Les fantômes du Père Lachaise

Banniere

 

3DVF : Le court ayant deux réalisateurs, comment se passe le travail avec les équipes de Chez Eddy ? Est-ce que vous vous relayez ? Quelle est votre méthode de travail ?

Guillaume Rio, réalisateur : On n’a pas pu être dans le studio en permanence, mais on a évidemment essayé d’être très présents. Pour le reste je pense que l’on a su parler d’une seule voix, d’un seul avis, on s’entend suffisamment bien pour ça !

3DVF : Pour revenir sur le scénario, qu’est-ce qui a présidé au choix du personnage principal, la petite fille ? Dans l’animation occidentale, on a tendance à éviter les personnages principaux féminins, perçus comme peu vendeurs : on le voit avec Pixar qui a attendu son 13e film (Rebelle) avant de mettre en avant une femme…

– G.R. : En fait on a opté pour une jeune fille fraîche et fragile pour créer une opposition avec les grands gaillards du cimetière, tous adultes et un peu effrayants, qui ont tous une grande envergure : pour le long, ce sont majoritairement des célébrités masculines que l’on a en tête.
Pour le futur film l’idée serait sans doute aussi de lui associer un petit frère ou un jeune garçon, car effectivement avoir un petit garçon a du sens. Disons qu’il est envisagé, mais pas encore défini.

3DVF : Pour le long, le but sera-t-il aussi de développer l’univers de la fillette dans son quotidien, ses relations familiales par exemple ?

– G.R. : C’est une petite fille d’aujourd’hui, avec son portable, sa vie, ses cours à l’école (même si on ne verra pas forcément cette partie-là), des amis, sa mère… Mais pas de père.

3DVF : Pas de père, mais des morts masculins… Faut-il y voir des pères de substitution ?

– G.R. : Tout à fait, il vont l’aider à résoudre ses problèmes existentiels…

3DVF : Quelle a été l’influence des réalisateurs sur les choix artistiques ? Dans quelle mesure avez-vous délégué ou impacté les décisions et orientations prises ?

G.R. : On a beaucoup travaillé avec les designers pour les décors et les personnages, les recherches de lumière et ambiance. Pour la partie 3D on a entièrement fait confiance au talent de l’équipe de Chez Eddy.

Cimetière

 

Cimetière
Clairière

 

 

Direction artistique

Nous avons ensuite focalisé l’interview sur les choix artistiques, en compagnie des intervenants précédents et de Jérôme Calvet, directeur artistique du projet et directeur associé de Chez Eddy.

3DVF : Jérôme Calvet, Coline Six, quelle a été votre implication dans le projet ?

– Jérôme Calvet : J’ai supervisé toute la fabrication du pilote, j’ai pris part au layout, je me suis chargé des caméras, j’ai ensuite dirigé les animateurs, la mise en place des particules et j’ai travaillé en étroite collaboration avec Jean-Charles Kerninon le superviseur du rendu.

– Coline Six, directrice despost-production au sein de Chez Eddy : Pour ma part, j’ai travaillé à la mise en place des équipes 3D, du planning et du bon déroulé de la production en étroite collaboration avec Steven Ligot [coordinateur de production sur le projet, NDRL].
 

3DVF : L’univers graphique est assez chargé en couleurs : même si le lieu est a priori morbide, puisqu’il s’agit d’un cimetière, le résultat final n’évoque finalement pas trop la mort. Était-ce une volonté délibérée ?

– J.C. : Tout à fait, c’était même une contrainte. Il fallait à tout prix éviter le morbide. Les réalisateurs ont d’ailleurs eu la bonne idée de rajouter les lucioles, ce qui réchauffe l’atmosphère.

– Guillaume Rio, réalisateur : Il faut aussi recadrer tout ça avec l’esprit du scénario : les morts du cimetière sont des artistes qui continuent à créer, c’est donc presque dans une sorte de fête que la petite fille va plonger. Elle voit tout sauf du glauque.Cela permet au passage de se détacher des clichés et des classiques, pour proposer un univers très accueillant.

