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Marc Boulay et Sylvia Lorrain – Paléo-artistes

 

3DVF : Pour commencer, pourriez-vous vous présenter aux lecteurs de 3DVF qui ne vous connaissent pas déjà, et nous raconter vos parcours respectifs


Marc: J’ai quitté l’école très tôt, à la bonne heure, en fin de 3ème. J’ai commencé à sculpter les carottes, les pommes de terre et la margarine lors de mon contrat d’apprentissage de cuisine classique (..) Ma passion pour les animaux, leur anatomie et la sculpture n’a trouvé son chemin que vers 24 ans. J’ai fait 99% des petits boulots qui existe sur la planète pour nourrir cette passion et m’alimenter également. J’ai vraiment commencé mon métier de sculpteur en 1985, comme assistant sculpteur dans un atelier parisien qui travaillait essentiellement pour la pub et notamment pour Serge Lutens et Shiseido. Sculpture académique, moulages, patines à l’ancienne etc. Deux ans et demi après, la future Grande Galerie de l’Évolution recherchait des sculpteurs animaliers. Le rêve. Le Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris mis à ma disposition un atelier, la libre circulation parmi les collections et le bonheur de rencontrer et de travailler avec les plus éminents scientifiques. C’est là que tout a vraiment commencé. Ma passion pour le Vivant, les Sciences Naturelles, comme la paléontologie, l’entomologie et l’anatomie comparée pouvait enfin trouver les bases de ce qui allait devenir mon métier.

 

 

Sylvia: Etudes en province suivies des Beaux-Arts. L‘année de mon diplôme, j’ai voulu faire un spectacle en direct. L’expressionnisme, le constructivisme m’inspiraient fortement. Les danses du Bauhaus et le théâtre de Craig étaient pour moi une synthèse de tous les arts qu‘il me fallait vivre. C‘était évident et j’étais prête. Le hic c’est que personne n’avait jamais fait ça avant, donc tous les profs ont mis leur véto. Tous sauf un: Mr Gervasoni. Il m’a simplement dit: « Tu veux le faire, alors fais le!» Cette phrase m‘a donné des ailes. Dès lors, j’ai pu porter mon projet: d’abord toute seule en écrivant l’histoire (cette année-là, je suis venue à l’école uniquement pour puiser dans la bibliothèque: une mine d’or de références!) Ensuite j’ai composé la musique (dans ma cuisine) et enfin j’ai constitué une équipe: ingénieur du son, danseurs, acteurs, éclairagiste, costumière et même des sponsors pour le matériel et les décors. Mon rêve prenait corps. Après le diplôme, « Farabole Libelli, conte parabolique » a été présenté à Toulouse (Biennale des Arts), à Paris et finalement à Tokyo… Une belle énergie et une belle histoire qui reste gravée… Dans cette histoire, au delà de l’anecdote, ce qui me semble important, c’est que coûte que coûte, il faut suivre son intuition…

 

 

 

3DVF : En observant la complémentarité de vos travaux, est-ce indiscret de vous demander comment s’est déroulé votre rencontre ?


Marc: Mon côté « ours » et acharné ne me permettait pas de sortir beaucoup de mon atelier. Un clash dans ma vie du moment m’y a cependant contraint et deux amis dont l’écrivain Bernard Werber m’ont beaucoup aidé à ce moment là.
C’est au cours d’une soirée, rue Oberkampf dans le 11ème, que Sylvia est apparue sortant de l‘autre côté du miroir, j‘en ai encore la mâchoire sur les genoux.

 

 

Sylvia: J’ai rencontré Marc en 1995. Un flash dans la nuit de la vie parisienne… Un être authentique qui m’a redonné l’envie de plonger dans ma vraie nature… Sylvia, en latin, ça veut dire forêt: j’y ai vécu toute mon enfance et observé les animaux de près.. Marc m’a réouvert la voie…

 

3DVF : Pour en venir à l’un de sujet de notre rencontre, ayant chacun un parcours traditionnel, dans quel contexte avez-vous découvert les outils de création et l’art numérique ?

