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Frédéric Soumagnas

 

 

 

3DVF : Frédéric bonjour, merci de nous accorder cette interview. Peux-tu nous raconter ton parcours professionel et artistique?


Frédéric Soumagnas : Après des études d’Arts Graphiques, j’ai eu la chance de travailler 2 ans au Département D’images Numériques du Centre National de la Bande Dessinée et de L’image (CNBDI) d’Angoulême. Je n’avais jamais touché un ordinateur avant cela. J’avais vu quelques réalisations qui m’avaient fortement impressioné, et je rêvais de pouvoir un jour m’initier à ces « nouvelles images ».

Après deux années au CNBDI et quelques réalisations en poche j’ai essayé de trouver du boulot sur Paris, sans succès. Je me suis finalement retrouvé à Lyon derrière une Paintbox à faire des cartes météo pour la chaîne d’information Euronews. C’était pas vraiment ce que je cherchais, mais travailler avec Patrick Lefko (le DA d’Euronews) fut une agréable expérience.

Jusqu’au jour où je reçois un coup de fil de la BUF company, m’invitant à venir les rencontrer à Paris. Ils cherchent des infographistes et sont tombés par hasard sur mon CV planqué dans un fond de tiroir. Le lendemain j’étais dans leur studio, trois jours plus tard j’ouvrais Softimage et commençais ma première prod. Une pub pour Tampax. D’autres prods plus excitantes suivirent; un vidéo clip pour les Rita Mitsouko, quelques pub marrantes, et surtout les effects spéciaux du film « La Cité des Enfants Perdus ». Un film étonnant. Des réalisateurs talentueux.



Sans le savoir vraiment ces images allaient m’ouvrir quelques mois plus tard les portes des studio américains.

C’est la société Rhythm&Hues basée à Los Angeles qui m’offrit ma première expérience américaine, ensuite Digital Domain où j’ai eu la chance de bosser sur le film « Titanic » dirigé par James Cameron. Plus tard à CentropolisFX, je fus responsable du « lighting pour le film « Godzilla » dirigé par Roland Emerich. Plusieurs productions s’enchaînèrent; « The 13th Floor », « The Faculty », « Stuart Little », « Hollow Man », « Cats and Dogs ».


3DVF : : Comment s’est déroulée ta rencontre avec la création numérique ?


Frédéric Soumagnas : Ma première réelle rencontre professionnelle fut certainement à la BUF Company. C’est vraiment là où je me suis rendu compte du potentiel incroyable que les images numériques 3D et 2D peuvent offrir. C’est aussi là que j’ai pris conscience de l’aspect artisanal du métier. Quel que soit l’outil technologique utilisé, ce sont les choix artistiques et le talent de l’artiste qui feront la différence.



3DVF : Peux-tu nous parler des différents projets sur lesquel tu as eu l’occasion d’intervenir?


Frédéric Soumagnas : Les deux projets majeurs sur lesquel j’ai travaillé aux Etats-Unis furent « Titanic » réalisé par James Cameron, et Godzilla réalisé par Roland Emerich. Deux films complètement différents, avec des exigences relativement proches.

Pour « Titanic » le but était de réaliser de manière réaliste une foule de passagers qui évoluent sur le pont du bateau. Pour « Godzilla » le but était de réaliser de manière réaliste un monstre unique qui fout le bordel a New-York. Les 2 productions avaient en commun un court deadline, et la nécessité d’un lighting pipeline qui soit efficace. C’est généralement là que mon travail intervient.

Pour Titanic j’ai participé à différents tests qui aidèrent à choisir quel logiciel de rendu serait le plus approprié. En l’occurence Renderman. Ensuite je fus en charge de créer et d’organiser une librairie de textures et de « Renderman Configuration File » de manière à pouvoir calculer chaque shot de façon efficace. Une fois cette librairie en place j’ai fait le « lighting » de plusieurs shots, tel que le superbe hélicoptère, shot du début du film.

Pour Godzilla je fus en charge du lighting pour l’ensemble des shots que CentropolisFX devait réaliser. Le problème était que l’on avait des temps de calculs plutôt énormes, et un deadline plutôt maigre. Il aurait été difficile de tenir les délais si dès que le réalisateur n’aime pas la couleur ou l’intensité d’un spot de lumière il nous fallait recalculer la scène 3D intégralement.

J’ai donc eu l’idée de séparer chaque influence lumineuse provenant d’un spot à l’aide de mattes et ensuite d’utiliser ces mattes dans un programme de compositing afin de balancer la couleur ou l’intensité d’une source de lumière.

Au fil de la production, des outils de rendu furent développés afin d’automatiser la procédure.

Par souci d’efficacité j’ai aussi choisi d’utiliser la technique dite des « RGB passes » afin de créer les mattes. A chaque lumière de la scène est attribuée une intensité de couleur bleu pur, rouge pur ou vert pur (Red, Green, Blue). En isolant le channel bleu de l’image résultante , on obtient un
matte parfait que l’on peut ensuite utiliser dans le comp pour adjuster l’intensité de la lumière.




3DVF : Comment se déroulent des productions d’une telle ampleur ?


Frédéric Soumagnas : Mal. Mais généralement on s’en sort bien. Plus sérieusement. Disons que la réussite d’un projet est dépendante du pipeline d’animation et de lighting utilisé.

Il y a 2 tendances. Les compagnies qui n’utilisent que des programmes maison et les compagnies qui utilisent principalement des programmes du commerce (Maya, Softimage, Houdini, Renderman, Mental ray.).

