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Face au confinement, le télétravail : retour d’expérience avec le studio TeamTO

Suite aux mesures de confinement mises en place en France mais aussi dans de nombreux autres pays pour lutter contre la pandémie actuelle (coronavirus/COVID-19), les studios doivent s’adapter. Nous avons déjà évoqué le cas de Scanline VFX et mis en place une section de forum sur le télétravail (avec notamment des interventions techniques de l’équipe de Dwarf Animation ; voici désormais un autre cas concret avec TeamTO, qui a bien voulu nous présenter son nouveau mode de fonctionnement.
Guillaume Hellouin (dirigeant de TeamTO) et Jean-Baptiste Spieser (CTO et directeur R&D) nous présentent comment un studio de plus de 300 personnes réparties sur deux sites a pu, en quelques jours seulement, prendre un tel virage. Comme vous le verrez, la réactivité de l’entreprise s’explique par plusieurs facteurs : une stratégie en amont qui a facilité cette évolution, une équipe technique très réactive, des choix technologiques pertinents mais aussi la mobilisation de l’ensemble du personnel.

Outre le télétravail, l’interview évoque aussi les besoins actuels du studio en termes de recrutement, et les futurs projets de TeamTO avec pas moins de trois longs-métrages en préparation.

https://www.youtube.com/watch?v=39yvIDTx2UM

3DVF : Suite à la pandémie qui frappe l’ensemble du globe, les studios se réorganisent. TeamTO en est un bon exemple puisque les deux studios du groupe (Paris et Bourg-lès-Valence) travaillent désormais en télétravail quasi complet. Cette démarche est-elle née de la crise actuelle, ou aviez-vous déjà songé à ce mode de fonctionnement par le passé ?

Guillaume Hellouin : On a eu cette réflexion un peu en amont, quand la pandémie a commencé à se concrétiser et les choses avançant, on a réfléchi de manière plus concrète.
Jean-Baptiste et ses équipes ont échafaudé plusieurs scénarios, qu’ils ont testés. Le vendredi qui a précédé la recommandation de rester chez soi, on a décidé de s’organiser, ils ont bossé tout le week-end et dès le lundi on a pu déployer la mise en place du télétravail, 2 jours plus tard tout le monde pouvait travailler à distance  .

Jean-Baptiste Spieser : ce qui nous a permis d’être aussi rapides, c’est que nous avons la réflexion du déport d’affichage pour le prochain studio. Mon équipe systèmes a fait des tests il y a déjà 6 mois, assez sérieusement et sur les différents protocoles. Ça nous a fait gagner beaucoup de temps.

3DVF : Jean-Baptiste évoque un futur studio, quelques mots sur le contexte ?

GH : il ne s’agit pas d’un troisième site (pour rappel, nous sommes basés à Paris et Bourg-lès-Valence) mais du déménagement du studio parisien. On a identifié un lieu intra-muros bien situé, et l’idée serait de faire un studio dernière génération, avec toutes les unités centrales déportées dans un nodal, dans un datacenter. Sur les bureaux du studio il n’y aurait plus que les écrans, claviers, souris, Cintiq.

JBS : Cette approche permet d’économiser de l’énergie sur les flux d’air et le refroidissement, et apporte surtout un confort de travail nettement amélioré pour les infographistes, sans compter l’élégance de la solution, l’ergonomie, la sécurité et le bénéfice apporté par la virtualisation..

C’est donc cette approche que l’on a fait mûrir il y a déjà quelques mois et qui nous a fait gagner facilement une semaine de recherche IT sur la crise actuelle. Nous étions allés assez loin, avec par exemple des tests des protocoles de remote, HP RGS, Teradici.

3DVF : En pratique, comment s’est déroulée la mise en place du télétravail ces dernières semaines ?

JBS : En pratique, le 6 mars on a demandé l’upgrade de la bande passante à Céleste notre fournisseur d’accès qui a fait un super boulot en quelques jours et nous a permis de la doubler ; dès le 13 mars nous avions du 10 Gigabits. A partir du 9 mars mon équipe refaisait en parallèle des tests plus avancés sur les solutions à dégainer en temps . Ça nous a vraiment permis d’être efficients. La décision de mettre tout le monde en télétravail a été prise le 13, lors d’un comité de direction exceptionnel, le lendemain de l’annonce télévisée d’Emmanuel Macron qui allait préfigurer le confinement de la semaine suivante et qui paraissait inévitable.

