3DVF : Le visage de Grug comporte une mâchoire imposante et des sourcils proéminents. Peux-tu nous parler de l’animation faciale, et de la façon dont vous avez utilisé les caractéristiques du visage de Grug pour faire passer les émotions ?
Kristof Serrand : Je me rappelle surtout qu’au début il y avait des expressions que je n’arrivais pas à faire à cause de son crâne très plat, il n’a pas de front et on a dû tricher pas mal pour faire monter et descendre les sourcils, et les plis du front me manquaient beaucoup au début.
Puis au fur et à mesure, on s’y fait et finalement on tire parti des limitations du personnage pour développer sa personnalité.
Pour la mâchoire, effectivement, parfois il ne fallait pas trop articuler ou exagérer les lip-syncs, car l’essentiel c’est en général l’expression des yeux.
3DVF : Y a-t-il un plan ou un type de mouvement qui vous a donné du fil à retordre, ou qui était particulièrement complexe ?
K.S. : Je me rappelle avoir un peu galéré pour trouver un moyen de passer facilement du bipède au quadrupède, surtout dans la façon dont les singes utilisent leurs mains. Je crois qu’on a dû opter pour la manière du gorille plutôt que celle de l’orang-outan.
3DVF : Certains artistes aiment jouer eux-mêmes un plan avec une lipstick caméra, d’autres aiment disposer de la vidéo des acteurs enregistrant les voix, d’autres encore s’appuient sur de l’animation 2D réalisée au brouillon ou sur des références… Comment travailles-tu, de ton côté ? Quelle est ta méthode de travail lors de la première approche d’un plan ?
K.S. : En fait plus ça va, plus j’ai l’impression que je n’ai pas vraiment de méthode, mais ce n’est sans doute qu’une impression. (En fait, je crois que j’aimerais bien trouver la méthode idéale, celle qui marche à chaque fois !)
Je réfléchis toujours énormément au début, j’explore plusieurs idées, et je ne commence qu’une fois que j’ai décidé d’une certaine approche. J’ai tendance à tout planifier avant de commencer et j’ai toujours été très impressionné par les gens qui se lancent bille en tête sur un plan, et qui arrivent à un résultat qui tient debout.
Mais cette méthode a un gros défaut, c’est que j’ai tellement investi dans la conception qu’il m’est difficile de tout changer une fois le plan ou la séquence terminée ! Et il arrive assez souvent qu’on nous le demande, car le film évolue constamment en cours de fabrication.
3DVF : Revenons sur ta carrière : tu fais partie du studio DreamWorks depuis les débuts du département animation. Quelle est ta vision de l’évolution du pipeline de production, des budgets et de l’esprit des équipes ?
K.S. : Le changement le plus important a été le passage de la 2D à la 3D à la fois dans l’organisation, la logistique, mais aussi dans la culture d’entreprise.
À la création du studio, tous les exécutifs rêvaient de refaire Le Roi Lion et c’était une période rêvée pour les artistes, chacun avait son propre bureau, assistants compris, maintenant, à part les superviseurs, la plupart des gens sont de retour dans leurs « cubicles ».
Avant, les « approvals » se passaient de façon plus confidentielle entre l’animateur et le réalisateur, aujourd’hui tout est montré sur grand écran pendant les « animation dailies » où sont invités les chefs de départements.
On a sans doute perdu une atmosphère artistique bon enfant, le côté bordélique qui existait du temps de la 2D où l’on voyait beaucoup plus de dessins sur les murs.
Mais je ne suis pas plus nostalgique de cette période que de mes débuts à la Gaumont à Paris, ou d’Amblimation à Londres ; la création d’un nouveau studio est toujours une aventure, et après quelques années la routine a toujours tendance à s’installer, je pense que la 3D a permis de se renouveler.
Il faudrait seulement qu’il y ait de la place pour toutes les formes d’animation, ce qui ne semble pas être le cas depuis ces dernières années où la 3D s’est imposée massivement en tout cas aux États-Unis.
En ce qui concerne l’esprit des équipes, ça n’a pas vraiment changé, il y a des productions sur lesquelles ça se passe très bien, et d’autres moins, ensuite le succès ou l’échec du film ont un évidement un impact a posteriori sur le souvenir qu’on en garde.
