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Rencontre avec Peter Molyneux


Rencontre 3DVF – Peter Molyneux

Lors de la dernière édition de l’évènement DigiWorld Summit, qui se déroule tous les ans, vers la mi-novembre au Corum de Montpellier, nous avons eu la chance de rencontrer quelques figures incontournables de l’histoire du jeu vidéo. Cet évènement reunit pendant trois jours des professionnels de plusieurs secteurs ayant généralement un peu de mal à se rencontrer : Télécommunication, Internet, Audiovisuel et Jeux viéos. Essentiellement orienté B2B, il compte tout de même une certaine proportion d’étudiants, ravis de pouvoir participer à des conférences en rapport avec leur domaine d’enseignement. Outre l’espace village de la manifestation, sa véritable dimension est liée à son grand nombre de séminaires très orientés « services aux entreprises et communication en général », tout comme une majeure partie des conférences. Mais chaque année, une journée reste consacrée à l’industrie des jeux vidéos, et propose un panorama toujours pertinent d’acteurs de l’industrie. Pour ce qui nous concerne , nous profitions de la présence de notre vieil ami Jean-Michel Blottière (Tilt, Microkids, vous vous souvenez ?) qui était en charge d’animer une table ronde sur les synergies entre le Jeu, l’Animation et le Cinéma, en compagnie d’un  sympatique panel d’acteurs : Michel Ancel (Rayman – Ubisoft) , Merlin Crosshingam (Ardmaan Animation), Eric Chahi (Another World…) et le non moins célèbre Lord Peter Molyneux… Pour ceux qui par hasard auraient un trou de mémoire, l’évocation des quelques titres suivant devraient faire ressurgir une cascade d’émotions plus ou moins fortes, voire, attention, pourraient vous retourner l’estomac : Populous, Syndicate, Theme Park, Dungeon Keeper, Magic Carper, Black&White, Fable… Faites un tour sur Wikipedia pour consulter la liste complète.


Voilà. Donc sur le coup, quand on croise Peter Molyneux pour la première fois, on réalise que ça fait beaucoup pour un seul homme… C’est pourquoi, imaginez un peu notre émotion quand on reussit à nous dégoter une dizaine de minutes au calme avec lui, à l’abri de fans, mains tremblotantes, accrochées à des jaquettes de jeux avares de  dédicaces…
A défaut donc d’avoir pu passer un long moment en sa compagnie, pour tenter de rentrer en profondeur sur son approche de la fabrication et de la production de jeu, nous avons tout de même réussi à en savoir un peu plus sur l’état d’esprit général de cette figure incontournable des jeux vidéos depuis leurs débuts.

Nous devrions aussi revenir prochainement sur le parcours du talentueux Eric Chahi, que nous n’avions encore jamais eu l’occasion de rencontrer ; le traumatisme de son travail sur des jeux comme Les voyageurs du Temps, AnotherWorld ou encore Heart of Darkness ne sont sans doutes pas innocents dans notre passion pour l’image numérique, et la vôtre non plus si vous êtes assez agés pour avoir connu cette époque…



Eric Chahi interviewé par Jean-Michel
dans Micro Kid’s sur FR3 en 199…et des poussières…


3DVF – Peter, vous avez commencé en tant que développeur de jeux il y a plus de 25 ans… Quelles ont été pour vous les évolutions majeures de l’industrie du jeu vidéo depuis cette époque ?



Peter Molyneux :
En fait, j’ai fait des études d’ingénieur et avec un ami, nous avions cette idée stupide de faire un jeu de simulation d’entreprise en mode texte. Nous étions alors dans un minuscule bureau et au final, nous n’avons vendu que deux exemplaires du jeu en question (1984 – The Entrepreneur)… Mes premiers jeux ont tous été développés dans une atmosphère de ce type, mais peu à peu, les équipes se sont aggrandies, des départements spécifiques ont fait leur apparition. Avec ThemePark, je suis peu à peu devenu designer, et j’ai avancé dans ce sens depuis. Aujourd’hui, j’ai justement la chance de travailler dans les studios de jeu de Microsoft, et nous disposons de moyens considérablement différents… J’ai en permanence une équipe de 7 designers qui travaillent à mes côtés, capables de mettre à plat très rapidement de nouveaux concepts, les faire évoluer, mûrir en fonction de mes attentes… Les équipes de production de jeux ressemblent désormais à des équipes de cinéma. Vous avez des réalisateurs, des spécialistes de la modélisation, de la création de textures, des développeurs spécialisés dans les scripts d‘éclairages, de gameplay, d’’IA…


3DVF – Et justement, en tant que créateur de jeu, qu’est-ce qui a changé ?


