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Des casseroles aux polygones – Les Femmes dans l’Art Numérique




Des casseroles aux polygones – Les Femmes dans l’Art Numérique
Ecrit par Leigh Van Der Byl, CGNetworks. Traduit de l’anglais par Virginie Griffonnet, 3DVF



Les femmes et la 3D. Je pourrais probablement prendre le risque de dire que la combinaison de ces mots fait penser à l’imagerie classique de minettes félines en bikini Lycra : poitrine en avant, sourire ingénu et armes gigantesques, n’est-ce pas? Cependant, je ne parle pas de ces effusions de pixels bien agencés sorties de l’imagination d’innombrables artistes mâles armés de tablettes Wacom. Je vous parle de nanas réelles, assises devant leurs ordinateurs, maniant les applications graphiques aussi bien que leurs congénères masculins.

Telles des poissons jaillissant hors de l’eau dans une ère préhistorique à la recherche d’un nouveau stade d’évolution, les femmes se sont débrouillées pour se frayer un chemin hors de la cuisine, laissant derrière elles une existence faite de gamelles et de casseroles.

Les femmes sont désormais à l’aise devant une vue OpenGL, se délectant plus que jamais des joies de la manipulation de polygones. Voyez cela comme une évolution mentale et créative si vous voulez, comme la conquête des cuisines, mais il est temps de changer un peu.

D’habitude, je ne suis pas quelqu’un qui cherche la petite bête en matière de ségrégation dans ce monde, mais il est fascinant de découvrir ce qui a poussé les femmes à développer un intérêt pour l’art numérique quand on sait que ce domaine était plutôt réservé aux hommes. Cette année j’ai été agréablement surprise (en commençant un nouveau travail, à savoir enseigner dans une école d’animation locale) de voir que près de la moitié de ma classe étaient du beau sexe. Cela changeait vraiment de l’époque où j’étudiais les arts numériques à l’université, faisant partie d’une poignée de quelques jeunes filles…

Après avoir discuté avec plusieurs femmes artistes, j’ai découvert que les raisons les plus courantes pour lesquelles elles sont entrées dans le monde de la 3D étaient leur amour de l’animation traditionnelle (surtout Disney) et de l’animation un peu plus moderne (Pixar). Elles portaient un amour salutaire vers les ordinateurs, les jeux vidéos, les arts visuels ; en particulier le fantastique et la science-fiction. De même, je parierais bien que ce sont pour les mêmes raisons que les hommes entrent aussi dans cet univers. Donc, si hommes et femmes partagent autant d’intérêts communs, pourquoi cette industrie compte-t-elle aussi peu d’éléments féminins ?

 

On a longtemps débattu sur l’aspect masculin de ce domaine et ses causes. Ce qui est assez intéressant, c’est que de nombreuses statistiques ont été effectuées durant ces années, et je dois admettre que les résultats ne nous favorisaient pas, nous, les filles. Il semble que les hommes ont en effet plus le temps de naviguer dans des environnements virtuels que les femmes. Pendant que nous, les femmes, nous lamentons et critiquons le fait que nous ne passons pas tout notre précieux temps à jouer à Quake ou à Doom ; cette conclusion semble véridique, au regard de ma propre expérience. Les mecs semblent tout simplement plus à l’aise en travaillant et en naviguant dans des espaces en 3D et, au fil du temps, obtiennent de meilleurs résultats concernant toutes sortes de cognition spatiale.

Jill Ramsey (Senior Project Manager pour le développement de Maya, chez Alias) a déclaré : “Un jour quelqu’un m’a dit que la capacité à visualiser des concepts 3D est directement lié au taux de testostérone dans le corps. » Est-ce juste une histoire de chromosomes, ou y a-t-il un rapport avec le statut culturel ou social? Si ce sont les statuts, cela pourrait certainement expliquer l’augmentation du nombre de femmes dans la 3D actuellement. Les parents deviennent de plus en plus conscients de la nécessité d’entraîner leurs enfants à utiliser des ordinateurs, exposant ainsi des enfants des deux sexes au monde de l’image numérique. Dans le temps, c’était vraiment les garçons que l’on encourageait à suivre des choix de carrières orientées vers le technique.


