Compte-Rendu : Annecy 2012

Bannière

 

Masterclasses et conférences

Bien entendu Annecy 2012 a une fois de plus été l’occasion de faire de très belles rencontres, lors de masterclasses ou durant les nombreuses conférences. Le programme de cette année était d’ailleurs particulièrement alléchant, largement au-dessus du niveau de l’année passée. En voici un aperçu…

Kristof Serrand, Dreamworks
Mardi, le MIFA s’est ouvert sur une masterclass animée par le légendaire Kristof Serrand, qui a supervisé l’animation de nombreux films : Astérix chez les Bretons, Le prince d’Egypte, Dragons

Sa masterclass intitulée « Acting in animation » s’est déroulée en plusieurs parties : la présentation d’extraits encore non finalisés des productions en cours chez Dreamworks, suivit de sa masterclass. A ses côtés, Shelley Page, en charge du recrutement en Europe chez Dreamworks; comme chaque année le studio se rend sur le festival pour dénicher de nouveaux talents !
Mais revenons-en aux exclusivités : nous avons tout d’abord eu droit à un extrait non finalisé de Turbo (été 2013), un film mettant en scène un escargot rêvant de devenir un champion de vitesse. Un mystérieux incident va changer sa vie… 

 

Du côté de l’animation, des idées intéressantes étaient exploitées, comme l’utilisation des antennes supportant les yeux en tant que bras : lorsque le personnage principal n’a ni bras ni jambes, il faut se montrer créatif ! Le parallèle entre voiture et coquille d’escargot a aussi engendré de petites touches d’humour que nous vous laisserons découvrir quand nous pourrons vous en dire plus.


Après un second extrait issu des Cinq légendes (Rise of the Guardians), nous avons découvert avec un certain enthousiasme The Croods (sortie au printemps 2013), qui met en scène un groupe d’hommes préhistoriques. Idée à fort potentiel, originalité du traitement, animation manifestement très réussie… Ce film a clairement retenu notre attention, et nous avons hâte d’en voir plus.


Me and My Shadow, enfin, reste un projet encore très mystérieux. Le mélange entre 2D (pour les ombres des personnages) et 3D (pour le reste), dévoile un concept avec une ombre qui dirige celui dont elle émane… L’enthousiasme manifeste de Kristof Serrand nous a là encore donné envie d’en voir plus. Mais il faudra attendre encore un peu, la sortie étant programmée pour 2014 !

Kristof Serrand

 

 

 

 

 

Il est important à ce stade de saluer la participation de Dreamworks au Festival : il est assez rare de montrer des images non finalisées un ou deux ans avant la sortie du film, l’initiative est donc à saluer !

Kristof Serrand a poursuivi sur la masterclass proprement dite, qui était en fait un extrait d’un cours qu’il donne régulièrement dans les écoles d’animation.
Il a tout d’abord donné quelques références en matière d’acting, un mélange de textes, d’idées visuelles et de citations. En voici un petit florilège :
– Les travaux de Franquin, dont il est un fan inconditionnel ;
– Le mémo de Disney de 1935, document fondateur qui posa les bases du métier.
– Les tableaux de Bruegel, Bosch, Laurent Jérôme, Norman Rockwell… Autant d’artistes qui peuvent donner des idées pour les expressions et attitudes.
– Une citation de Frank Capra : « I made mistakes in drama. I thought drama was when actors cried. But drama is when the audience cries. »
– Quelques livres récents ou non : Méthode pour apprendre à dessiner les passions, de Charles Le Brun, est une bonne source malgré son âge (il remonte à 1702), et est disponible gratuitement (et légalement).
Animated Cartoons d’Edwin George Lutz contient également quelques trésors.

Serrand est ensuite revenu sur le jeu d’acteur, insistant sur le fait que cela ne revenait pas à enchaîner les « funny faces » : une librairie de poses n’a rien à voir avec le fait de faire jouer une scène au personnage que l’on anime, le jeu d’acteur ayant un contexte.

