Minimum Mass

Interview 3DVF : Minimum Mass, une oeuvre VR puissante et personnelle

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3DVF : Vous disiez plus haut que vous aviez voulu pousser l’aspect visuel. Vous avez par ailleurs utilisé beaucoup d’effets. Tout ceci peut créer des problèmes de performances, a-t-il été difficile d’ajuster le curseur et de trouver le bon équilibre ?

Areito Echevarria : Nous avions un technical designer issu du monde du jeu vidéo, son rôle était de nous dire… Ce que nous ne pouvions pas faire, tandis que le nôtre était de lui dire ce que nous voulions faire !
Il y avait donc une tension naturelle : comme nous sommes tous les deux issus des VFX nous aimons que tout soit de bonne qualité, donc nous mettions tout, et il enlevait tout ! [rires]

Raqi Syed : Ce fut un long processus, par exemple nous voulions des shaders de peau très réalistes avec subsurface scattering pour que la peau ait vraiment l’air vivante, et notre level designer nous a clairement dit qu’on ne pourrait pas le faire. Il nous a montré la chute de framerate qui en résultait, et nous savions que nous devions rester à 90 images par seconde [pour que l’expérience VR reste fluide pour le spectateur, NDLR]. Nous avons fait des essais systématiques pour évaluer les ressources demandées pour les différents éléments : utiliser d’autres shaders, simuler les cheveux ou la robe, avoir plus d’une source lumineuse créant des ombres… Il a fallu faire des choix difficiles en matière de lighting et de direction artistique.

Chris Garnier – développeur et Level Designer

3DVF : Ces questions de performances ont sans doute aussi eu un impact sur l’animation ?

Areito Echevarria : Oui. Nous avons fait le blocking de la mise en scène de façon itérative, sur une longue période. Nous avons mis en place des sessions de motion capture durant lesquelles nous jouions les personnages, ou avec nos étudiants jouant les personnages, ce qui nous a aidé à comprendre comment agencer le layout. A la fin du projet nous avons fait venir Frankie Adams et Allan Henry pour capturer les performances finales. Nous avons alors fait de la capture du corps mais aussi du visage.

La question s’est ensuite posée de savoir jusqu’où pousser l’animation des visages. Nous avons fait un niveau basique et un niveau de détail plus élevé pour les moments les plus impactants. Ce fut un choix très difficile, mais nous n’avions ni le temps ni le budget pour avoir une animation faciale de haut niveau en permanence. Nous espérons que nous choix ont été les bons !

3DVF : Plusieurs sociétés françaises sont impliquées : Floréal Films, Small Studio, Albyon… Comment êtes-vous entrés en contact, et comment s’est déroulée la collaboration avec ces entités ?

Raqi Syed : Nous avions rencontré Avi Amar et Katayoun Dibamehr [qui ont produit Minimum Mass, NDLR] assez tôt pendant que nous faisons un Lab à Los Angeles (DevLab par Kaleidoscope). Ils voulaient nous rejoindre et soutenir le projet. C’est vraiment eux, Avi et Katayoun, qui ont poussé pour que nous cherchions le soutien financier du CNC et pour mettre en place ces relations avec Albyon, Small. C’était génial de travailler avec Small : nous parlons la même langue puisqu’ils viennent des VFX et de l’animation, et ils sont très bons dans ce qu’ils font. Ca a été très positif de travailler avec eux et d’ajouter ce vernis final sur le projet.

Areito Echevarria : Ils sont arrivés sur la fin du projet, ont fait un travail incroyable. C’était vraiment fun ; travailler à distance est un défi mais tout c’est passé de façon très fluide.

Raqi Syed : Albyon avait déjà travaillé avec des entreprises telles qu’Atlas V sur le projet VR Battlescar, ils avaient donc déjà l’habitude de travailler avec des entreprises internationales. Il faut souligner qu’en VR, le côté international du financement est devenu la norme, et ce même avant le Covid-19.

3DVF : Durant le Festival d’Annecy, vous évoquiez en vidéo l’influence du travail du photographe Todd Hido sur votre travail. Pourquoi appréciez-vous son travail et comment avez-vous utilisé cette source d’inspiration ?

