Rencontre avec David Coucharière – Animateur chez DreamWorks



3DVF – Côté ambiance et rythme de travail, y a-t-il des différences là aussi ?


David Coucharière : Ce qui est agréable à DreamWorks Animation, c’est que tu sens tout de suite que le studio fait tout pour que les artistes soient à leur aise et dans un environnement qui stimule la créativité. Le campus est magnifique et colore, tu peux décorer ton espace de travail comme bon te semble, tu as accès à une librairie (films, livres, etc.) si tu veux effectuer des recherches, des cours gratuits sont accessibles périodiquement si tu veux t’améliorer dans certaines disciplines (croquis de nus, peinture, écriture de scenario, etc. …). Tout est fait pour te pousser vers l’avant à ce niveau-là, c’est vraiment super.
Le rythme de travail, comme je disais, est l’un des paramètres les plus différents. Tu as plus de temps pour effectuer le travail, donc tu peux le pousser plus loin. Apres, en fin de production, le rythme s’accélère toujours un peu car tu te rapproches de la date de sortie, ce qui est normal. Comme ils disent ici, “un film n’est jamais fini, il doit juste sortir”, donc tout sera fait jusqu’a la dernière minute pour améliorer la qualité du produit.



3DVF – Après 5 ans chez DreamWorks Animation, peuxx-tu nous raconter comment se déroule une journée type de travail ?

David Coucharière : La première heure est souvent consacrée à ce que nous appelons les “dailles” qui sont des sessions durant lesquelles le réalisateur examine avec l’équipe les travaux réalisés la veille, donne des commentaires, corrige, valide des idées. C’est un moment d’interaction avec l’équipe durant lequel tu peux aussi voir ce que font les autres animateurs et constamment apprécier la ligne directrice du film.


Ensuite, si je commence un nouveau plan, j’en parle un moment avec mon superviseur, et je vais passer un certain temps à réfléchir à mon plan avant de me lancer sur l’ordi. Je préfère avoir une idée claire et travaillée plutôt que de partir au hasard dans une mauvaise direction et tout devoir refaire. Souvent, je mimerai la performance dans un miroir plusieurs fois ou je me filmerai jusqu’à ce que le résultat me semble juste et sincère.


Puis, je commence à animer. Ensuite, au milieu de l’après-midi, j’ai la possibilité si je le désire de montrer mon plan au réalisateur durant les “rondes”, au cours desquelles il se déplace directement à ton bureau. L’échange est donc plus direct, en petit comité cette fois, et je peux obtenir un nouveau feedback. Puis, à nouveau, je me remets à animer jusqu’à la fin de la journée.

3DVF – Comment est répartit le travail dans une équipe d’animation sur un long-métrage ?


David Coucharière : Le directeur d’animation est responsable de tout le travail du département. Il supervise l’intégralité de notre travail sur le film, en termes de qualité et de style.  Les superviseurs d’animation sont souvent au nombre de 5 ou 6 et ont chacun une équipe réduite d’une demi-douzaine d’animateurs. Les animateurs doivent montrer leur travail au superviseur avant de pouvoir le montrer au directeur d’animation et au réalisateur.


Il existe aussi un département pour l’animation des foules et des personnages secondaires.


Ensuite, il y a deux méthodes d’organisation : soit un superviseur et son équipe reçoivent une séquence complète à animer, de A à Z. Soit chaque superviseur se voit attribuer un personnage, donc si une séquence comprend 3 personnages principaux, il y aura 3 superviseurs, et tu iras voir celui qui est en charge du personnage que tu animes. Avec ce second type de modelé, il y a des chances que tu animes toi-même relativement souvent le(s) même(s) personnage(s).


3DVF – Quand plusieurs animateurs travaillent sur un même perso mais sur des plans différents, comment faites-vous pour garder une animation homogène ?


David Coucharière : Je pense que c’est une combinaison de plusieurs facteurs. D’abord, grâce à la phase de recherche préalable, l’équipe a d’entrée de jeu une ligne directrice claire au sujet du style du personnage. Ensuite, les superviseurs gardent constamment l’œil sur l’uniformité de ce que font les équipes. Et finalement, nous communiquons simplement beaucoup entre nous pour anticiper les problèmes.


