Interview : Les As de la Jungle

Ban

 

3DVF : De même, pourriez-vous revenir sur la configuration matérielle du studio ?

TAT : Le studio a actuellement une capacité d’accueil d’une 15aine d’infographistes, c’est un open space d’environ 130 m2. Le parc de machines initial (des quad avec 4 Go de RAM) est progressivement remplacé par des DELL i7 avec 8 Go. Toutes les machines sont bi-écrans, de plus ou moins bonne qualité, et de diagonale plus ou moins élevée, suivant les postes occupés. Nous disposons également d’une ferme de rendu « artisanale » constituée de 24 machines i7 avec 8Go. Des NAS pour le stockage et le partage des données. Un serveur pour héberger les licences flottantes de VRay et le backburner de Max.

3DVF : Comment avez-vous fait pour conserver un temps de rendu raisonnable, tout en utilisant des effets permettant un rendu à la hauteur de vos attentes (fourrure, subsurface scattering, présence d’eau, etc) ? Avez-vous employé des techniques ou astuces spécifiques ?

TAT : À deux heures l’image, comme évoqué ci-dessus, je ne sais pas si on peut parler de temps de rendu raisonnable…  Et encore, il s’agit de la moyenne à laquelle on est arrivé après avoir appliqué toutes les optimisations possibles …

3DVF : En ce qui concerne l’animation, comment avez-vous procédé ?

TAT : Étant donné la durée (« seulement » 80 secondes d’animation, hors générique) et le découpage (parfois un épisode était constitué d’un seul plan, la plupart du temps seulement de trois ou quatre), chaque épisode était confié à un seul animateur. Sylvain Charreau, notre chef animateur, était chargé d’assurer la cohérence du tout et s’est occupé lui-même de 2 ou 3 épisodes. En ce qui concerne le style d’animation, on est parti sur une esthétique « cartoon réaliste », à savoir une animation respectant les lois de la physique et la morphologie de nos personnages, comme leur nature animale : le phacochère est quadrupède, le gorille marche sur ses 4 pattes… L’humour devait plus reposer sur l’expressivité des personnages et le timing des actions que sur des déformations extrêmes, des retards exagérés, etc.
Concrètement, quand il(elle) attaquait un nouvel épisode, l’animateur(trice) avait à sa disposition un scénario très détaillé en termes d’intentions d’acting, et un layout 3D où l’on avait calé les mouvements de caméra, les zooms, les déplacements des personnages dans le décor… Après discussion avec les réalisateurs, l’animateur se lançait dans son épisode, en sachant qu’il ne ferait que deux ou trois plans pendant les 3 semaines dont il disposait pour le terminer.
En termes techniques, nous avons utilisé essentiellement biped, que nous avons un peu customisé avec des scripts.


Ci-dessous, aperçu du rig de trois personnages.
Images TAT productions – Master Films – Vanilla Seed / 2011

 

Rig

 

3DVF : À quel moment les voix finales sont-elles enregistrées ? Certaines productions utilisent des voix maquette qui sont ensuite retravaillées après la finalisation de l’animation et du rendu, d’autres (comme Cube Creative sur Kaeloo) préfèrent travailler directement sur les voix finales…

TAT : Nous avons travaillé différemment sur la série et sur le spécial. Sur la série, David et Eric ont enregistré eux-mêmes des voix témoins, sur lesquelles les animateurs se sont ensuite basés. Cela  permettait aux réalisateurs de retravailler  les dialogues pendant toute la phase layout, en supprimant du texte, en en ajoutant, en l’accélérant… toutes les bidouilles étaient possibles, la qualité technique du son important peu puisque ce n’était pas du définitif. En effet, malgré son format court (qui se prête souvent à des séries  « muettes »), il y a beaucoup de dialogues dans « Les As de la Jungle – En direct », et on se rendait parfois compte que ce qu’on avait écrit dépassait allègrement les 80 secondes. On était donc obligé de bricoler jusqu’à ce que ça rentre dans le format.

Le fait d’enregistrer nous-mêmes ces voix nous a aussi permis de caler définitivement la personnalité de nos héros : leur débit, leurs intonations, leur vocabulaire, les définissent autant que leur apparence physique ou leurs expressions.