Peter Molyneux : Pour être complètement honnête avec vous, cela n’a pas tellement changé, même si beaucoup de choses ont évolué. Mes méthodes et mes habitudes de travail restent fondamentalement les mêmes depuis des années. Les Game-artists partent généralement du constat suivant : nous avons un joueur, disposant d’un certain nombre d’actions, et on lui assigne des objectifs, des missions, tout en faisant évoluer son personnage linéairement.

 

Aujourd’hui, ce paradigme est en train d’évoluer. Nous essayer d’appréhender l’expérience vidéo-ludique en nous posant ce genre de questions : comment peut-on impliquer davantage le joueur dans un univers, accroître son immersion dans un monde imaginaire, raconter une histoire aussi forte emotionnelement qu’un film ou un roman ? Cela implique de profond changements dans la mise en production d’un jeu. Autrement dit, nous étudions beaucoup plus profondément un game-concept qu’auparavent, avant de se mettre à taper la première ligne de code. Hier encore en réunion sur un prochain projet, nous tentions de réfléchir à comment suivre l’attention du joueur minutes après minutes; c’est une démarche extrêmement intéressante.


3DVF – La majeure partie de vos jeux est considérée par les joueurs et les spécialistes comme des “God Games”. Que pouvez-vous dire sur cette volonté inhérente à la plupart de vos jeux ?


Peter Molyneux : Mon rêve a toujours été d’obtenir des monde réels et vivants. Quand vous vous souvenez de votre expérience dans Fable, mon souhait consiste à ce que vous y repensiez comme s’il s’agissait d’une expérience vécue dans le monde réel. Voilà mon vrai rêve, ma réelle ambition. Ce qui est intéressant avec la nouvelle voie sur laquelle nous travaillons : mettre en place dans le jeu des mécanismes que l’on retrouverait dans la réalité. Il ne faut pas voir ça comme une simple dynamique de jeu linéaire, ça n’a rien à voir. Je parle d’un fil conducteur, qui donne l’impression que l’on évolue dans un monde réellement vivant. Je crois que c’est le sentiment récurrent à tous mes jeux, cette impression qu’il existe quelque chose de vivant.

Que ce soit dans Fable, Black & White ou bien avant cela dans Theme Park, même s’il sagit d’un autre genre de jeu. Aussi ridicule que cela puisse paraître, j’étais à cette époque totalement obsédé par les raisons qui pourraient pousser ces petits personnage à venir visiter votre parc d’attraction; s’ils allaient manger des frites trop salées, ce qu’ils allaient ressentir en conséquence, etc… Voilà simplement le genre de choses qui me fascinent, d’où mon ambition de créer des mondes vivants.



3DVF : On imagine facilement que vous êtes joueur vous-même. Trouvez-vous le temps libre pour essayer ou tester des jeux ?


Peter Molyneux : Il faut vraiment optimiser au maximum son temps libre pour jouer. C’est pour ça que j’aime voyager ; je peux jouer à plein de jeux ! En fait je joue tous les jours, sans exception. (NDR: il jette furtivement un coup d’oeil à son iPad qui ne l’a pas quitté de la journée…)



3DVF : Quelle est l’essence de votre approche du gamedesign ?


Peter Molyneux : Comme je le précisais précédemment, ma principal motivation consiste à créer des mondes vivants, c’est quelque chose que j’adore. L’autre point concerne la connexion émotionnelle : faire en sorte que vous, le joueur, se retrouve impliqué émotionellement sur quelque chose dans le jeu. Je regarde régulièrement des tas de films Hollywoodiens et la plupart du temps, on ne s’interesse pas aux personnages. Souvent, j’ai juste envie de faire avance rapide jusqu’à la scène d’action suivante. Ils sont tellement stéréotypés, conventionnels… Ma passion consiste à mettre en avant un personnage capable de vous faire ressentir de l’empathie, pour lequel vous finissiez par vous soucier. L’idée est de vous faire ressentir cette impression qu’une fois l’écran éteint, le personnage est toujours vivant, quelque part ; vous continuez à penser à lui en dehors de l’expérience du jeu.


J’aime l’idée que même au travail, vous puissiez penser à ce que vous allez faire en rentrant chez vous, dans le jeu, en essayant de deviner à l’avance ou d’imaginer ce qui se passera. Cela veut alors dire que vous vous impliquez vraiment émotionellement.


Curieusement, certaines séries Télé ou films sont semblables à ce vers quoi j’essaye de tendre. Je pense notamment aux séries diffusées au Royaume-Uni « East Enders » (NDR : feuilleton télévisé diffusé depuis 25 ans) ou « Coronation Street », qui passe quotidiennement (NDR : soap opera diffusé depuis 1960 et qui compte plus de 7000 épisodes,), et dont les spectateurs sont généralement convaincus qu’il y a réellement un lieu nommé Coronation Street et que les personnages sont bel et bien vivants. Pourquoi un jeu sur ordinateur ne pourrait-il pas arriver à ce même type de résultat ?

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