– J.C. : L’idée c’était de jouer sur les contrastes, avec des couleurs froides puis chaudes. La clairière est un lieu chaleureux et non inquiétant. Rémi Salmon, le designer des décors, nous avait des visuels et un colorboard superbe, lorsqu’il a fallu passer en 3D , nous ne savions pas au départ si tout cela allait  » marcher » comme on le voulait, c’est seulement quand Jean-Charles Kerninon a sorti le premier plan que l’on a pu respirer en constatant que le but était atteint !

Ci-dessous, l’animatique 2D et le Layout 3D, suivis du court final à titre de comparaison.

 

 

 

 

3DVF : Du côté de la modélisation, on sent une certaine volonté d’exagérer les objets, d’éviter un parti pris réaliste… Pourquoi être partis dans cette direction, et comment avez-vous su où vous arrêter ?

– Guillaume Rio, réalisateur : Le Père-Lachaise donne déjà une bonne base, c’est un lieu assez tordu et particulier pour lequel il y a finalement assez peu de choses à changer ; on a dès le départ demandé à Rémi Salmon, qui a réalisé le design des décors, de  » tordre  » un peu les choses pour accentuer le côté merveilleux. Avec les pierres et végétaux du lieu, le résultat est enthousiasmant.

3DVF : Les tombes sont-elles réellement inspirées des tombeaux du Père-Lachaise ? Avez-vous pris beaucoup de références ?

– Jérôme Calvet, directeur artistique du projet et directeur associé de Chez Eddy : Toutes les tombes des « stars » ou presque sont directement inspirées des vraies. Les tombes « figurantes » sont elles aussi largement inspirées de ce que l’on peut trouver dans le cimetière. Par contre il y en a seulement une dizaine de différentes, le fait de les placer et de les filmer sous différents angles donne le change.
Sinon, du côté des références, on a regardé un certain nombre de scènes de nuits sur d’autres films, et on a réalisé que bien souvent, dans les films d’animation, la nuit est en fait très éclairée !

Ci-dessous, design des tombes de Balzac et Edith Piaf.

 

Balzac - Piaf

 

3DVF : Le matte-painting du début peut faire penser au Paris de Ratatouille…
Qu’en sera-t-il pour le long-métrage ?

– Guillaume Rio, réalisateur : On évitera de tomber dans le Paris  » fantasmé  » à l’américaine, avec des Citroën DS et 2CV partout ! Ce sera un Paris d’aujourd’hui.

3DVF : Concernant l’héroïne, comment ont évolué les recherches sur le design ?

– G.R. : Elle a beaucoup évolué, pour diverses raisons, que ce soit pour le personnage ou ses vêtements. Au début elle devait avoir des vêtements très lâches, et finalement on s’est éloignés de cette direction…

3DVF : Pour des raisons liées à la complexité de la simulation ?

– J.C. : Oui, ça a évidemment joué, on s’est adaptés avec le budget que nous avions.

– G.R. : Il y a eu d’autres adaptations liées au temps et au budget, par exemple la chambre de la jeune fille, visible dans le travail sur le design en préproduction, n’a pas été retenue pour le court. Nous sommes restés sur un seul lieu, deux personnages.

Character design : recherches sur le personnage de Lucy :

Design Lucy

 

Supervision CG et Rendu, utilisation de Renderman

Nous avons également interrogé Jean-Charles Kerninon, superviseur CG et rendu ; avec lui, nous avons en particulier évoqué l’utilisation de Renderman.

3DVF : L’utilisation de Renderman est une première pour Chez Eddy : pourquoi avoir opté pour ce moteur et pas sur un moteur déjà maîtrisé par le studio ?