En ce qui concerne le spécial, qui est au fil du temps devenu l’enjeu principal du projet, nous préférions enregistrer les voix avant, pour laisser plus de liberté aux comédiens, pour qu’ils puissent nous faire des propositions et apporter un plus au film. Les comédiens s’étant approprié les personnages en doublant la série, ils pouvaient créer librement sur le spécial. Précisons que nous avions un casting de rêve constitué de la crème des doubleurs français : Philippe Bozo (Jack Black), Emmanuel Curtil (Jim Carrey, Tom Scavo dans « Desperate Housewives »), Céline Montsarrat (Julia Roberts), Michel Mella (Joe Pesci)… pour n’en citer que quelques-uns. La direction artistique du doublage était assurée par Barbara Tissier (voix de Cameron Diaz, Fiona dans « Shrek », Jessie dans « Toy Story »), qui assure la même fonction sur de nombreux dessins animés de studios américains (Pixar, Blue Sky…) sortis ces dernières années (elle venait de terminer « Raiponce » quand nous avons enregistré). Barbara tient également le rôle de Ping dans le film. Les enregistrements se sont déroulés dans les studios de Dubbing Brothers.

 

Ci-dessous, aperçu de la gestion de la fourrure, puis des plantes.W
Images TAT productions – Master Films – Vanilla Seed / 2011

 

Fourrure

 

Végétation

 

3DVF : Dans l’ensemble des personnages du projet, y en a-t-il un qui vous a donné plus de fil à retordre que les autres ?

TAT : Plusieurs personnages ont posé des problèmes, mais je retiendrai surtout Batricia, la chauve-souris, sur laquelle nous avons pas mal pataugé au niveau du design, qui imposait un set-up complexe à cause de ses ailes, qui avait un petit « manteau » de fourrure… Pour être honnête, tous les personnages avec du fur étaient difficiles à gérer, surtout au niveau du rendu, car les poils faisaient exploser les temps de calcul. Yannick Moulin, notre superviseur rendu (et par ailleurs créateur du trophée 3DVF), avait des sueurs froides chaque fois qu’il voyait arriver un plan où Miguel le gorille apparaissait en gros plan…. Pour les animateurs, les persos les plus complexes à gérer étaient les quadrupèdes, car bien souvent en animation télé les animaux sont anthropomorphes, ils se tiennent debout et bougent comme des humains. Ici, il fallait sans cesse réfléchir à la façon de leur faire effectuer leurs actions en les maintenant les quatre pattes au sol.

3DVF : Un unitaire de 52 minutes, reprenant les personnages de la série, sera diffusé le 31 décembre en prime (20h35) sur France 3. Dans quelle mesure votre façon de travailler a-t-elle été impactée par rapport aux épisodes courts ?

TAT : Tout d’abord, il fallait repenser complètement la façon d’écrire. Nous étions dans une durée proche d’un long-métrage, nous devions donc mettre en place une vraie histoire, basée sur des enjeux forts, aussi bien concernant la narration propre que l’évolution des personnages et des rapports entre eux.

Il fallait aussi mettre en place un rythme qui s’accorde à cette durée. L’idée était de produire une comédie d’aventures familiale, qui devait se différencier de la série notamment par son « ampleur ».
Nous avons donc multiplié les décors, revu complètement la mise en scène : ici le découpage est « classique », et nous avons introduit de nombreux mouvements de caméra de type travellings, steadycam, grue… Il y a eu un gros travail sur le choix des focales de caméra, qui avait un impact en compositing sur le degré de flou appliqué aux arrière-plans par exemple.

Nous avons également introduit de nouveaux personnages, comme les morses qui sont les méchants, et tout un village de pingouins qu’ils persécutent. Nos héros vont se rendre sur la banquise pour les secourir, ce qui implique la traversée de nombreux environnements différents. Nous avons donc introduit des séquences d’action, mais aussi des séquences de foule : un animateur était chargé à temps plein de gérer ces séquences, qui impliquaient parfois jusqu’à plus de cent pingouins dans un même plan.
Concernant l’animation, chaque animateur était en charge d’une séquence, quand il avait terminé il passait à une autre.
Concernant le lighting/rendu, nous avons pu créer différentes ambiances étant donné la variété des décors et le fait qu’il y ait des séquences de nuit ou aériennes.

Précisons enfin que, à part pour le générique, il n’y a pas de musique dans la série, alors que dans le film nous avons une B.O. orchestrale très présente, composée par Olivier Cussac qui fait tous nos films depuis dix ans.


Quelques images de l’unitaire, Les As de la Jungle – Opération Banquise.
Images TAT productions – Master Films – Vanilla Seed / 2011

 

 

Unitaire

 

3DVF : Quel a été le plus gros challenge technique rencontré par l’équipe durant la production de « Les As de la jungle – en direct » ? Comment avez-vous surmonté l’obstacle ?