A la lumière de ce que je viens de vous dire, il est facile de voir pourquoi il y a tant d’hommes dans ce domaine en ce moment, puisqu’ils y étaient exposés depuis leur plus jeune âge. Pendant que les garçons jouaient à Street Fighter et Battletoads, les filles jouaient à la poupée. Ce qui est fascinant, quand on y réfléchit, c’est que la 3D est un domaine très créatif alimenté par une grande passion et une énergie émouvante. Il est donc surprenant que les femmes ne se soient pas illustrées plus que cela dans cet univers depuis le début, malgré quelques défauts techniques « traditionnels ». Depuis toujours, le genre des femmes est associé à la passion et à l’expression créative, Dans un sens plus large, les femmes inspirent aussi pas mal les hommes ; nous ne personnifions pas seulement l’âme de la créativité, nous en sommes aussi les muses.

La théorie plutôt tranchante (et amusante) en référence à la prédominance des hommes dans l’industrie nous vient de Jennifer Hachigian Jerrad, artiste Lightwave particulièrement connue pour son travail sur le cel shading : « Je me demande si le manque de femmes artistes et/ou l’intérêt des femmes pour la 3D est lié au manque de femmes « geeks ». Tous les artistes 3D ne sont pas des « geeks », mais beaucoup d’artistes 3D que je connais partagent mes intérêts de geek pour les films, l’animation, les bandes dessinées, les mangas, Star Wars, les jeux vidéo et/ou l’astronomie. J’ai rencontré en moyenne plus de geeks masculins que de geeks féminins. »

Il est intéressant de noter sur ce point que toutes les artistes (sauf deux) interviewées pour cet article étaient des garçons manqués à certains niveaux. Peut-être cela expliquerait-il leur attirance pour les ordinateurs et, par la suite, le graphisme puisqu’elles avaient un penchant naturel vers tout ce qui avait une nature technique, contrairement à leurs congénères du même sexe.
Leah Cooper, artiste 3D freelance, se souvient de l’anecdote suivante : « Tout ce que j’aimais faire avec les Barbies, c’était leur arracher la tête et les balancer par les cheveux. » Kimberly Oravecz, artiste 2D et vétéran de la création graphique, adorait jouer avec ses voitures Hot Wheels étant enfant, tandis que Holly Webster, graphiste, a toujours adoré les films d’action, sortir, et s’entraîner aux arts martiaux et à la boxe.

Par contre, Eni Oken, très célèbre artiste brésilienne en texturing, dit que bien qu’elle considère ne jamais avoir été un garçon manqué, elle avait néanmoins un style geek qui prenait plus plaisir à jouer avec des kits de laboratoire ou de mécano qu’avec des poupées. Cette domination masculine dans ce domaine n’est pourtant pas vraiment un problème pour nous en tant qu’artistes. Aucune des artistes avec lesquelles j’ai discuté pour cet article n’avait de souci le faire partie de la minorité dans leur branche.

Le fait d’obtenir l’égalité et le respect de leurs pairs masculins ne constitue pas un obstacle pour la plupart.

Jennifer Downs, artiste 3D freelance, déclare : « Le facteur de la dominance masculine est un fait aussi simple que la couleur du ciel. Tout ce que je vois, c’est un groupe de personnes passionnées par la création numérique, tout autant que moi. Cela dit, j’aimerais voir de plus en plus de filles dans ce domaine. Je pense que les femmes peuvent offrir des perspectives différentes dans toutes les régions du royaume de l’image de synthèse. J’entends par ‘perspectives différentes’ plus de variété, et plus de diversité ne peut être que bénéfique. » Bien entendu, même si cela ne pose pas de problèmes, cela semblera néanmoins étrange pour quelques unes d’entre nous, surtout s’il n’y a pas d’autres filles dans les parages.


