Vincent Ménier, character artist

Dishonored 2

Vincent Ménier

3DVF : Outre le projet Blood Runds Cold, tu travailles aussi en tant que freelance. Tu as par exemple créé des modèles issus des licences La Reine des Neiges, Les Simpsons ou Batgirl destinés à devenir des figurines. On imagine qu’entre l’impératif de respect de licence et la nécessité d’avoir un modèle physique, la marge de liberté est très fine… Comment abordes-tu ce type de projet ?

 

Vincent Ménier : Réaliser une statue qui sera soumise à validation par un ayant droit, ça peut être formidable comme ça peut se révéler très difficile. D’une part, il y a comme mentionné les contraintes de production qui affectent la statue et d’autre part la personne en charge de valider la statue qui n’a pas toujours conscience desdites contraintes. Par exemple, on ne peut pas toujours faire des éléments aussi fins qu’on le souhaiterait de peur que la statue ne casse entre le départ de l’usine et l’arrivée dans les magasins.

Ensuite, les reviewers étant humains, il y a toujours une part de subjectivité impliquée. On voit parfois des statues arriver sur le marché avec des erreurs inacceptables et à l’inverse certains reviewers sont tellement stricts avec l’interprétation de leurs designs qu’il est très difficile de faire valider une sculpture.

Vincent Ménier

 

3DVF : Tu as créé un buste inspiré d’un concept du jeu Dishonored 2 par Cédric Peyravernay : quel était l’objectif, et qu’en as-tu retiré ?

Pour commencer, je tiens à dire que je suis en totale admiration devant le travail de Cédric et des équipes d’Arkane. Ensuite, j’avais été tellement envoûté par le premier Dishonored que j’avais fait un premier buste début 2013, quand j’apprenais les bases de ZBrush.

Du coup quand Dishonored 2 est sorti, j’ai pensé que ce serait un exercice très pertinent de faire une sorte d’examen de ma progression en faisant un nouveau buste. Mon portfolio manquait cruellement d’une pièce game res PBR; je me suis donc fixé comme objectif d’apprendre les workflows à base de Substance Painter et XGen et de pousser la qualité aussi loin que mes compétences me le permettraient, peu importe le temps que ça prenne.

 

Dishonored 2

Dishonored 2

 

Il m’a fallu 8 mois pour finir le buste car la production de BRC battait son plein et que j’avais pas mal de freelance sur le côté.

 

Huit mois pour un buste c’est atroce d’un point de vue productivité mais j’ai beaucoup appris et le buste a été très bien reçu donc je pense que ça valait le coup de ne pas lâcher le morceau.

 

Dishonored 2

 

Vincent Ménier
3DVF : Enfin, peux-tu nous parler du personnage de Mary, que tu as sculpté sous ZBrush ? En particulier, comment as-tu travaillé sur ses cheveux et vêtements ?

Mary est née d’un ras le bol de toute la négativité qu’on voit partout. J’ai eu envie de faire un personnage qui respirait l’optimisme. Je me souviendrais toujours un soir ou j’étais resté un peu plus tard au studio pour finaliser Mary, un manager qui est souvent très froid est passé derrière mon bureau et s’est arrêté quelques secondes derrière moi et est reparti en souriant. C’était le plus beau cadeau que je pouvais recevoir et ça m’a vraiment motivé à la finir !

 

Pour les cheveux, j’ai utilisé un workflow en utilisant comme base une brush de Dylan Ekren. C’est un workflow que j’ai développé pendant la production de BRC. On ne croirait pas mais j’ai une sainte haine pour la création des cheveux (rires) !

Pour les vêtements, le workflow que j’utilise vient surtout de mon envie de ne pas quitter ZBrush. J’essaie de tirer le plus possible parti du corps de mon personnage en dessinant la topologie des vêtements à même le corps. C’est assez simple et je trouve ça plus plaisant que de passer par un logiciel de 3D traditionnel.

 

Vincent Ménier

 

3DVF : Tu travailles actuellement à Hambourg. Comment vis-tu cette expérience de travail en Allemagne ? La culture et la langue ont-elles été des obstacles ? En termes de méthodes de travail, as-tu constaté des différences avec la France ?