Raqi Syed : Nous savions que nous voulions utiliser ce que nous appelons le « surréalisme gritty ». L’élément surréaliste est en partie lié aux contraintes pratiques, puisque comme nous l’avons dit nous devions composer avec les limites techniques, mais nous nous inspirons aussi, par exemple, des films de David Lynch et nous aimons l’idée d’un espace surréaliste et non dystopique.
Quand nous avons trouvé les photos de Todd Hido, ça nous a beaucoup parlé, il y avait un équilibre parfait entre surréalisme, paysage de banlieue résidentielle, et son style qui évoque les films noirs, avec des espaces sous-éclairés et des fenêtres lumineuses, faisait écho aux forces du moteur temps réel : les objets émissifs sont assez peu coûteux en performances. Et l’approche film noir est excellente puisque vous n’avez qu’une seule ombre portée, que tout est très sombre.
C’était donc un style parfait pour le projet, à la fois sur le plan thématique et d’un point de vue pratique.
Bien évidemment, notre travail n’est qu’une interprétation de son approche si belle et inspirante.

Minimum Mass – Festival d’Annecy 2020

3DVF : Quelques mots également sur la création des effets, en particulier les fluides et la création du Vide, le « Void » ?

Raqi Syed : Nos effets ont essentiellement été designés et créés par Sonya Teich, qui a également fait partie de l’industrie VFX et du cinéma. Comme nous, elle apprenait à traduire ce style en temps réel.
Etant spécialiste Houdini, elle a utilisé cet outil pour créer les simulations, avant de travailler avec notre level designer pour les retranscrire en temps réel, principalement à l’aide d’animation de vertex via des shaders, il me semble : c’était moins coûteux en performances que d’utiliser des techniques telles que du cache Alembic.

Elle a vraiment expérimenté et essayé de pousser le moteur de jeu aussi loin que possible pour obtenir quelque chose de cinématique.

Sonya Teich – Visual Effects Designer

3DVF : Quel bilan tirez-vous de ce projet : qu’avez-vous appris, quel a été l’élément de plus difficile ?

Areito Echevarria : Nous en avons surtout retiré, et c’est un peu cliché de le dire, que la VR est très difficile, c’est un medium assez têtu !
Je crois que nous avons appris à comprendre que la VR est vraiment son propre medium, avec ses forces et faiblesses. Le défi était de faire la paix avec cet aspect, d’apprendre cette idée que la VR a son propre langage. Une fois que l’on intègre ça, c’est fantastique.
L’effet de proximité physique, évoqué plus haut, est vraiment très puissant.

Raqi Syed : Je pense aussi que suivre nos instincts était une bonne idée. Beaucoup de gens nous ont dit qu’on ne pouvait pas faire telle ou telle chose : pas plus de deux personnages dans une scène, trois personnages réalistes est une hérésie, nous ne devions pas utiliser des FX comme ça… Autre point, le type d’histoires que l’on peut raconter en VR : nous savions que nous voulions travailler dans la tradition du cinéma indépendant, raconter le genre d’histoire que nous aimerions voir au festival de Sundance, et nous voulions voir si une expérience VR pouvait se rapprocher de ce type de film indépendant. Et je crois que la réponse est oui !

3DVF : Vous aviez tous deux travaillé dans les effets visuels, pourquoi avoir changé de carrière et rejoint l’équipe de la Victoria University of Wellington ?

Areito Echevarria : J’ai beau adorer les effets visuels, j’ai vu ce passage dans l’industrie comme une sorte de stage pour apprendre les techniques liées à ce métier. J’ai toujours voulu raconter mes propres histoires, j’avais passé assez de temps à développer mes compétences, il était temps de créer par moi-même.
Je pense par ailleurs qu’être chercheur à l’université est un bon moyen d’y arriver, Victoria a été fantastique et nous a apporté beaucoup de soutien et d’aide. C’est fantastique de pouvoir y être et, évidemment, de rendre à la communauté via l’enseignement.

Raqi Syed : Je pense aussi que c’est une progression naturelle. J’ai vu l’industrie du cinéma et des effets visuels comme une sorte « d’université étendue » où je pouvais apprendre des choses et leur trouver un autre but. En ayant appris tout cela, c’est une sorte de super-pouvoir que vous pouvez utiliser pour raconter de nouvelles histoires, d’autres sortes d’histoires.
L’université a en effet été un gros soutien et nous a aidé à ré-évaluer ce que nous pouvons faire en VR et même avec des VFX. Ce qui peut être fait avec ces outils et n’a pas encore été fait.