 

Il ne faut pas non plus y voir de la pantomime, car les mots ont aussi leur importance. Il en a profité pour évoquer les fameuses planches du dessinateur Gotlib, mettant justement en scène un mime en action et dans la vraie vie : ce qui passe très bien en miment devient surjoué dans une scène de la vie courante. Il ne faut donc pas virer à la caricature, une erreur pourtant courante chez les animateurs…


La suite de son l’intervention a mêlé conseils judicieux, rappels des bases et exemples décalés : rappel de l’importance de l’anticipation (évoquée dès 1935 dans le fameux mémo de Disney !), autrement dit commencer les mouvements avant les mots. Eviter de toujours faire la même chose et d’abuser du « finger-pointing », recherche perpétuelle de l’authenticité et de la spontanéité dans le résultat d’une animation… A noter, une citation de Steven Spielberg, en 1978 : « All Directors Should Be Animators First »

 


Lors de la séance de questions-réponses, quelques sujets intéressants ont aussi été abordés, comme celui des démoreels : il peut arriver qu’un projet précis nécessite un jeu d’acteur très décalé, à la limite de l’étrange, et qui pourrait passer pour de la mauvaise animation. Dans ce cas, Serrand préconise de rajouter des indications expliquant le contexte. Interrogé sur ses idées pour optimiser une production, il a conseillé de se calquer sur le modèle de la 2D : des animateurs expérimentés qui réalisent les poses clés dans une première passe, avant de laisser la main aux juniors.

Cette masterclass était définitivement l’un des moments forts du MIFA : humour, décontraction, mais aussi conseils avisés d’une grande figure de l’animation, exclusivités : finalement, c’est tout cet ensemble d’ingrédients qui fait le succès du festival d’Annecy !

 

Dreamworks

 

En marge du MIFA et durant toute la semaine, une série de conférences était proposée à la chambre des métiers. L’éloignement géographique avec le MIFA, certes limité – moins de 10 minutes à pied – fait que certains délaissent ces conférences pour rester près des stands. Grosse erreur : le contenu était  souvent passionnant, et les intervenants accessibles. Voici le résumé d’une partie d’entre elles :


Quatre longs-métrages, quatre études de cas
Le mercredi, place à la diversité avec quatre long-métrages utilisant des techniques radicalement différentes : Ernest et Célestine, Le Jour des Corneilles, Le magasin des suicides et ParaNorman.

Ernest et Célestine, pour commencer, a été décortiqué du point de vue technique par Ivan Rouveure, producteur exécutif chez Les Armateurs. Ambitieux, le film disposait d’un budget de 9,2 millions d’euros, le pilote ayant coûté 400 000€.  Ce dernier a été réalisé entièrement avec des méthodes traditionnelles, à l’aquarelle. Une approche qu’il a fallu changer pour le film, sous peine de faire exploser le budget… Afin d’optimiser les aides financières, le film a été réalisé dans trois pays : France (Ile-De-France et Poitou-Charente), Belgique et Luxembourg. 73% du budget était Français, les deux autres pays se partagèrent le reste du montant de façon relativement équitable.

 

Ivan Rouveure nous a présenté les coulisses de la réalisation, avec un amour manifeste de la tradition : les décors étaient encrés au brous de noix, puis aquarellés et scannés. Pour les personnages animés, une approche typée « à l’encre » a été choisie, avec des tracés ouverts réalisés sous Flash (pour les raisons financières évoquées plus haut). Le passage à la couleur était laissé à la charge des animateurs.


Les vidéos de making-of qui nous ont été présentées permettaient de bien saisir la minutie du processus qui a abouti au film, avec une production de 2,7 secondes d’animation en moyenne par jour.

Place ensuite au Magasin des Suicides, présenté par Jean-Louis Rizet (directeur d’Executive Toon Alliance) et Florian Thouret (directeur artistique chez Caribara Animation). Plus de trois ans de production, cinq coproducteurs francophones et 11,6 millions d’euros auront été nécessaires à Patrice Leconte pour réaliser son film. Là encore, plusieurs pays ont été impliqués : France, Canada, Belgique. 80 artistes étaient impliqués sur sa fabrication.