Franchement c’est génial ! Les allemands sont vraiment chouettes car ils respectent une vraie séparation entre le travail et la vie à côté. Quand ils bossent ils bossent dur et quand c’est l’heure de rentrer chez soi ou d’aller faire la fête, il n’y a plus personne sur sa chaise. Je n’ai quasiment jamais vu d’heures supplémentaires et encore moins d’heures sup’ non rémunérées.
Après question studio, la culture est très internationale ici. L’équipe de Blood Runs Cold à Bigpoint avait 9 nationalités pour une équipe de 20 personnes. C’était vraiment super et les échanges comme le jeu final étaient souvent colorés de nos expériences ainsi que de nos différentes cultures. Au passage, la langue officielle du studio est l’anglais ce qui aide beaucoup.
Pour la vie de tous les jours, les allemands parlent plutôt bien anglais à Hambourg et j’ai toujours eu un collègue bienveillant pour me dépanner lorsque j’avais besoin d’aide.

3DVF : Comment vois-tu la suite de ta carrière ?

Pleine de surprises je l’espère ! J’ai deux rêves en particulier. Le premier: j’aimerais travailler sur un gros jeu AAA que des hordes de joueurs attendent avec impatience. Je pense qu’il y a plusieurs raisons à cela mais d’une part, c’est une montagne que j’ai envie de gravir, et d’autre part, je souffre pas mal du syndrome de l’imposteur et je pense que réussir un tel défi m’aiderait à m’en débarrasser.
Mon deuxième rêve serait de travailler sur un projet qui puisse impacter positivement les vies de certains joueurs, quelque chose qui ait un sens profond et qui va au-delà du divertissement. J’ai été très touché par des titres comme Hellblade, Journey et Firewatch et j’ai envie de participer à mon tour à la création de ce genre d’expériences.

vêtements

 

3DVF : Quels artistes t’inspirent le plus ?

Honnêtement ça change constamment. En ce moment j’adore le travail de Philip Harris-Genois. L’aspect graphique de ses œuvres ainsi que le côté méditatif et figé de son univers me captive complètement.
Vitaly Bulgarov m’inspire énormément non pas forcément par ce qu’il fait mais par son éthique et sa philosophie de travail. J’ai lu plusieurs livres qu’il recommande ouvertement et cela a beaucoup impacté la manière dont j’approche le travail et la vie de manière générale.
Enfin Iain McCaig à la fois pour son sens du design de génie et sa générosité en tant qu’humain. J’ai eu la chance d’assister à deux de ses conférences et à chaque fois j’en suis sorti changé, plein de questions sur moi-même et ce que je voulais faire ensuite.

3DVF : Aurais-tu des conseils pour les étudiantes et étudiants qui voudraient suivre la même voie que toi ?

Trouvez votre voie à vous ! Ça peut paraître cliché mais je pense qu’il est vraiment important de se demander « Pourquoi est-ce que je fais ce que je fais ? », puis de se laisser guider par la réponse. Chaque personne a sa propre motivation profonde et il est inutile de chercher à se calquer sur quelqu’un d’autre.

 

Sur le plan pratique j’ai deux conseils en particulier. Premièrement, l’anatomie est reine et s’il y a une compétence sur laquelle vous pouvez tout miser c’est celle-ci. Faites des bustes à la chaîne, des études de nu en pose etc. C’est la première chose qu’on regarde dans le portfolio d’un character artist et souvent la première raison pour laquelle une candidature est rejetée.
Deuxièmement, ne négligez pas les compétences en business et en anglais. La plupart des entreprises n’existent pas pour la gloire de l’art mais parce qu’elles cherchent à réaliser des profits. Comprendre comment le système fonctionne et comment y naviguer est primordial pour ne pas se faire marcher sur les pieds. Je connais beaucoup trop d’artistes talentueux payés seulement la moitié de ce qu’ils valent ! Quant à l’anglais, ça vous permettra de travailler à l’étranger et de découvrir de nouvelles cultures.Pour en savoir plus– Le site web de Vincent Ménier ;– son portfolio Artstation, qui comporte quelques breakdowns.
Vincent Ménier
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