Interview : Puss in Boots – Trois français chez Dreamworks

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3DVF : Quelques questions plus spécifiques pour Sébastien : lors de l’éclairage d’une scène, un lighter peut être amené à avoir un parti pris réaliste ou bien à privilégier un rendu qui mettra en avant la composition et l’intention artistique, quitte à tricher énormément sur la justesse des ombres, les sources lumineuses, etc. On le voit par exemple chez Pixar, qui va jusqu’à tricher sur la taille des fenêtres ou à créer des ombres incohérentes si cela se fait au service du film. Qu’en est-il chez Dreamworks ? Est-ce qu’il y a selon toi un style d’éclairage propre au studio ? Pour Puss, as-tu beaucoup « triché » sur le réalisme ?

S.C. : À Dreamworks les contraintes artistiques et techniques nous obligent à tricher, ce n’est pas seulement une question de style, nos outils nous y contraignent aussi.
Je pense que le style d’éclairage à Dreamworks est très varié d’un film à l’autre : comparez Dragons, Kung Fu Panda et Puss in Boots, ce sont trois univers très différents artistiquement, après l’outil crée définitivement une patte reconnaissable en raison du moteur de rendu.

3DVF : Maël François, lighting TD chez Pixar, nous expliquait lors de la Games Connection 2011 qu’il y a deux « tendances » chez Pixar : ceux qui comme lui partent d’un éclairage réaliste (au sens de « naturel » ou « cohérent », puisqu’évidemment les moteurs de rendu utilisés par Dreamworks ou Pixar ne sont pas physiquement réalistes) puis modifient les ombres, sources lumineuses selon les personnages, etc pour arriver au rendu voulu, et ceux qui à l’inverse créent directement un éclairage théâtral, pour ensuite chercher à repartir vers un certain réalisme. Comment procèdes-tu, et pourquoi ?

S.C. : Il me semble totalement inapproprié de faire un éclairage sans mettre d’abord en place une approche cohérente de la scène avant de casser la logique du moteur de rendu. Faire l’inverse rend le travail d’équipe très difficile et il est quasi impossible d’être flexible pour, par exemple, répondre aux exigences d’un changement de direction artistique sur une séquence.

3DVF : Puisque tu es passé chez The Mill puis Framestore en mars dernier, peux-tu nous parler de ton travail chez eux ? Peux-tu éventuellement évoquer tes projets en cours ?

S.C. : Chez The Mill, j’ai principalement fait de l’éclairage, sur des projets de cinématiques ou des publicités pour des grandes marques. Mais je peux pas en dire beaucoup plus.

Chez Framestore , je travaille en tant que lighter sur Gravity, le prochain film d’Alfonso Cuaron.

Concernant les raisons : eh bien vivre aux USA n’est pas forcement que positif. C’est un pays qui est très agréable à vivre lorsque l’on est célibataire ou en couple sans enfant. Toutefois avec une famille c’est plus compliqué de s’y retrouver. L’école pour les enfants coûte cher (il n’y a pas d’école publique avant 6 ans) et le peu de vacances ne permet pas de profiter assez de sa famille sur place ou encore de passer du bon temps avec sa famille en France. Il s’agissait donc plutôt de trouver une solution pour quitter la Californie et se rapprocher de la France. Les boîtes sur Londres ont tendance à offrir des projets assez intéressants et bien rémunérés, ce qui m’a poussé à recibler mes recherches vers l’Angleterre plutôt que vers la France. Toutefois un retour en France est loin d’être exclu dans les années à venir.

Et puis finalement après 8 ans aux USA, deux expériences intéressantes à Blur et Dreamworks, j’avais accompli une bonne partie de ce que je voulais faire avant mon départ.


Dernière démoreel de Sébastien Chort (lighting/compositing/modeling).
Le breakdown complet est disponible sur son site.

3DVF : Ludovic, tu as passé un certain temps auprès de l’équipe de Dreamworks India en tant qu’Animation Supervisor sur Merry Madagascar et Scared Shrekless. Peux-tu revenir sur ton travail sur place ? Quel était ton rôle ?
Quelles différences as-tu vues entre Dreamworks India et le studio américain, en termes d’ambiance et de façon de travailler ? Comment, selon toi, les indiens perçoivent-ils leurs confrères aux USA ?