En plus, ces derniers temps, nous avons tendance à essayer de regrouper de petites équipes d’animateurs prédisposées à l’animation d’un personnage en particulier. Il y a deux avantages à cela : le style d’animation risque moins de se dissoudre car le groupe d’artistes bossant sur un perso est plus réduit, et en plus, les animateurs s’habituent à ce rig en particulier et deviennent en quelque sorte “experts” de ce personnage.

TM & (c) Dreamworks Animation L.L.C.


3DVF – Peux-tu nous parler de l’animation d’un ou 2 personnages sur lesquels tu as travaillé, d’éventuelles surprises ou anecdotes ?



David Coucharière :  Oui, j’ai quelques idées qui me viennent. Sur Flushed Away, j’ai animé pas mal sur les grenouilles et le héros. Ce qui était très particulier à cette production, c’était le style d’animation. Il fallait essayer de rendre un style d’animation façon “pâte à modeler”, mais par ordinateur. C’était une expérience très intéressante. J’ai du complètement revoir ma manière de travailler, animer avec moins d’intervalles, des timings différents, pour obtenir ce look un peu plus “brut”.


Un autre exemple qui peut paraitre surprenant, sur Kung Fu Panda, j’ai dû animer 14 personnages dans un long plan d’acting. Résultat : j’ai dû facilement passer plus d’un mois et demi sur ce plan uniquement, alors qu’au visionnage, c’est fini après même pas 30 secondes !
Finalement, pour une anecdote assez marrante, sur “How to Train Your Dragon”, on m’a confié l’animation d’un plan de Stoick (le père du héro) qui cherche son fils dans le brouillard après une grosse explosion à la fin du film. Pour analyser la mécanique de ce type de mouvement, je voulais filmer quelqu’un, mais la salle d’acting ou nous avions une camera reliée aux ordinateurs (pour entendre le timing de la ligne de dialogue, car Stoick parlait en même temps) était trop petite pour couvrir le déplacement du personnage ! Résultat, avec mon superviseur, nous avons enregistré la bande son en boucle avec un vieux parlophone manuel, nous sommes sortis à l’extérieur dans le campus, et nous nous sommes filmes en train de regarder à droite à gauche, l’air un peu sonne, avec un parlophone a la main en train de réciter une ligne de dialogue en boucle à moitié compréhensible à cause de la friture de l’engin. Ça devait être assez folklorique à voir !

3DVF – En tant qu’animateur, t’occupes-tu aussi du rigging ? Comment se passe cette phase de l’élaboration d’un personnage avec les équipes d’animation ?


David Coucharière : Je ne me suis pas beaucoup occupe du rigging personnellement. Les superviseurs, et quelques animateurs avec un background technique important niveau rigging, font souvent beaucoup de travail d’allers – venues entre département d’anim et de rigging avant la phase d’animation proprement dite. Les déformations des personnages sont mises à rude épreuve pour s’assurer que nous avons un contrôle suffisant pour pouvoir obtenir des silhouettes esthétiquement harmonieuses sous tous les angles, quitte à devoir tricher en 3D pour accommoder l’angle de camera.  Les rigs sont très développés, en particulier les expressions faciales qui nous donnent accès à une multitude de paramètres.



3DVF –
As-tu un souvenir de plan particulièrement complexe qui t’aurais donné du fil à retordre pour x ou y raisons ?



David Coucharière : J’ai quelques exemples en tête, oui ! Dans Kung Fu Panda, j’avais un plan sur la bataille du pont suspendu durant lequel Tai Lung (le méchant) défonçait une planche du pont, commençait à se battre avec Tigress (lui était à l’envers, elle s’accroche au pont par les bras), puis il lui attrapait le pied et l’arrachait au pont, tout ça avec un mouvement de camera. Techniquement, il y avait beaucoup de difficultés en termes de parenting, de contacts, de rythme, de mise en scène. C’était un plan très compliqué.


Dans un registre très diffèrent, dans “How to Train Your Dragon”, j’ai eu une série de plans larges avec plusieurs personnages assis autour d’une table. Certains personnages parlaient, d’autres se déplaçaient, et toutes leurs interactions devraient être chorégraphiées correctement. Dans ce type de cas, c’est la minutie dans l’exactitude du timing de la mise en scène de nombreux personnages qui peut devenir un challenge plus que la difficulté technique du mouvement.