Marc: Après un an passé au Muséum d’Histoire Naturelle à reconstituer des animaux préhistoriques et à parfaire mes connaissances sur l’anatomie comparée, j’ai travaillé pour plusieurs musées et j’ai sculpté mes premières fourmis pour la Cité des Sciences (plus sur www.marcboulay.net/les_fourmis.htm/ ) Entre 1995, Ex Machina recherchait un sculpteur animalier. Chez eux, j’ai travaillé avec Jerzy Kular et Yannick Violin (www.nayade.com), tout deux pionners de l’imagerie 3D relief. Grâce à eux, j’ai pu rencontrer Dougal Dixon, paléontologue, zoologue et auteur de livres comme « After, Man … » J’ai bossé avec Jerzy Kular pendant un an sur « Krakken, Future Océan » comme sculpteur et conseiller spécialisé et sur quelques autres films en 3D relief (Mad Racers, Dino Island 2 …)
Mon engouement pour la 3D est né à ce moment… Mais les machines et les softs ne correspondaient vraiment pas aux sculpteurs …
Et puis il y a 2 ans, j’ai découvert la démo de ZBrush2. Ma cervelle s’est liquéfiée. Dès la première Zsphere, mes yeux en demandaient plus … Et plus il y avait … J’étais comme un enfant à noël, pourtant j’aime pas noël. En quelques instants de démo, j’ai compris le potentiel créatif que de ce soft pouvait apporter aux sculpteurs et par ce biais ce que la sculpture pouvait apporter à l’infographie. Pixologic avait créé LE Soft pour sculpteurs. Et moi, j’avais enfin trouvé mon outil informatique. Fini argile, plâtre et chimie…

 

Sylvia: J’ai fait mes premiers pas sur Amiga. (Deluxe Paint, Calligari, Imagine, Vistapro, bref, les pionniers!) Les images avaient un pixel incroyable mais c’était magique! Les machines étaient branchées 24h/24 pour créer des univers ou calculer les anims. Ceci dit, le rendu 3D seul était trop froid. En revanche, mixé avec des images vidéo, cela créait un grain particulier. A ce moment là, je co-réalisais avec Igor Mc Rams des vidéo-clips (Deus ex Machina, William Sheller…) Du concept au tournage, de la 3D au montage, on faisait tout à 2 ou 3 personnes, jusqu‘à livrer le produit fini en béta SP! Chacun son tour on passait devant les écrans ou derrière la caméra. Le lieu de travail était un vrai labo d’expérimentation. C‘était exceptionnel! Aujourd’hui la 3D est tellement complexe qu’elle est forcément spécialisée, on peut difficilement tout faire seul!

 

 

 

3DVF : Seriez-vous capable de vous en passer aujourd’hui ? Pour quelles raisons ?


Marc: Je dois reconnaître que ZBrush a été un grand changement dans ma vie. Aujourd’hui j’ai totalement orienté mon travail vers la 3D.
Avec de bonnes machines et un bon soft, je peux réaliser rapidement, au chaud et sans produits dangereux, tout ce qui me demandait du temps, de lourds budgets et une lourde structure (atelier, stocks, sous-traitants etc)
Sylvia: Les ordinateurs font partie de mon univers quotidien depuis plus de 10 ans. Je considère les outils de création numérique comme une « prothèse » qui permet de concrétiser ce qu’on a dans la tête.

 

 

 

3DVF : Vos travaux se concentrent en profondeur sur les insectes et les mammifères ; pouvez-vous nous en dire plus sur cette passion ?

 

Marc: Depuis une vingtaine d’années mes travaux se sont toujours concentrés sur les animaux et la diffusion des connaissances animalières.
Cette passion est à la base d’une « spécialisation » et d’une remise en cause permanente en ce sens que toutes les recherches et études réalisées pour tel ou tel animal ne servent pas pour le suivant. Par ailleurs, le fait d’être au plus juste sur se qui a existé, existe ou pourrait
exister demande une recherche permanente et un travail basé sur l’observation. Après, quelque soit l’outil, le résultat est à l’image du travail d’observation et de la compréhension qui en émane.

Sylvia: l’observation animalière est extrêmement riche et a ouvert considérablement mon regard. Aussi, ce qui est intéressant, c’est qu’intérieurement, en tant qu’observateur, il faut s’oublier totalement.

C’est assez proche du Zen, finalement, en ce sens que l’ego doit s’éloigner pour laisser toute la place à ce qui est.

 

 

 

 

3DVF : Elle semble être aujourd’hui devenue une part essentielle de votre métier ; pouvez-vous nous raconter le type de missions/prestations sur lesquelles vous intervenez ?


Marc et Sylvia:
Dans le cadre de nos travaux de reconstitutions scientifiques, Jean Sébastien Steyer (Dr en paléontologue au CNRS et au M.N.H.N de Paris) nous a invités en 2005 sur une mission paléontologique internationale au nord du Laos sponsorisée par National Geographic et le CNRS.
Notre rôle était d’accompagner l’équipe scientifique sur le terrain, de photographier la faune et la flore du Laos et au retour, de faire des reconstitutions en 3D à partir des éléments fossiles trouvés.
La mission a été un succès: l’équipe a trouvé une cinquantaine d’ossements de reptiles mammaliens vieux de + de 250 millions d’années (fin du Permien) et surtout, la découverte d’un crâne d’amphibien jusqu’alors inconnu. Notre prochaine mission est prévue en 2007 à Madagascar.

