ben disons que mon petit doigt me dit qu’un tel film (sur les horreurs perpetrés par le FLN) n’aurait ni le soutien du gouvernement algérien ni celui d’Arte ou du CNC, mais je dois avoir mauvais esprit.

Shadows 12 octobre 2020 at 17 h 41 min

Pour « La Bataille d’Alger », il y a forcément eu soutien local, pour tourner mais aussi pour le matériel (les véhicules censés appartenir à l’armée française dans le film sont en fait du matériel de l’armée algérienne, me dit Wikipedia).
Côté français et sur les exactions envers des civils, on peut citer « Des hommes et des dieux » sur l’assassinat des moines de Tibhirine (durant la guerre civile et non durant la guerre d’Algérie proprement dite, donc) : c’est la commission de sélection du CNC qui a décidé de l’envoyer aux Oscars comme candidat au titre de meilleur film étranger.

phicata 12 octobre 2020 at 17 h 58 min

mouais mouais mouais

Le_Zly 12 octobre 2020 at 21 h 39 min

Dis moi Phicata, quand tu vois un film ou un court sur les souffrances de la France sous l’occupation Allemande, est ce que tu te fais la remarque sur l’absence de court métrage parlant des horreurs perpétrés par l’armée française pendant la décolonisation ?

phicata 13 octobre 2020 at 8 h 30 min

Je vois pas ce que tu veux dire, puisque ce travail de dénonciation à pu et peut avoir lieu en France. A contrario, à ma connaissance, il n’est pas fait en Algérie, ou un équipe corrompue n’eut de cesse d’instrumentaliser cette période (ce qui explique, que certains jeunes qui n’ont rien connu de cette époque, se vautrent dans un éternel ressentiment anti français). Ce qu’il s’agit de dénoncer c’est une « conscience éthique » à sens unique, (un deux poids deux mesures), qui ne voudraient voir le mal que dans un seul camp. Et de dénoncer combien le service publique participe de ce deux poids deux mesures.

Shadows 13 octobre 2020 at 8 h 38 min

J’ai l’impression qu’on parle assez peu du film proprement dit…
Que pensez-vous du court ? (l’Algérie n’étant d’ailleurs qu’une des thématiques, à côté de la notion de non-dit, de la difficulté d’un réalisateur à parler de son passé familial, le problème de se jeter sur un sujet complexe en ne faisant pas assez de recherches, etc)

Sur la forme, j’aime beaucoup le style graphique des séquences de « vie quotidienne », le côté très texturé et le jeu sur les transparences fonctionnent bien, je trouve.
Pour le reste, l’admission de ses propres échecs et fuites a quelque chose d’assez touchant… Et le film réussit à dire beaucoup malgré une certaine économie de dialogues dans de nombreuses scènes, finalement c’est très raccord avec le sujet des sous-entendus et non-dits.

Le_Zly 15 octobre 2020 at 19 h 46 min

Ce n’est que tout récemment que les langues se délient de manière officiel sur les horreurs commis pendant la décolonisation, prend le film « la bataille d’Alger » qui a été interdit pendant des décennies sur le territoire français. Le rapport à ce que j’ai dit sur l’occupation allemande ? C’est bien simple, en as-tu vu beaucoup des dénonciations sur la violence des résistants pendant la seconde guerre ? Dans l’inconscient collectif, ils sont considérés comme des héros, pas des criminels, et quoi de plus normal ? La France était un pays occupé par un envahisseur, et dans ce genre de cas, c’est par la violence qu’on résiste…. tout comme l’Algérie et la majorité des pays occupés par la France ont fait, sachant que eux c’est encore pire, ils ont été colonisés pendant un ou plusieurs siècles. Mais pour eux par contre il faudrait parler de la violence qu’ils ont fait preuve, et qu’il ne faut pas mettre manichéen là où les nazis ont eu droit quasi qu’à des représentants manichéennes pour moins de 10 ans de méfaits ?

Sinon oui en c’qui concerne le film la forme est très intéressante (surtout sur le mélange des techniques) je dis pas, mais vu le sujet, on n’peut malheureusement ne pas parler du fond.

phicata 14 octobre 2020 at 16 h 31 min

Je ne l’ai pas trouvé en replay

phicata 14 octobre 2020 at 17 h 59 min

Sur l’aspect artistique rien à dire, c’est maitrisé et bien pensé, sur le fond je reste perplexe.