Les tests en amont ont facilité cette prise de décision, j’ai pu indiquer clairement que le risque posé par cette bascule était très mesuré et on a décidé ensemble à la direction de le prendre en connaissance de cause.

Au final, nous avons un éventail de solutions techniques avec du contrôle à distance dans un premier temps, qui est la solution que nous avions éprouvée pour le prochain studio.

Bien évidemment, à ce stade on ne regardait pas vraiment ce que faisaient les confrères, la priorité était vraiment d’être en mesure de garantir le flux d’activité, la bonne livraison des épisodes à nos clients et partenaires. A partir de là, mon équipe formidable était sur le pont dès le début de semaine, ils ont enchaîné tout le week-end.

Dès le lundi 16 Nous avons commencé par équiper les gens avec fibre et adsl pour qui nous avions des solutions ; Ensuite nous avons géré les cas particuliers. Je dirais qu’on devait avoir 90%-95% d’effectifs opérationnels dès le mercredi. Les cas les plus particuliers ont été traités à la fin : personnes avec ADSL de très mauvaise qualité, ou n’ayant pas de machine et qui sont donc venues en chercher au studio pour qu’on les déploie chez eux.

Nous nous étions évidemment fixé quelques règles :
– ne jamais faire transiter de données non cryptées ;
– ne jamais donner à une machine dont on n’a pas le contrôle un accès à nos données.

Pour le second point, on passe donc par des systèmes de contrôle à distance, avec des machines virtuelles embarquées sur des PCs : on peut utiliser du matériel tiers pour afficher ce qui se passe sur une machine stockée localement dans le studio, avec quelque chose d’imperméable entre les deux réseaux, à la manière d’une machine virtuelle.

3DVF : Vous aviez donc testé en amont des approches techniques pour Paris, mais quid de Bourg-lès-Valence ? En particulier, y a-t-il eu plus de problèmes liés au débit ?

JBS : C’est la même techno et ce sont les mêmes machines, du coup effectivement le plus gros écueil vient du fait qu’en province le taux de personnes fibrées est plus bas.

En pratique, on a déterminé qu’il fallait au moins du 15 Mbits/s pour avoir un bon « rendement », c’est à dire pour avoir un flux suffisant pour afficher en double écran le travail des animateurs en déporté et pouvoir jouer un train d’images à 24 images par secondes. La compression du signal est spatiale et temporelle et le débit est donc fonction du nombre de pixels modifiés à chaque instant.

Pour les personnes qui n’ont pas ce débit, on a trouvé d’autres solutions. Il faut par exemple savoir que 5 personnes travaillent au studio à Bourg-lès-Valence, mais le studio fait 1300 mètres carrés, on a donc considéré que 5 personnes peuvent y travailler sans qu’il y ait de risque les unes envers les autres… Et elles se surveillent ! [rires]

3DVF : Effectivement, plus de 250 mètres carrés par personne, ça permet d’éviter une trop forte densité !

JBS : Exactement.

3DVF : pour revenir sur l’aspect technique, l’approche prévue pour le prochain studio parisien sera-t-elle déployée aussi à Bourg-lès-Valence ? Avec, donc, la fin des stations de travail physiquement situées dans les locaux ?

GH : Tout à fait !

JBS : Dès la fin 2021.

GH : Il n’y a aucune différence de traitement entre Paris et Valence. D’une manière générale nous testons des innovations, sur un site ou l’autre, et ensuite tout est déployé sur les deux sites. C’est le même studio.

3DVF : Nous avons déjà abordé plus haut les avantages de déporter les machines d’un point de vue sécurité et confort. En termes de coût global, quel est le bilan par rapport à un studio « classique » ?

GH : Il y a un coût supplémentaire lié au Zero Client, le boîtier présent du côté utilisateur. On n’a pas fait le calcul précis des économies en termes de refroidissement de l’air.

