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Patrick Jamaa – Rockstar Studio

Interview de Patrick Jamaa – Infographiste/Développeur – Rockstar Studio




3DVF : Patrick, parle-nous de toi et raconte-nous ton parcours.


Patrick Jamaa : Salut aux lecteurs de 3DVF! Je m’appelle Patrick, je n’habite plus en France depuis presque deux ans et je suis artiste chez Rockstar Studio.

La première fois que j’ai touché un ordinateur, c’était à l’école primaire. On avait un serveur avec des Thomson MO5. La super classe en ce temps : c’était le crayon optique. Puis j’ai cassé la tête à mon Papa pour qu’il m’achète mon premier ordi : c’était un Atari 1040 STE (1Mb de RAM, super, non ?). Mais le pauvre, nous n’étions pas riches et ça coûtait tellement cher à l’époque!

J’ai commencé l’infographie par Degas Elite, et Cyberpaint. Quand Deluxe Paint 4 est sorti, j’étais au collège et j’avais pas 800Frs pour payer ça. Bien sûr que non! J’ai donc piqué la boîte à mon prof de Techno! (j’espère qu’il ne nous lit pas !). Mais c’était vraiment difficile, je n’avais que 11 ans et je ne comprenais pas l’anglais sur le manuel. Je me souviens de m’être beaucoup cassé la tête avec ma grande sœur pour qu’elle me traduise. Il y avait des mots comme ‘keyframing’ qu’elle ne pouvait pas comprendre et qui n’étaient pas non plus dans le dico. A force d’en vouloir, j’ai appris vite la 2D… Et même l’anglais !

Plus tard j’ai eu un PC et j’ai commencé l’animation avec 3DS 4. Au lycée, j’étais plutôt matheux. L’année de terminale, j’ai programmé un Tetris sur ma Ti92 dans les cours d’histoire. Mon temps libre, je le passais au dessin et à la 3D. J’ai réussi mon bac d’extrême justesse puis je suis entré en école d’archi (une sorte de compromis entre les sciences et l’art).







3DVF : Tu as travaillé sur les projets GTAIII et Vice City chez Rockstar, peux-tu nous en parler ?


Patrick Jamaa : La vérité, toute la vérité et rien que la vérité? Malheureusement, je n’ai pas le droit de parler des projets ouvertement et c’est à cause du NDA machin-chose (ndr : clause de confidentialité). A tous les lecteurs que cela aurait intéressé, j’en suis vraiment désolé ! Par contre, pour l’ambiance dans les projets : Mexique, USA, France : dans la boîte, il y a des gens qui viennent de partout. On entend de toutes les langues à longueur de temps! Alors, on se retrouve à travailler sur un projet hors du commun avec chaque jour un nouveau challenge.

Dans l’équipe, il y a des collègues très doués et talentueux, et on sent qu’on peut toujours apporter quelque chose et apprendre les uns des autres. Dans toutes les boîtes de création numérique, c’est ça que je trouve le plus passionnant! Il y a des moments de fou-rire extrême, mais en revanche, d’autres de grande pression. En parlant de gens surdoués, mon directeur artistique, c’est Michael Sormann et, pour ceux qui ne le connaissent pas encore, c’est un des rares veinards qui ont tout compris à la 3D.







3DVF : Tu travailles à l’étranger depuis deux ans. Quelle expérience as-tu acquise ?


Patrick Jamaa : Bosser à l’étranger, c’est très enrichissant ! On apprend des langues et des modes de vie. Quand je suis arrivé en Autriche, je ne savais même pas acheter un ticket de métro. Pour ceux qui ne l’ont pas encore fait, partir un temps à l’étranger, c’est une expérience que je recommande autant à un senior hyper stable qu’à un junior. Ca vaut vraiment la peine d’être vécu. Mais il y a une condition malgré tout, c’est bien sûr ne pas négliger l’importance de l’anglais. Bien le parler, ça passe vraiment partout.



3DVF : Parle-nous des outils que tu utilises ?


Patrick Jamaa : J’utilise principalement Maya. Même si l’interface n’est pas très ergonomique à première vue, il devient très intéressant lorsque l’on commence à dominer l’hypergraph et les différents nodes. Je programme beaucoup pour Maya et c’est une volupté de fin gourmet d’avoir un logiciel aussi flexible!

Je fais mes textures avec Photoshop. Ce que je lui reproche , c’est son manque d’ouverture. Par exemple, on ne peut pas réellement personnaliser l’interface, ni créer des raccourcis. Un système de nodes et de scripts comme dans Maya pourrait rendre l’ensemble vraiment plus intéressant. Dans mes projets, j’ai beaucoup travaillé sur 3dsMax. Pour faire du jeu, c’est vraiment pratique, les petits algorithmes de sélection. Mais pour la stabilité, je perds la tête! C’est insupportable de le voir planter en temps de prod. Pour l’API dans Maya, je code avec Visual Studio et ça glisse comme sur des roulettes.







3DVF : D’un point de vue extérieur, que penses-tu de la création numérique en France ?


Patrick Jamaa : La France possède un potentiel créatif énorme, mais ça, tout le monde le dit! Par exemple, plein de gars étrangers au SIGGRAPH m’ont parlé avec émerveillement de Sparx et des tueurs de la 3D chez Duran Duboi. Moi cela m’a surpris, je ne savais pas que ces boîtes avaient une renommée internationale !