L.B. : Le travail que j’ai fait en Inde a été à la fois très intéressant et enrichissant, mais aussi assez stressant.
Merry Madagascar était le premier projet du studio en Inde et c’était ma première expérience de supervision. C’était énormément de pression de réussir à fournir un travail de bonne qualité dans le temps imparti. Ajoutez à cela que la moitié du projet était fait à PDI (le studio de Dreamworks basé à San Francisco), il fallait un travail qui était au niveau du leur !
Sur les deux projets, j’ai participé au développement des rigs, décidé de la répartition des plans par animateur, participé à toutes les réunions liées au département animation et bien sûr supervisé une partie des séquences (nous étions à l’époque deux superviseurs d’animation dans le studio).
Les animateurs, tous indiens, étaient très motivés. Dreamworks est très populaire là-bas et faire de l’animation d’une telle qualité en Inde n’est pratiquement possible que dans ce studio. Ils ont toujours eu une grande admiration pour leurs collègues américains. Cela crée une belle énergie pour fournir le meilleur travail possible.

L’ambiance du studio indien était évidemment différente de celle du studio de Los Angeles ou même de PDI. Au moment de Merry Madagascar, nous étions en tout une centaine de personnes, là où au même moment, le studio de Glendale comptait dix fois plus d’employés ! L’ambiance était donc plus familiale. Tout le monde se connaissait et travaillait sur le même projet. Cela ressemblait davantage à l’atmosphère de plus petits studios. La différence de culture participait aussi à cette ambiance particulière ; c’est vraiment très enrichissant de travailler auprès de gens qui ont une culture si différente. Même leurs références d’acting pour leurs plans étaient parfois très différentes.
Pour Merry Madagascar, il fallait faire le pont entre le réalisateur aux États-Unis et les artistes travaillant en Inde. Avec 12 heures de décalage horaire, les réunions en vidéoconférence étaient donc très matinales. On pouvait voir la différence entre les gens qui commençaient leur journée et ceux qui la finissaient.
Pour Scared Shrekless, le coréalisateur était en Inde, du coup la structure de la production était plus proche de ce que l’on peut expérimenter aux États-Unis.
Je me suis aussi occupé de jouer le rôle de mentor pour les nouveaux arrivants au studio et d’organiser la formation continue des animateurs par des séries de conférences au sein du département d’animation.

Démoreel animation de Ludovic Bouancheau pour Puss in Boots.

Ci-dessus, démoreel de Ludovic Bouancheau pour Merry Madagascar ;
ci-dessous, présentation de la DreamWorks Dedicated Unit et sa démoreel.

3DVF : Olivier, ceux qui ont suivi les reportages ou vidéos de making-of issus de Dreamworks auront forcément remarqué que tu reviens régulièrement devant la caméra, que ce soit pour le web, les télévisions américaines, etc. Comment le studio en est-il arrivé à te mettre en avant ? Que penses-tu du fait que Dreamworks choisisse de mettre davantage en lumière ses employés, alors qu’il y a quelques années les studios se contentaient plutôt de valoriser uniquement le casting de doubleurs ?

O.S. : Oui, j’ai eu beaucoup de chance et je suis très touché d’avoir été choisi pour parler du film. Je pense que le studio voulait me mettre en avant car je supervisais ce personnage, mais c’est vrai qu’il y a quelques années ils auraient plus insisté sur les voix américaines connues qui ont participé au film.

Pour Puss In Boots, je pense qu’ils ont essayé de faire un mélange entre les artistes du studio et les acteurs afin d’essayer de mieux représenter les personnes impliquées sur le film.

3DVF : Faut-il y voir une reconnaissance plus forte des artistes ?

O.S. : Oui, je pense. C’est une bonne époque pour le studio, où nos films et nos compétences sont davantage reconnus et appréciés.

Ci-dessous, deux des apparitions d’Olivier Staphylas :
extrait d’une émission diffusée sur MSNBC (présentation du film puis des coulisses), interview pour le site GeekBeat.tv.

Démoreel character animation d’Olivier Staphylas :

3DVF : Au cours du mois de janvier, les listes de nominations pour l’année 2011 ont fait surface : Oscars, VES Awards… Dans le même temps, Puss in Boots continuait d’attirer les spectateurs au cinéma, avec près de 550 millions de dollars accumulés dans le monde, selon The Numbers (ce qui situe le film entre How to Train your Dragon et Kung-Fu Panda 2). Enfin, les sites compilant et recensant les critiques donnent 65/100 du côté de Metacritic, 83 % chez Rotten Tomatoes.
Comment observez-vous ces chiffres, critiques et prix ? Y êtes-vous attentifs ? Au final, à quoi êtes-vous le plus sensible ? Les retours du grand public, des critiques, des autres artistes via le VES et les sites spécialisés ?