3DVF – Comment expliquerais-tu ton approche de l’animation d’un personnage 3d ? 


David Coucharière : En général, je commence toujours par une phase de recherche intense. Ça peut prendre 2 jours si nécessaire. Mais au final, je gagne du temps, car j’évite des problèmes ultérieurs. Si le film est très cartoon, je fais des croquis préliminaires pour chercher et accentuer des idées de poses. Si le film est plus réaliste, je me filme ou je fais des recherches pour analyser la mécanique du mouvement et la performance que je veux.


Une fois que l’idée est claire, j’en parle à mon superviseur, puis au réalisateur. Lorsque tout ça est assez solide, je commence l’animation. D’abord les poses principales qui “racontent l’histoire”, puis petit-a-petit, je décortique le mouvement. Je rajoute les extrêmes de chaque mouvement, je m’interroge sur le commencement et la fin de chaque mouvement (ai-je besoin d’une anticipation, d’un recul ?), je travaille mon timing, puis je rajoute les poses intermédiaires entre deux poses clefs pour désynchroniser différentes parties du corps.

Le plus important, c’est de montrer son travail a différents stades pour s’assurer qu’on va toujours dans la bonne direction, et ne pas se perdre dans les détails avant d’avoir construit la base du plan. Ensuite, si les fondations sont bonnes, je rentre dans les détails. En général, j’essaie d’avoir au moins une clef d’animation toutes les deux images sur mon animation finale pour garder le plus de contrôle possible. Mais d’autres animateurs fonctionnent autrement. Il y a énormément de manières d’obtenir le même résultat, c’est juste une question de sensibilité.

 

TM & (c) Dreamworks Animation L.L.C.



3DVF – Aurais-tu des conseils à donner aux animateurs et infographistes tentés par une expérience dans un grand studio américain ?


David Coucharière :
Je dirais surtout de choisir clairement un poste spécifique, d’orienter tout son temps dessus et ses efforts dessus, et d’axer une démo clairement sur ce choix. Comme je disais, les studios américains recherchent des spécialistes plus que des généralistes.


3DVF – Beaucoup d’étudiants et de jeunes professionnels lisent aussi 3DVF; quels conseils pourrais-tu leurs transmettre pour ceux qui voudraient suivre tes traces et se spécialiser dans l’animation de personnages 3d ?


David Coucharière :
Ne jamais se décourager, persévérer, être très exigeant envers soi-même, analyser le travail de grands animateurs, décortiquer des extraits de prise de vue réelle pour voir comment et à quel rythme les choses bougent, toujours essayer de se dépasser et d’évoluer. A l’école, j’ai beaucoup appris des autres élevés de ma classe. Il y a une émulation très particulière propre au moment des études en animation, c’est un instant précieux dont je suis persuadé qu’on peut tirer beaucoup si on se tourne vers les autres pour partager et apprendre les uns des autres. Et personne ne motive un passionne autant qu’un autre passionne !

J’ai découvert 3DVF quand je travaillais au Luxembourg. C’était mon premier job dans le milieu de l’animation, et c’est là que j’ai principalement du exécuter ma conversion de la 2D a la 3D. J’étais tout le temps a la pèche aux informations. A l’époque, les ressources n’étaient pas encore aussi développées qu’aujourd’hui, et je me jetais sur 3DVF, qui était pour moi l’un des pionniers du genre.

Au passage, félicitations pour la onzième bougie !  Aujourd’hui, je consulte évidemment un peu moins le site, mais j’y jette quand-même un œil assez régulièrement, car, étant expatrie, ça reste pour moi un portail avec une vision francophone vers les news et ce qui se fait dans le monde de l’animation en général.


3DVF – Merci David pour ces quelques mots et ce moment en ta compagnie. Nous reviendrons prendre de tes nouvelles à l’occasion de la sortie du prochain long-métrage DreamWorks Animation !

 

TM & (c) Dreamworks Animation L.L.C.
Chargement....

A Lire également