 

 

3DVF : Comment se passe l’approche technique et créative, de la prise de vue et de l’étude réel, jusqu’au passage en numérique ?


Marc: Pour les reconstitutions, la modélisation part souvent d’un élément fossile et d’informations précises avec le ou les scientifiques. A partir de là et quand les bases sont établies, un bon café et hop! C’est parti… Lorsque j’ai un doute, un mail ou un coup de fil au scientifique et c’est reparti… Bien souvent les discutions tournent autour de l’anatomie et les propos portent plus précisément sur la myologie (étude et science des muscles)
Je travaille également par comparaison avec ce qui existe aujourd’hui. Et beaucoup, beaucoup de temps à observer les animaux sur le terrain, en terrarium et à la binoculaire.

Sylvia: Toute étude commence par de la documentation… Mon travail étant essentiellement basé sur les textures et intégrations, je photographie dans les terrariums et sur le terrain tout ce qui peut servir à nos illustrations. La photo et macro-photo ne sont pas une fin en soi, mais nous permet de constituer une banque d’images qui complète le travail d’observation et à partir de laquelle je fabrique mes textures. Je n’utilise pas de textures procédurales, tout est organique.

 

 

3DVF : Quand vous n’êtes pas en mission à l’autre bout du monde, vous vivez dans le sud de la France avec, parait-il, des terrariums au milieu des stations et des écrans. Je vous sait également férut de nature ; parlez-nous de ce besoin de corréler virtuel et monde réel, -parfois- absent dans de nombreux projets ayant le numérique comme support…


Marc et Sylvia:
Etre continuellement et uniquement devant les machines finit par couper du réel. Nous avons toujours vécu parmi les animaux. Dans notre home-studio, les ordinateurs côtoient les terrariums. C’est important pour pouvoir se ressourcer. Sinon, dès qu’on peut, on va crapahuter dans les montagnes ou patauger dans les marigots : le sud est vrai un paradis pour les amoureux de la nature!

 

 

 

3DVF : Marc, les animaux du futur semble être un thème qui te tiens très à cœur ; peux-tu nous en dire plus la dessus ?


Marc : La biodiversité et l’évolution des espèces ont toujours été pour moi une source inépuisable de connaissance et d’émerveillement. Depuis ma rencontre avec Dougal Dixon et Jean-Sébastien Steyer, mon désir de réfléchir et de plancher sur les futurs possibles de notre planète n’ont cessé de me titiller la fibre.

Quand j’ai quitté Paris pour venir m’installer dans l’Hérault, j’ai travaillé durant plus d’un an sur l’élaboration d’un musée/parc : « Demain, Les Animaux du Futur » Ce musée/parc proposait au public de découvrir l’évolution des espèces du passé, du présent et à venir tout en le sensibilisant sur la fragilité de la planète …

 


Mais la culture s’arrête parfois où commence la viticulture et reciproquement…

Jean Sébastien Steyer, Sylvia et moi-même continuons ce travail de fond qui prendra le chemin de l’édition. (Plus d’infos ici )

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

3DVF : Alors Marc, je ne sais pas si tu as le droit d’en parler, mais je me permet la question suivante au cas où; tu as eu l’occasion de travailler à plusieurs reprises avec Bernard Werber ; n’était t-il pas question d’en faire un long-métrage il y a quelques temps ?


Marc : Les fourmis ont bien sûr été notre point commun. Et depuis environ 15 ans que nous nous connaissons, nous rêvons de mettre en images ces merveilleuses créatures. Moult projets sont restés dans les cartons, soit parce que la technologie ne le permettait pas encore, soit par manque de financement ou par absence de producteurs ambitieux ou les trois à la fois…

Bernard m’a demandé début 2005, alors que je me trouvais au Nord du Laos, de participer à un pilote en relief sur les fourmis… De retour du Laos, j’ai modélisé avec ZBrush2, la fourmi 103ème et une princesse. J’étais également chargé du suivi biomécanique et artistique des fourmis chez Mac Guff Ligne. Aujourd’hui le pilote est terminé et je ne peux malheureusement en dire plus.

 

 

 

 

 

 

3DVF : Quels conseils pourriez-vous donner aux lecteurs de 3DVF qui sont également passionnés de nature et de création numériques ?

 

Marc et Sylvia : Se documenter le plus possible, observer beaucoup. Un peu de vraie sculpture et de bonnes bases en anatomie ne peuvent pas nuire, et puis surtout bosser, bosser et encore bosser…

 

Pour en savoir plus, visitez leur sites respectifs :
www.sylvialorrain.net

www.marcboulay.net

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