phicata 16 octobre 2020 at 0 h 58 min

[I]Ce n’est que tout récemment que les langues se délient de manière officiel sur les horreurs commisent pendant la décolonisation, le film « la bataille d’Alger » a été interdit pendant des décennies sur le territoire français: [/I]C’est faux ce n’est pas si récent, ça commence à être dit et permis dés 65 semble t’il. Et il ne s’agit pas des « horreurs de la décolonisation »(la décolonisation fut différente selon les pays ou régions), mais il s’agit des horreurs durant certains épisodes de la guerre d’Algérie. Et ces horreurs ont eu lieu dans les deux camps. Que tu légitimes ces horreurs dans le camp algérien par la lutte anti coloniale…c’est ton problème, mais renseigne toi bien d’abord sur ce que furent ces actions. Que tu mettes sur le même plan les résistants français et les actions du FLN, c’est juste honteux. Les résistants français n’ont jamais commis la torture, ils en étaient les victimes, ils n’ont jamais posés de bombe contre des civils allemands, ils n’ont jamais massacrés des villages entiers de civils. Que tu pense que ces mecs là ne méritent leur statut de héros que parce que l’histoire serait écrite/manipulée par les vainqueurs, ça aussi je te le laisse… Moi je crois que c’est parce que il y avait des gars de leur stature que tu peux t’exprimer tranquillement sur ce forum. Et je suis sûr qu’on trouvait des gars de cette même stature, dans les rangs algériens, des gens qui refusaient que la fin justifie les moyens. N’empêche la stratégie adoptée par le FLN fut belle et bien celle de la terreur. N’empêche la stratégie adoptée par une partie de l’armée française fut belle et bien celle de la terreur.
[QUOTE= »Le_Zly, post: 346361, member: 58128 »]
là où les nazis ont eu droit quasi qu’à des représentants manichéennes pour moins de 10 ans de méfaits ?
[/QUOTE]
Te rend tu bien tu comptes de ce que tu écris? Tu trouves que la représentation des nazis est manichéenne?, tu trouves qu’elle est exagérée? Tu trouves qu’un génocide et des millions de mort mériterait un traitement plus équitable?

Le_Zly 16 octobre 2020 at 19 h 20 min

Et toi renseigne toi sur les horreurs de la colonisation dont tu n’as pas trop l’air de mesurer la portée. La France a été occupée pendant moins de 10 ans, l’Algérie pendant un siècle. Tu crois vraiment que le niveau de violence aurait été le même de la part des résistants dans ce même cas de figure ? Et le pire en plus de ça, c’est que ces violences commis par les français sur tout ces pays colonisés ont continué APRES la Libération (la guerre d’Indochine a genre débuté juste après la fin de la seconde guerre). Les gars ont subit des horreurs pour ensuite les perpétuer sur d’autres territoires. Ils n’ont peut être pas torturé pendant la guerre, et ça encore ça on n’en sait rien, mais après ils l’ont fait et genre bien. Car tu ne vas pas me dire que l’armée française qui a fait son sale boulot en Afrique ou en Indochine ne comportait aucun anciens résistants.

« Te rend tu bien tu comptes de ce que tu écris? Tu trouves que la représentation des nazis est manichéenne?, tu trouves qu’elle est exagérée? Tu trouves qu’un génocide et des millions de mort mériterait un traitement plus équitable? »

Et tu crois peut être que les colons ont été plus sympas ? (et ne me sors pas le coup des écoles, hôpitaux et autre infrastructures construites, ça n’a jamais été fait pour le bien des autochtones et d’ailleurs beaucoup d’entre sont morts pendant ces constructions.)

Ah et sinon pour info, c’est principalement grâce à l’intervention étrangère (les états unis certes, mais aussi et surtout les russes) que l’on peut s’exprimer principalement sur ce forum. Les résistants ont certes eu leurs rôles, mais ce n’est pas eux qui ont fait reculé l’armée allemande.

M’enfin bref tu crois ce que tu crois, je crois ce que je crois, j’en ai assez dit là dessus, et je te laisse te morfondre sur cet injuste « deux poids, deux mesures. » Moi j’en ai assez dit, salut.

phicata 18 octobre 2020 at 22 h 18 min

Il est notable que dans le film n’est fait à aucuns moments allusion aux horreurs du FLN. Ce ne serait pas gênant, si ce même travail de dénonciation était fais dans « l’autre camp ». Mais ce n’est pas le cas (à ma connaissance, ou de façon si anecdotique, que ça ne fais pas sens). Et au final en cette époque, ce film ne sera pour moi, qu’une pierre de plus apportée à l’idéologie de la repentance, et/ou indigéniste, qui voudrait nous convaincre que le mal à un seul visage éternellement incarné (celui l’homme blanc), et contre qui, sont justifiées des atrocités passées présentes et à venir.

corentin3d 19 octobre 2020 at 8 h 23 min

J’aime la 3D 😎

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