TAT : Hors les questions d’animation déjà évoquées, revenons sur une des bases du projet : la jungle. Qui dit jungle dit végétation luxuriante, et dit donc problèmes techniques ! On se retrouvait avec trop d’objets (plantes, arbres…) à gérer dans le viewport de Max, mais on a résolu le problème en utilisant des Xréf. Au rendu des décors, les scènes explosaient en nombre de polys, ça devenait ingérable, mais on a été sauvé par le système des Vray proxys. L’autre grosse difficulté, on l’a déjà évoqué, provenait des poils. Vray nous a permis de les « stabiliser » et, pour pouvoir les rendre, nous avons « tout simplement » augmenté notre capacité de calcul : en calculant chez notre partenaire Master Films, et en faisant appel à une solution de rendu externalisée en fin de prod chez XLRender, parce qu’on avait environ 1 semaine de calcul de retard sur le spécial de 55 minutes, ce qui, au final, n’était pas si énorme.

3DVF : Au final, quel regard portez-vous sur le travail accompli ? Qu’est-ce qui vous rend le plus fier ? Inversement, y a-t-il des détails que vous auriez voulu améliorer avec plus de temps disponible ?

TAT : Nous sommes déjà très fiers d’avoir réussi à mener ce projet à bon port, ce qui n’était pas évident étant donné le nombre de défis techniques qu’il représentait.

Lorsque les gens ont découvert le pilote il y a un peu plus de 2 ans, on nous a souvent demandé si on pensait possible de garder la même qualité sur toute la série.
Au final, nous pensons que la série est mieux faite que le pilote, donc c’est très gratifiant. Concernant le spécial de 55 minutes, nous pensons avoir réussi à tenir le pari de réaliser un divertissement familial drôle, rythmé et dynamique. Les premiers retours sont en tout cas très positifs et la carrière du film à l’international, assurée par le distributeur PGS Entertainment, est déjà très bien lancée.

On aurait pu améliorer beaucoup de choses avec un peu plus de temps (et donc d’argent…), mais ce qui nous saute aux yeux c’est évidemment la post-production, car c’est ce qu’on fait en dernier, quand il n’y a plus de temps justement. Surtout sur le spécial, nous aurions aimé pouvoir peaufiner le compositing de certaines séquences, notamment en ce qui concerne les effets spéciaux et les effets atmosphériques (eau, particules, brume…) Heureusement, le talent de Romain Musso, notre superviseur compositing, nous a permis de sauver les meubles la plupart du temps.

Quelques visuels concernant l’unitaire :
comparatifs entre dessins de préproduction et rendu final, image de storyboard, nouveaux personnages.
Images TAT productions – Master Films – Vanilla Seed / 2011.

 

Unitaire

 

3DVF : Maintenant que la diffusion a commencé, se pose évidemment la question de l’avenir…
Y a-t-il plusieurs saisons d’envisagées ?

TAT : On constate déjà que la série et le spécial ont été extrêmement bien accueillis par les diffuseurs à travers le monde. Nous envisageons donc de développer sur la base de cet univers une nouvelle série avec un format plus long, on se dirige a priori vers 52 x 11 minutes. France Télévisions, ainsi que plusieurs grosses chaînes européennes et une network jeunesse américaine se sont déjà positionnées sur ce projet, nous pensons donc qu’il a de grandes chances d’aboutir, même si rien n’est jamais acquis. On espère rentrer en production fin 2012 pour une diffusion des premiers épisodes à Noël 2013.

3DVF : Revenons un peu sur TAT Productions… Pouvez-vous nous présenter la société et son histoire ?

TAT : TAT productions est une société basée à Toulouse, qui existe depuis 11 ans. Nous étions au départ installés dans le salon d’un des associés, puis nous avons pris des bureaux de production et enfin ouvert un studio de fabrication (tout ça ne s’est pas fait en un jour évidemment). Nous avons créé cette structure dans le but de développer des projets audiovisuels de toutes sortes : court-métrage (aussi bien en animation qu’en prises de vues réelles), documentaire, séries TV, films de commande… Nous avons fait un peu de tout pendant les premières années, mais nous avons constaté que ce qui nous motivait le plus (et qui en plus « marchait » le mieux dans notre « catalogue »), c’était les films d’animation. Nous avons donc, aux alentours de 2005-2006, décidé de nous concentrer sur cette activité, et nous avons développé notre premier projet destiné à la télévision : « Spike ». Après quelques aléas, le film a finalement été produit entre 2007 et 2008 puis diffusé à Noël 2008, avec d’excellentes audiences. Nous avons ensuite enchaîné sur le projet « Les As de la Jungle ».

Images tirées de l’unitaire.
Images TAT productions – Master Films – Vanilla Seed / 2011

 

Unitaire

 

Chargement....

A Lire également