Recettes d’Animateur : LA RATATOUILLE MAISON



Voici un petit défi que je me suis lancé. Fabriquer un plan d’acting avec des déplacements complexes, sur une durée relativement longue, sans mouvement de caméra pour ne pas aider à l’énergie du plan. Seul un personnage, et pas des moindre, devait imposer sa présence dans sa performance.  Le but était de comprendre techniquement et artistiquement pourquoi un personnage bouge de telle ou telle manière. Découvrir ce qui induit sa direction d’anime. Il y a eu des milliers d’études sur les techniques d’animation 2D et je voulais essayer d’en trouver de nouvelles en 3D s’il en existait.


Comme beaucoup d’animateurs, je suis plutôt fan des productions Disney/Pixar. J’ai décidé de baser mon test sur le personnage de Remy dans Ratatouille. J’ai essayé de recréer le processus créatif inverse qui a pu rendre Remy aussi vivant dans le film. C’était aussi un clin d’œil et un coup de chapeau aux artistes de chez Disney/Pixar…





J’ai dégagé plusieurs conclusions de ce test. Ces résultats sont souvent venus appuyer des techniques que j’utilisais déjà par automatisme…


Premièrement, je trouve que l’animation faciale est trop souvent laissée pour compte. Ce n’est pas que de la technique, il y a une foule de choses à apporter grâce à l’animation faciale. Des finesses infinies, des combinaisons étonnantes sont à tester. Vous avez beau travailler le corps avec ferveur, à la fin, c’est le facial qui vous attire. Le public bloque sur les yeux du personnage, le reste n’est là pratiquement que pour servir la vie que dégage le regard et ses expressions. Bâcler le facial en faveur du corps me semble donc impensable, ce serait comme séparer le corps de l’âme. Et on veut tous donner une âme à nos plans.



La meilleure chose à faire à mon sens est d’animer les directions de regard en premier. Donner tous les petits à-coups nécessaires, les recalages rapides (focus). Les rotations couvrant une distance importante doivent être entrecoupées d’arrêts puis d’avancées, un peu comme lorsqu’on est dans un train et qu’on regarde le décor à l’extérieur. Nos yeux décrochent puis raccrochent la cible.



Je déconseille l’utilisation d’une cible contraignant le regard sur un point fixe. Même si cette technique permet aux yeux d’être tout le temps en mouvement tout en fixant la caméra, elle apporte à mon sens, un malaise. Ceci à cause de l’impossibilité biologique de suivre aussi mathématiquement une cible. Les yeux ont l’air de rouler sous la paupière. Nos yeux ne savent pas suivre automatiquement, ils se recalent avec des muscles et avec un retard. Quand ils sont recalés, ils améliorent le centré de la cible en recalant à nouveau pour un meilleur cadrage, comme avec un objectif photo. Un regard contraint automatiquement sur une cible viendra fausser cette volonté de recalage musculaire. Mieux vaux donc simuler les accroches regard à la main, afin d’obtenir un résultat naturel. Mais ce conseil n’engage que moi. Pas mal de plans animés chez PIXAR le sont avec les yeux contraints. J’en déduis que ça peut être un choix artistique, même si j’y suis moins sensible.



Une fois le regard terminé, le sujet crucial sera la taille des yeux. Blink, écarquille, yeux blasés, jouez sur tout ce qui donnera du contraste à la taille de votre regard. Les différences de taille illuminent ou éteignent le visage. Travaillez leur rythme. Ce qui guide l’attention du spectateur, c’est le regard du personnage animé. Sachez le rendre attractif.


Après cette gestion importante mais souvent fastidieuse des yeux, il ne reste plus que du bonheur… Les intentions faciales (étonnement, tristesse, colère, gaité…) avec toutes les finesses et la créativité que vous pouvez apporter. Attention dans cette débauche d’informations possibles à exprimer. Il faut tout de même essayer de gérer le facial comme le body : on doit retenir des poses fortes avec des intentions claires, ne pas tomber dans un brouhaha de mouvements.