– Jean-Charles Kerninon – Superviseur CG et rendu : C’est vrai que l’on utilise Mental Ray depuis presque 10 ans, on le connait bien… Mais on connait aussi ses limites !
On aurait sans doute pu faire le pilote sous Mental Ray, mais comme le but est ensuite de faire un long et que Renderman reste LA référence dans ce genre de projet (même si Arnold arrive à grands pas), cela a décidé de notre orientation. D’autant plus que la complexité des décors et du projet nécessitaient un moteur qui puisse gérer tout ça.
C’était un bon moyen pour le studio de tester le moteur en production et de voir l’impact financier : cela faisait un moment que Chez Eddy regardait Renderman du coin de l’œil !

3DVF : Est-ce que vous avez envisagé les  » petits nouveaux  » du marché, comme Guerilla Render ou Bakery Relight ?

– J.-C. K. : On a évoqué Relight à un moment, mais le problème est qu’il est impossible de tout regarder et tout tester, se plonger dans un moteur prend énormément de temps.
On aurait aussi pu envisager 3Delight pour rester dans l’optique Renderman…
Mais pour une première utilisation, Renderman a l’atout énorme d’avoir énormément de documentation et d’informations disponibles, contrairement aux autres moteurs ; la mise en place est bien plus rapide, et pour un petit budget c’est capital. On voulait à tout prix éviter de se casser les dents sur un autre moteur.
L’histoire du moteur joue aussi : j’ai eu Guerilla entre les mains, qui est un moteur très prometteur, mais sur ce type de moteur récent et encore non éprouvé en production, quand on n’arrive pas à faire quelque chose on aura tendance à accuser le logiciel en se disant qu’il a peut-être des bugs, alors que sous Renderman pas d’excuse, on sait de quoi il est capable, c’est forcément de notre faute si quelque chose n’est pas assez réussi ! Bref : les productions réalisées avec un moteur  » donnent envie  » de l’utiliser, sans ça il sera toujours difficile de se motiver.

 

 

Version finale de Lucy :

 

 

 

 

3DVF : À ce propos, comment s’est passée la formation à Renderman ?
Vous êtes-vous appuyés sur la documentation, sur les formations Renderman de Progiss ?

– J.-C. K. : J’ai passé une journée chez Progiss sur le moteur, même si en l’occurrence c’était plus un  » avant-goût  » qu’une formation. On avait déjà beaucoup lu la documentation, donc l’idée était surtout de confirmer notre choix, plus que de se former, ce qui est évidemment impossible en une seule journée. Malheureusement, l’apprentissage se fait surtout lors de l’utilisation ! Les débuts sont difficiles mais encourageants.
Philippe de Progiss nous avait en fait indiqué que la version Renderman Studio était utilisable tel quel en production sans forcément avoir besoin de trop reprogrammer derrière, je ne suis pas aussi optimiste : ce n’est pas encore tout à fait le cas.

Le souci pour nous a surtout été l’intégration dans notre pipeline, avec notre environnement  » maison  » : faire cohabiter Tractor, Pro Server, Renderman Studio, envoyer sans problème des travaux sur la renderfarm, rien que ça n’a pas été simple. L’installation n’a pas été une partie de plaisir.

À l’opposé, par exemple, le lien fort entre Mental Ray, V-Ray et Maya fait que les choses sont bien plus simples avec ces moteurs. Évidemment, Renderman Studio s’intègre bien dans Maya, mais nous sommes partis sur Renderman Pro Server : la version Studio est juste utilisée pour le travail sur les stations, et on envoie ensuite sur Pro Server pour les calculs. Et c’est à ce niveau que les choses se compliquent, d’autant plus que Tractor (la solution de calcul distribué de Pixar pour Renderman, NDLR) nécessite un environnement Linux alors que nous sommes sous Windows : l’installation d’un serveur dédié a du coup été obligatoire.

On a eu quelques complications lors de l’installation et pris un peu de retard sur le planning, mais aujourd’hui tout fonctionne bien.

Tombes
Tombes
Chargement....

A Lire également