3DVF : Areito, vous avez reçu un Technical Academy Award, un Oscar scientifique et technique, pour votre contribution sur le Deep Compositing. Quelques mots à ce sujet ?

Areito Echevarria : Ce projet est arrivé durant la production du film Le Jour où la Terre s’arrêta avec Keanu Reeves [sorti en 2008, NDLR]. En gros, nous avions atteint les limites de ce qui était faisable avec du compositing traditionnel, au moins du point de vue de la gestion de la complexité des solutions à base de calques. Ca devenait vraiment trop lourd à l’usage. Nous avons commencé à prototyper cette idée, « et si nous pouvions faire du z compositing amélioré, plus efficace et de meilleure qualité ». J’ai été impliqué dans la mise au point de ce concept, et dans la réflexion sur son fonctionnement technique.
A ce stade, quand nous avons vu que ça pouvait marcher, que vous pouviez mettre les calques dans un ordre arbitraire et laisser le système gérer les pixels, ce fut une révélation. A posteriori ça semble sans doute évident, mais à l’époque ça ne l’était pas.
Weta a rapidement basculé vers un workflow en deep compositing, et à ce stade un développement a permis d’en faire un ensemble d’outils complet.
Ma contribution était donc essentiellement centrée sur les phases de prototypage, quand nous essayions de voir s’il s’agissait d’une bonne direction à explorer.
Les outils ont beaucoup évolué depuis, maintenant c’est assez incroyable.

3DVF : Raqi, nous avons vu sur votre profil LinkedIn que vos travaux à l’université portaient sur « la recherche en VR, le media design via les VFX, la médiation de la technologie au travers des questions de race, classe et genre ». Cette dernière partie a-t-elle joué un rôle dans la production de Minimum Mass, étant donné le sujet lié au genre ?

Raqi Syed : Je suis très intéressée par le fait de raconter des histoires d’un point de vue féminin. Dans les effets visuels, vous ne voyez pas beaucoup de femmes dans des rôles créatifs tels que scénariste, réalisatrice, productrice, ou à la supervision dans les VFX. Je pense que c’est une question d’opportunité, c’est une de mes zones d’intérêt et je pousse mes élèves à faire de même.
D’autres problèmes sont aussi intéressants : dans mes cours de lighting je travaille beaucoup sur la notion de décolonisation des disciplines dans les effets visuels. En ce qui concerne le lighting, nous examinons les traditions de réalisme en Nouvelle-Zélande, les peintures coloniales. Nous nous intéressons même aux humains virtuels : beaucoup de gens nous demandent ce que l’on fait avec, leur intérêt, mais la question qu’on ne pose pas est de savoir qui, au final, devient un humain virtuel. Même pour Minimum Mass, nous voulions explorer la création d’humains virtuels de façon procédurale. Nous avons utilisé des outils du marché pour concevoir ces personnages et leur design. Ils sont une version de nous, nous ressemblent, et la question devient alors de comprendre ce que signifie pour une personne non blanche, non célèbre d’avoir son double numérique et de raconter sa propre histoire. C’est une sorte de fusion entre appropriation des technologies et du storytelling, et je pense qu’il est important de pousser les effets visuels indépendants à l’avenir, pour que les VFX ne soient pas utilisés que sur des films à gros budget avec des acteurs connus.
Nous voulons ouvrir cela, raconter toutes sortes d’histoires, créer des doublures numériques pour toutes sortes de gens.
D’ailleurs nous faisons suivre à nos élèves le même processus que pour Minimum Mass, avec le même pipeline de création de personnages, lighting, rendu. Comme ça les élèves peuvent aussi raconter leurs histoires.

3DVF : Une dernière question. Au début de l’interview nous évoquions une suite pour Minimum Mass, avez-vous d’autres projets en tête ?

Raqi Syed : Oui, je travaille sur un autre projet lié à l’idée d’humain numérique, il s’agit en fait d’un projet portant sur mon père décédé : je veux explorer sa vie, ses relations avec notre famille, et pousser encore plus la qualité de rendu des humains virtuels en VR.

Areito Echevarria : Je travaille sur un autre projet en réalité virtuelle, une sorte de court-métrage expérimental sur l’empathie. Nous faisons une sorte de modélisation numérique de l’empathie, et essayons de comprendre comment les gens sont liés entre eux.

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