Il y a par contre des avantages, difficilement quantifiables, mais qui positionnent le studio comme un studio haut de gamme, qui prend à cœur l’ergonomie des postes de travail, pense à ses artistes. Autant de points qu’il est difficile de chiffrer mais qui ont un impact.

3DVF : En termes d’attractivité, notamment, avec sans doute la volonté d’attirer les artistes les plus qualifiés ?

GH :, Bien sûr ! Quand on est « le studio le plus cool de Paris », ça a évidemment une valeur, et c’est ce qu’on essaie de faire, même si je ne dis pas que l’on va forcément y parvenir. En tous cas, c’est l’idée, se demander ce que l’on peut améliorer dans la façon de travailler dans un studio.

3DVF : Revenons sur la sécurité. Vous disiez plus haut qu’il n’y avait pas eu de souci de votre côté, mais y a-t-il eu des inquiétudes du côté de vos clients comme M6, Canal+ ? A-t-il fallu les convaincre, les rassurer ?

GH : Sur les productions déléguées, nos partenaires français et étrangers nous font totalement confiance, il n’y a pas eu une seule question.

Sur les prods exécutives, notamment avec les clients américains, il y a eu des échanges. Pas d’inquiétude, mais juste une demande d’information pour savoir comment on s’était organisés. On leur a donc transmis un document qui résume ce que Jean-Baptiste a déjà expliqué, et il n’y a pas eu de question derrière.

La seule réaction d’un client Newyorkais quand j’ai parlé de télétravail a même été de dire « tu fais bien, la santé des équipes doit primer ». Avec 0 question sur la sécurité, car ils nous font confiance.

3DVF : Des réactions très compréhensives dans l’ensemble, donc.
Maintenant que le télétravail est acté, qu’en est-il de la productivité ? Avez-vous une idée de l’impact de ces nouvelles méthodes de travail ?

GH : C’est un petit peu tôt pour juger, jusque-là tout va bien.

JBS : Depuis 15 jours, tout a été livré à temps. Mais effectivement on manque de recul pour avoir une vision complète.

Ce qui est certain, c’est que c’est plus lourd en coordination. En revanche en ce qui concerne le travail linéaire des artistes (création des assets, animation, rendu, compo) les livraisons ont été tenues pour le moment.

GH : Dans 4 à 6 semaines, on aura vraiment le recul et les données pour tirer un bilan.

Je tiens à souligner que l’on a une équipe formidable à tous les niveaux, les gens sont vraiment motivés pour faire en sorte que ça marche, ils s’investissent tous, chacun avec leurs contraintes, les situations familiales n’étant évidemment pas les mêmes pour tout le monde. Je pense par exemple aux gens avec enfants en bas âge, aux célibataires mais qui sont dans de tous petits studios sans forcément de bureau installé ni même d’Internet rapide.

Beaucoup de cas particuliers mais globalement une vraie énergie, une vraie volonté de chacun de faire sa part et de s’en sortir dans un contexte où il faut serrer les rangs, que la vie continue et que le travail soit livré en temps et en heure.

3DVF : Est-ce que le télétravail a induit des réflexions sur l’après-confinement, avec par exemple l’éventualité de continuer à proposer cette approche par la suite ?

GH : Non, ça ne va pas révolutionner fondamentalement les choses mais il est clair que rien ne sera plus comme avant.

La seule chose que l’on peut dire pour l’instant, sous réserve que l’on fasse un débriefing positif dans quelques semaines et que le télétravail fonctionne jusqu’au bout du confinement, c’est qu’avant on ne savait pas, maintenant on pense que ça peut marcher. Ça peut du coup être une solution à certains moments, en cas de surrégime, quand on manque de place, pour les gens expérimentés et qui ont une bonne bande passante, de façon temporaire.

On peut donc commencer à imaginer des scénarios de ce type, mais maintenant, on investit actuellement massivement dans un nouveau studio à Paris, en parallèle on a des projets d’agrandissement et restructuration à Bourg-lès-Valence, on ne va pas remettre tout ça en cause.

Il y aura toujours des studios avec des gens, mais on peut imaginer des modèles hybrides dans certaines situations, comme lors d’une croissance au-delà d’un certain seuil, en ne redéménageant pas et en faisant ce qui dépasse les capacités physiques des bureaux en télétravail.

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