Histoire de creuser un peu le côté légèrement ésotérique du problème, je pense que, pendant qu’hommes et femmes occupent une position égale au sein même de l’industrie, nous apportons des énergies très diverses au travail. Tout le monde a déjà entendu parler du concept du « Yin » et du « Yang », et je pense que beaucoup de gens sont d’accord avec le fait qu’avoir les deux genres sur le lieu de travail est un mélange bien plus vibrant que si l’un de ces deux genres manquait. Les compétences d’une femme peuvent complémenter les points faibles d’un homme et vice versa. Ce concept s’applique non seulement sur l’idée basique du sexe, mais aussi sur d’autres domaines, parmi lesquels, très certainement l’expression créative. Pendant que nous apprenons les mêmes bases de connaissances, techniques et théories relatives à l’industrie, nous possédons nos propres manies et expressions dans une situation créative donnée. Les points forts masculins et féminins se consolident et, une fois mélangés, cela crée une nouvelle force.


Nos homologues masculins semblent s’être habitués à notre présence parfumée sans fanfare ni sexisme. Les artistes avec lesquelles j’ai discuté n’ont pas eu de souci majeur de discrimination, à part quelques vieilles vannes, mais toujours dans un bon esprit. Sur la question, Kim Oravecz nous donne une perspective amusante : « Je parlais avec l’un de mes collègues et nous discutions sur le fait de savoir si c’était les hommes qui étaient dominés. Il m’a dit qu’il ne m’avait jamais considérée comme une femme, mais plutôt comme l’un des ‘mecs’. A ce jour, je ne sais toujours pas si je me suis sentie insultée par ce commentaire ou non! »

Y a-t-il des avantages ou des inconvénients à être une femme dans ce domaine? J’ai rencontré un certain nombre de points de vue différents. Eni Oken croit qu’être une femme dans cette industrie présente un certain avantage : les gens se rendent compte, par sa présence et son comportement féminins qu’elle a quelque chose d’intéressant et de différent à offrir.

« A travers mon art, je n’essaye pas d’entrer en compétition avec le style d’un homme puisque j’explore des environnements bien formés, décoratifs et colorés, parce que je sais que cela fait sortir mon travail du lot, les hommes n’utilisant pas vraiment ce genre de motifs. » Elle ajoute que cette touche féminine l’a aidée à surmonter les réticences dans le passé, et à obtenir du travail, notamment avec des sociétés forcées d’admettre le potentiel de son énergie artistique. L’énergie féminine mise à part, Zoe Matzko, étudiante en animation, a le sentiment que le sexe ne devrait pas vraiment être un obstacle : « J’espère que mes compétences parlent d’elles-mêmes, sans que je sois jugée sur mon sexe. »

Ce point de vue est également partagé par Caroline Delen, créatrice de personnages, qui pense que les gens sont engagés uniquement pour leur savoir-faire et leur talent : « Nous sommes généralement tous dans cette industrie pour des raisons identiques, nous aimons ce que nous faisons. » Jennifer Downs ajoute : « En surface, il semblerait qu’il soit plus avantageux d’être une femme, mais je pense que cela est dû au fait que même si notre nombre augmente, nous sommes encore une sorte de nouveauté. Je pense qu’une fois le stade initial du « Oh… C’est une fille » dépassé, cela reste du business, comme d’habitude. » Jennifer pense qu’il n’y a pas de place pour des barrières entre les sexes dans ce domaine : « Les délais de production sont suffisamment stressants pour que l’on y ajoute des tensions inutiles. »


Nouveautés ou pas, je pense que cette industrie continuera à voir affluer des femmes dans le futur. Puisque l’image de synthèse est un domaine essentiellement créatif, il est évident qu’il devrait y avoir un mélange d’émotions de la part des deux sexes, travaillant conjointement en tant qu’artistes, exploitant leurs énergies à faire en sorte que ce langage s’amplifie et évolue en une forme d’expression, de distraction et de magie visuelle. Cette combinaison d’hommes et de femmes est une très force puissante, et je suis sûre que n’importe qui ayant le privilège de travailler dans un groupe comprenant un savant mélange de filles et de garçons comprendra non seulement que l’union de ces énergies est un atout de valeur pour n’importe quelle société de création, mais que c’est vraiment plus amusant!



Ecrit par Leigh Van Der Byl, CGNetworks.
Traduit de l’anglais par
Virginie Griffonnet, 3DVF

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