S.C. : Mon attention se porte en général pour le public et les résultats aux Oscars. Avoir travaillé sur un film récompensé par un Oscar est un plus indéniable pour un CV. Concernant le public il me semble qu’il est plus important de le satisfaire que les critiques, après tout le public paie et le succès auprès du public se transforme en revenus permettant d’assurer la pérennité de l’entreprise.

L.B. : Les résultats du box-office n’ont pas été très bons la première semaine, mais le bouche à oreille a permis de maintenir le niveau d’entrée sur la longueur. Puss a fait surtout un gros succès à l’international. [NDLR : voir la page dédiée à Dreamworks sur The Numbers pour un aperçu chiffré de tous les films du studio, avec premier week-end, gains aux USA et à l’international]

Pour moi, le fait que le film ait toujours une excellente note sur rotten tomatoes est une preuve de qualité. Au final, les meilleurs retours que j’ai eus viennent des gens qui ont vu le film et qui ont tous adoré !
Les Annie awards, VES awards et autres oscars sont une belle opportunité pour mettre en avant les gens qui ont compté dans la réussite des films de l’année, et les films d’animation sont de plus en plus mis en avant, c’est une bonne chose. Cette année, je suivrai avec une attention particulière les Annie awards car j’ai deux amis nominés et les VES awards bien sûr faisant partie de l’équipe nominée pour l’animation du personnage de Puss !

O.S. : Oui je suis très attentif à tout ça. Évidemment, le principal est que le public aime le film. Quand les critiques nous donnent 83 %, ça fait très plaisir.
En ce qui concerne les résultats au Box Office, c’est aussi très important car la santé de la société et de l’industrie est basée sur les revenus que l’on génère. Puss In Boots en est maintenant à 535 millions de dollars dans le monde et nous sommes très contents [NDLR : 549 millions à l’heure où nous publions cet article].

Chat Potté
3DVF : Quel est selon vous le plus gros obstacle à surmonter, en travaillant à l’étranger ? Entre les formalités administratives, les méthodes de travail, la culture, j’imagine que vous avez été très dépaysés… Auriez-vous des conseils pour ceux qui souhaitent tenter la même aventure ?

S.C. : L’obstacle le plus difficile est lié à la situation familiale. Être loin de sa famille peut être difficile, et en couple cela peut être difficile également, car le conjoint n’a pas de droit de travail attaché à son visa à moins d’obtenir une carte verte ce qui peut coûter cher et prendre plusieurs années. Pour ce qui est des conseils en général j’en parle très longuement sur mon blog vis à vis des USA.

L.B. : Après mon séjour en Inde, très dépaysant, je dois reconnaître que les États-Unis me sont apparus comme une transition plutôt simple à gérer. Je travaillais déjà en anglais là-bas et le studio a largement contribué à faciliter les démarches administratives nécessaires à mon installation.

La différence culturelle bien que présente n’a pas été un obstacle. Après deux ans de vie à Los Angeles, je n’ai aucun mal à me considérer ici chez moi.
Le plus difficile est d’être loin de la famille et des amis que j’ai laissés en France. Avec ma femme nous revenons en moyenne une fois par an en France, cela veut aussi dire qu’il faut souvent faire l’impasse sur de vraies vacances à l’étranger.
C’est assez difficile de donner des conseils pour ceux qui seraient tentés de travailler dans un grand studio à l’étranger. La règle fondamentale est de bâtir un très bon portfolio/bande démo avant tout afin de se démarquer auprès des recruteurs. Ensuite, c’est avant tout une histoire d’opportunités et de timing.

O.S. : J’ai beaucoup de chance en venant ici car Dreamworks se chargeait de la plupart des formalités et m’a aidé à m’installer ici, quand je suis arrivé il y a 5 ans et demi. En ce qui concerne la culture, il y a quelques différences, mais j’étais toujours très intéressé par les États-Unis quand j’étais en France et j’ai l’impression que ma transition a été très facile, car je pensais déjà beaucoup à vivre là-bas.

Tornade
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