 

La conférence a été l’occasion de revenir sur les outils utilisés : ToonBoom a par exemple été utilisé pour passer du storyboard à l’animation. Les animateurs ont employé la technique du cut-out, autrement dit du papier découpé : les différents membres et éléments des personnages sont rigides, mais mobiles les uns par rapport aux autres.

 

 

 

 

Gros avantage car très peu de dessin à faire durant la production, tous les éléments (personnages sous différents angles) ayant été réalisés en préproduction. Des sets d’expressions et de mains avaient été préparés. Pour éviter un effet à la South Park, très figé, les personnages étaient très découpés, ce qui a permis un contrôle relativement fin de l’animation.

Les décors ont été réalisés sous Photoshop par le studio Waooh ! (qui fait partie de la Toon Alliance), certains se sont avérés particulièrement complexes, certains allant jusqu’à une centaine de calques.


Pour que les personnages puissent interagir avec le décor et prendre des objets, des déformations sous After Effects ont été employées, de façon à éviter l’effet d’objet qui « saute » souvent présent en animation. Enfin, la 3D a été utilisée de façon mineure, pour les voitures de la ville. Du côté de la vitesse de production, 1,7 seconde d’animation étaient générées chaque jour.

Manifestement, l’équipe a fait un travail qui a satisfait Patrice Leconte, puisqu’il a d’ores et déjà commencé à travaillé sur Music !, nouveau film d’animation qui fera appel aux mêmes studios.

 

Mark Shapiro, directeur marketing chez Laika, a poursuivi la conférence en évoquant Paranorman. Le processus de production a reposé sur des méthodes désormais classiques : impression 3D pour les expressions et les in-between des portions du visage (les jointures ayant été nettoyées image par image). Si vous avez vu la bande-annonce, sachez que le plan du brossage de dents a nécessité pas moins de 150 visages… Au total sur toute la production, ce sont 31 000 visages qui ont été nécessaires, Norman disposant d’1,5 millions d’expressions possibles en combinant l’intégralité des variantes d’éléments de son visage.


Un travail de fourmi pour la trentaine d’animateurs de Laika, confrontés en outre à des problèmes auxquels on ne pense pas forcément. Ainsi, l’humidité pouvait faire bouger ou pivoter les décors, d’où des corrections en postproduction, voire des scènes à refaire entièrement…

Enfin, Jean-Christophe Dessaint (réalisateur chez Finalement) et Patrice Suau (directeur artistique) ont conclu en évoquant Le Jour des Corneilles, réalisé en animation traditionnelle, sur papier. Le défi a surtout été d’adapter l’histoire à l’attention du grand public sans trop dénaturer l’oeuvre : en effet, le livre dont est adapté le film est un roman très dur, visant plus particulièrement un public adulte.

 

 

Ci-dessous : le panel de la conférence, suivi d’images du magasin des Suicides.

 

Magasin des Suicides

 

 

Ci-dessous, images tirées du film Le Jour des Corneilles

Jour Des Corneilles

 

 

 

 

 

 

 

VFX

Le jeudi, place aux effets visuels, une thématique que le festival tient à aborder chaque année, puisque de nombreux animateurs travaillent dans ce secteur. Double Negative, Buf, MPC et Framestore ont répondu présent cette année.


Gregory Fisher, responsable de l’animation chez MPC, est revenu sur La Colère des Titans, et plus particulièrement la Chimère et les guerriers bicéphales visibles à la fin du film. Comme d’habitude dans les conférences du studio, l’accent a été mis sur les inspirations, les ressources et les étapes préparatoires. Une approche toujours passionnante, qui permet de saisir une partie du travail des artistes.