Pour les premières, le pipeline (animation et lighting) est généralement hyper rodé, mais nécessite un intense travail de développement et de programmation afin de faire face à toutes les
demandes. A cause des délais, les programmes écrits souffrent parfois dans leur interactivité et nécessitent des périodes de training relativement longues avant qu’un artiste soit 100% efficace.

Avec la deuxième approche le problème principal est que chaque programme que l’on peut trouver dans le commerce ne répond pas forcément de manière parfaite à chaque demande. Une production peut faire appel à plusieurs packages différents. Pour Godzilla par exemple on utilisait Softimage pour l’animation, Renderman pour le rendu, Houdini pour les effets procéduraux.
Un travail important de développement devra intervenir afin de créer les passerelles nécessaires entre chaque package. Certaines prods nécessitent aussi l’écriture de plugins afin d’améliorer un outil et de le rendre plus adéquat.



3DVF : Comment est l’ambiance dans l’équipe sur ce type de projet ?


Frédéric Soumagnas : Lorsque je travaille dans des grosses équipes j’ai un peu l’impression de bosser pour la Nasa. Le travail est hyper segmenté, chacun participe à sa petite échelle à l’exécution d’un « master plan ». Parfois le look est super high-Tech à l’écran, mais en coulisse c’est plein de petits artisans qui bossent dans leur coin avec « des bouts de ficelles ». Les petites équipes ont leur charme aussi. C’est généralement là ou l’on apprend le plus dans des domaines variés.



3DVF : Peux-tu nous expliquer ton approche et tes techniques de travail et de production ?


Frédéric Soumagnas : Ma philosophie est d’aborder de manière simple ma réponse à une demande avant de la complexifier et de la rendre parfaite.



3DVF : Quels outils utilises-tu?


Frédéric Soumagnas : Pour mes premières images de synthèse j’utilise le logiciel Explore. Ensuite je me suis formé à Softimage et XSI, et plus récemment Maya. J’ai pas vraiment de préférences.

Le projet que je réalise en ce moment est entièrement réalisé à l’aide du logiciel Maya. Mon outil préféré de compositing est le logiciel Shake. Développé par la société Nothing Real. Un Français, Arnaud Hervas, est à l’origine de cette compagnie et de ce programme.





3DVF : Quel a été le projet le plus dur sur lequel tu as eu l’occasion d’intervenir ?


Frédéric Soumagnas : Une pub pour le parfum Chanel No 5, à la BUF Company à Paris. Deux semaines sans presque voir le jour, 19 heures à bosser comme un taré et à dormir sur le plancher, ou sur les tables, bercé par le ronron des ordinateurs. Dans ces métiers de post-production, la plupart des prods finissent toujours « charette ». Mais là c’était l’apothéose.

De manière générale, travailler pour les effets spéciaux d’un film est toujours plus exigent que pour une production format vidéo.




3DVF :
Que penses-tu de l’essor de la création numérique ces dernières années ?


Frédéric Soumagnas : Pour ce qui est du domaine de l’image de synthèse et des effets spéciaux, l’essor du numérique a non seulement permis une amélioration incroyable de la qualité des images réalisées, mais a aussi offert aux créateurs un espace qui a pour seule limite leur imagination.

Un film récent tel que « Le Destin D’amélie Poulain » réalisé par Jean-Pierre Jeunet en est un exemple parfait. L’essor du numérique a aussi permis à des petites structures de production d’accéder à des outils haut de gamme.



3DVF : De quel manière as-tu vu ces outils changer les méthodes de production traditionnelles et que penses-tu des évolutions à venir dans ce domaine?

Frédéric Soumagnas : L’outil numérique est désormais présent à chaque étape de production. Depuis l’écriture, jusqu’à la conception et la réalistion d’un projet. Dans un futur proche, certains studios de production commenceront par réaliser une version animatic 3D d’un film avant sa réalisation finale à l’aide d’acteur réels. Le but étant bien sur d’évaluer les coûts de production ou l’aspect commercial d’un film à l’aide de test screening.

Déjà de telles animatics sont utilisées pour prévisualiser une séquence complexe d’un film afin de préparer le budget et la technologie nécessaire à sa réalisation (à Los Angeles une société comme « Pixel Liberation Front » est déjà spécialisée dans ce domaine).

Prochainement j’espère que le numérique sera encore plus présent dans le domaine de la distribution et de la diffusion de produit cinématographique. Une image de synthèse doit être « détériorée » afin de s’intégrer dans une séquence réelle. Le support 35 mm en est aussi en grande partie la cause. Grâce au projecteur numérique capable de projeter des images haute résolution, la qualité de diffusion d’un film sera grandement améliorée.



Je souhaite personnellement que le gros changement intervienne grâce à l’influence de l’internet. Dans un futur proche des studios internet spécialisés dans la création et la production d’image de synthèse 3D devraient émerger.

Chaque artiste pouvant travailler depuis son domicile tout en restant en contact avec le reste de la production via l’internet. Le modelling sera fait par un artiste à Pékin, le character setup par un artiste à Tokyo, l’animation par un animateur à LA et le rendu par un parisien…
C’est avec cette idée en tête que j’ai créé le Cyberploc Studio.



3DVF : Frédéric, merci de cette entretien. Excellente continuation à toi et à Cyberploc Studio.



3DVF

Merci au Rayzoo et à Jean-Philippe « Hellmut’ Danduran
pour leur contribution à la réalisation de cette interview

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