Les intentions pour le labial suivent la même logique. Beaucoup de très bons animateurs vous expliqueront que dans la synchro faciale, mieux vaut ne pas tout animer. Cette idée de « zapper » des phonèmes pour une meilleure visibilité, nous est héritée de l’animation 2D. Le frame rate ainsi que le dessin rendent inutile, voir parasite, l’illustration de chaque syllabe. Hors, et ça n’engage que moi, nous prononçons dans la vie réelle toutes les syllabes. Seulement chaque shape se fond dans l’autre. Les lèvres dessinent des fins de phonèmes qui anticipent le phonème suivant. Chaque phonème n’est donc jamais le même. La forme diffère si elle annonce ou termine tel ou tel syllabe. Un exemple simples  à comprendre serait d’imaginer le « M » qui prépare le mot « Maman ». Celui-ci a une forme très différente du « M » de « Moto ». Essayez de les prononcer, votre bouche même fermée sur le « M » décrit une forme différente plus proche du « bisou » sur le « Mo ».


Pour obtenir un facial de qualité, il vous faut animer tous les sons, mais savoir fondre les formes, en anticipant et finissant les phonèmes. Dans ce cas seulement, marquer toutes les syllabes n’entraîne pas de bouches disgracieuses qui claquent comme un clapet et vous assure une anime de qualité.




La voix ainsi que le design d’un personnage sont des éléments prédominants dans la direction d’anime. Laissez-vous guider par ce que vous vous attendez à voir. Si vous fermez les yeux en écoutant la voix et que vous imaginez votre personnage déjà animé dans une salle de cinéma, que ferait-il ? Beaucoup d’inspiration peut être trouvée dans l’instinct. Le calcul n’est qu’une préparation mathématique à la fabrication d’un plan. Il n’est qu’un outil. La créativité ne se trouve pas dans la préparation, mais plus dans l’abandon.



Je sais, j’ai un peu tendance à dire l’inverse de ce que vous avez déjà entendu sur l’animation. J’ajouterais que préparer son plan est primordial. Mais il faut savoir provoquer de heureux hasards. Il faut maîtriser assez la technique pour lancer des pistes non prévues. Provoquer la chance en lançant des amorces qui apporteront de la richesse au plan. Faites ensuite le tri suivant que vous approfondirait l’intention survenant, ou que vous l’abandonnerez. N’hésitez pas à tester, créer des intentions rapidement, puis les filtrer, éliminer les fausses pistes sans remord. Le blockin est fait pour ça. Les animateurs 2D qui préparent avec soin leur plan pas à pas me traiteront d’illuminé. Hors les deux techniques peuvent se compléter et c’est se priver d’une richesse infinie que de ne pas utiliser la 3D pour sa rapidité à poser une intention ou à la supprimer. La technique a pour but de provoquer des idées, parler à notre imagination, être vous même spectateur de votre animation. Je connais de très bons animateurs 2D qui m’ont décrit le même phénomène en dessin. Une ligne de force, un trait à peine marqué, et à leur manière, ils appellent le hasard. Ils poussent à une créativité sur des poses qu’ils n’avaient des fois pas prévues, mais qui émergent par les coups de crayons…



Les contrastes sont importants dans un acting. Il faut pouvoir garder l’attention du public. Il faut créer, en respectant le sens d’un plan, des « éclats de vie ». Votre plan doit les préparer, en faisant monter la sauce jusqu’à un point culminant qui vient couronner l’intention du plan. Ceci donnant une force que l’on ne retrouve que dans le film d’animation.


Attention, votre plan ne doit contenir qu’un seul point culminant, le reste étant utile pour servir ce pic. Si le plan est très long, il peut accepter un deuxième pic d’attention. Mais une hiérarchie est à prévoir entre les deux afin qu’ils n’apportent pas le même impact. Les américains appellent ça l’Entertainment, sachez apporter du fun à vos plan, de la richesse maitrisée dans son rythme et sa diversité. Toutefois prenez garde à la sur-animation, la richesse ne doit pas toujours être visible et éclatante…


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