Nous avons ainsi pu découvrir quelques photos de référence et quelques « mood boards », mais aussi l’évolution du design ou encore l’utilisation de cochons brûlés pour les guerriers de la fin du film… Fisher a également évoqué Fertility, l’outil maison de MPC pour les effets de fourrure. Il a insisté sur le lien fort qui a existé entre les équipes de rigging et d’animation pour la chimère, une créature particulièrement complexe à gérer.


La partie à laquelle nous nous sommes le plus attachées est sans conteste celle sur le Marsupilami d’Alain Chabat. Cette présentation a été effectuée par Olivier Cauwet, superviseur VFX chez Buf, et Bastien Laurent, superviseur animation chez Buf.

 


Le Marsupilami, on le sait, est un projet qu’Alain Chabat a en tête depuis longtemps. Depuis 2004, il venait au studio une à trois semaines par an faire quelques essais et recherches, pour faire progresser sa vision de l’animal mythique. En 2010, enfin, la production est lancée.

L’évolution des recherches du design nous a été dévoilée. Passer de la 2D à la 3D a été un vrai défi, même si Chabat avait une idée claire : rester fidèle au dessin original, et non au nouveau design plus récent. Singes et félins ont été utilisés comme références pour la morphologie et le pelage.

 



Le tournage a bien entendu été effectué sans « vrai » Marsupilami, des gabarits et autres balles de tennis ont donc été utilisés comme repères afin d’aider les acteurs à regarder au bon endroit. Deux sphères (gris mat et chromée) étaient également utilisées et filmées le long du trajet du Marsupilami dans les plans; la première pour déterminer les sources de lumière principales et leur intensité, la seconde pour mieux « lire » le décor. 

Bastien Laurent a souligné le plaisir qu’ont eu les animateurs à travailler avec Chabat : sachant clairement ce qu’il voulait, il donnait souvent aux artistes des extraits des planches de BD comme références. Une aide énorme pour les poses clés ! Mieux encore, Chabat a aussi servi de référence en mimant ce qu’il voulait obtenir.

Le processus d’animation a été relativement ouvert, quatre ou cinq variations étaient souvent proposées pour un même plan. Un réalisateur ouvert et demandeur, une vraie chance pour les animateurs qui pouvaient ainsi proposer leurs propres idées.
Bien entendu, tout n’a pas été rose pour autant : le modèle définitif du Marsupilami a été figé après le début de la production ! Autrement dit, les animateurs se sont d’abord concentrés sur l’animation corporelle, faute de visage définitif, avant de passer à l’animation faciale. Plusieurs mois se sont écoulés sans que la moindre expression du visage ne puisse être réalisée.
Détail amusant : la queue du Marsupilami, par essence très mobile, était considérée comme un personnage distinct sur le planning de production.

Au final, Buf a réalisé 265 plans VFX, dont 225 avec le marsupilami. 60 graphistes, 20 animateurs ont planché sur le long-métrage.

Notez que comme à son habitude, Buf a réalisé un making-of des effets visuels, disponible sur le site du studio.

VFX

Marsupilami

 

La conférence de Double Negative se concentrait sur John Carter dont nous vous avons déjà parlé dans notre compte-rendu du FMX et dans de nombreuses news. On retiendra toutefois l’usage de la motion capture en tant que référence :

– pour les bêtes de somme visibles dans le film, avec un costume de motion capture installé sur un chameau (!), même si l’animation finale a été réalisée en images clés.


– de la capture faciale a aussi été réalisée sur des humains, avec un rig customisé (pour éviter tout jeu dans le système) et deux caméras (ce qui permet de capter le relief des mouvements des muscles). 

Dès le départ, il était toutefois exclu d’utiliser ces données directement pour animer, les aliens ayant un visage trop différent de celui des humains. Les séquences ont plutôt été utilisées comme références ou point de départ pour les animateurs.


– enfin, une combinaison XSens achetée pour l’occasion permettait aux animateurs de faire leurs propres essais ; la simplicité du système permet à un individu unique de tout gérer, ce qui était un avantage pour les artistes souvent timides…

John Carter
Chargement....

A Lire également