En regardant un court-métrage de SupInfoCom lors du SIGGRAPH, celui avec le gars qui a une tête de cahier (ndr : TimTom), j’ai entendu quelqu’un assis à côté de moi dire : ‘So cool, this one can only be French !’.



3DVF : Peux-tu comparer la France avec l’étranger quant à la crise du jeu vidéo?


Patrick Jamaa : Ce que je vois concernant la production de jeux en France, c’est de pire en pire! Ce sont des supers bonnes boîtes qui mettent la clef sous la porte, parfois les meilleures des meilleures! Et on observe un phénomène progressif d’extinction des grosses industries pour laisser place à l’apparition de petits groupes d’artistes totalement autonomes. D’abord, ce qui me gêne le plus ici, c’est la réticence des investisseurs du multimédia lorsqu’on dit « jeu-vidéo ». Pour eux, c’est très clair: « Jeu vidéo = Kalisto » !

On explique la crise du jeu par plusieurs raisons. Premièrement, le hacking qui est devenu trop facile (c’est impressionnant tout ce qu’il y a sur les groupes de partage comme Kazaa). Ensuite, produire un jeu coûte beaucoup plus cher qu’auparavant car on utilise exclusivement la 3D et les rôles des gens dans la production sont devenus très établis.






Il ne faut pas oublier la concurrence dans les pays de l’Est où tout coûte vraiment moins cher (le groupe français Ubisoft développe des projets à Bucarest et Casablanca). Mettons-nous à la place des grands : « Tout coûte moitié dans l’Est. Pourquoi les éditeurs feraient-ils développer en France ? ». Dans l’Est, peut-il réellement y avoir des talents alors que cette industrie y est naissante? Par cet exemple, arrive-t-on à un système de privilège quantitatif ?

Plusieurs pays sont touchés par la crise. On se retrouve de plus en plus dans un phénomène ou les grands monstres de l’industrie viennent à la source d’eau pour tout ingurgiter, ne laissant plus rien pour ceux qui ont soif en aval. En Allemagne comme en Italie, c’est déjà un grand fléau. Face aux fermetures consécutives des studios développeurs, les investisseurs deviennent réticents. Dans ce cas, on arrive doucement aux mêmes soucis qu’en France… En Angleterre, les problèmes commencent et ce sont les plus petits groupes qui sont d’abord touchés. Développer là-bas coûte très cher et on a peur du pire ! Aux Usa et au Canada, on observe toujours de grandes industries qui scintillent (Electronic Arts qui ouvre à Montréal, les branches de Take2, etc.). Par contre, certains comme l’Ukraine, la Pologne et la Hongrie connaissent une croissance en flèche.



 




3DVF : Selon toi, quelles solutions sont envisageables pour sauver le jeu vidéo en France ?


Patrick Jamaa : A mon avis, il serait très profitable que la Cité Multimédia au Québec puisse nous servir d’exemple. Aux lecteurs de 3DVF qui ne le savent pas déjà, je vous résume : dans le cadre de la stabilité des domaines multimédia et pour leur éviter tout risque d’insuffisance économique, le Québec offre aux entreprises membres du concept « Cité Multimédia », des avantages sociaux et fiscaux. Donc, cela favorise la dynamique, le groupement et les actions communes des entreprises entrant dans le même domaine d’activité. C’est un bon concept, non ? Moi, cela me plaît, mais il faut être un tant soit peu réaliste… En France, rien comme cela ne passe et la mentalité n’est pas aussi libéraliste.

Le problème, si on fait cela pour le jeu vidéo, ce sont les maisons de disques qui râleront. Normal, elles exigent un statut pour les domaines créatifs ! Puis les productions de films s’y mettront… Et on tombera à un point où beaucoup de gens pourront prétendre ce statut de privilège. Au Québec, j’imagine qu’il doit y avoir des revendications d’inégalité qui vont à l’encontre de ce concept de faveur.







Ce qui serait idéal à mon goût (j’espère que Jiraf m’entend !), c’est qu’on s’accorde tous à ramener le prix du jeu à celui du CD audio. Bien sûr, les boîtes feraient proportionnellement moins de bénéfices par unité vendue. Essayons de voir la chose : les gens pourraient prétendre pouvoir acheter en nombre, et on rentrerait dans un système d’achats à tendance quantitative. Dans ce cas, je demeure convaincu qu’avant d’acheter un jeu, les consommateurs regarderaient moins l’attraction qui émerge des publicités de ces buveurs d’eau en aval…



3DVF : Si tu avais un conseil à donner à quelqu’un qui commence dans l’industrie, que serait-ce ?


Patrick Jamaa : Déjà : « bonne chance! ». Mais plus sérieusement, il y a deux choses très importantes. La plus grande vertu, c’est d’accepter la critique humblement. Aussi, pour optimiser son temps, il faut toujours bien prendre son temps d’observer avant de se jeter à l’eau.



3DVF : Quelles sont tes projets pour le futur ?


Patrick Jamaa : Jusqu’à présent, les grosses productions ont impliqué beaucoup de crunching time. Ces dernières années, j’ai tout donné dans mon travail et je n’ai pas trouvé de temps pour des productions personnelles. A part ça, j’ai toujours eu plein de scénarios dans la tête, et lorsque je trouverai de la liberté dans ma vie, je me laisserai bien à l’écriture de nouvelles.

Merci beaucoup, 3DVF, pour cette interview !




 

Toutes les images de cettes pages sont tirées du jeu Vice City et sont sous copyrights Rockstar

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