Rencontre avec Jean-Baptiste Cambier, CG Lead chez Blur Studio

3DVF – Peux-tu nous détailler les ressources déployées sur ce projet 

Jean-Baptiste Cambier : Sur ce projet, notre timeframe était très confortable. Le pitch du projet s’est passé en décembre 2016 et on a livré les 3 vidéos à la fin mai 2017.


Ceci incluant pour notre part (scene assembly) presque un mois de lookdev et un mois pour sortir les shots (en moyenne 14 plans par séquence)

En termes d’effectif voici le détail:

4 layout artists
13 modeling artists

4 rigging artists

1 motion capture artist

9 animators

6 cloth artists

3 Fx artists

4 scene assembly artists

5 compers

2 production

1 vfx

1 réalisateur

Ce qui nous fait un total d’environ 50 personnes au fil de la production (mais ça n’inclue pas le tournage).

Pour avoir des conditions idéales en lighting, il faut commencer à éclairer les plans quand l’animation est en phase de finition, que le cfx est en milieu de prod, et une fois que les personnages sont validés. Mais étant donné la passion de chaque département pour le projet et le désir de pousser l’effort d’un cran au-dessus, tout s’est un peu entremêlé. Cela nous a obligés à cultiver une bonne communication et une bonne organisation, mais je trouve que le résultat s’avère payant!

 

 

 
3DVF – En plus des références de préprod dont tu parles plus haut, avez-vous eu accès à des assets du jeu fournis par Ubi ?

Jean-Baptiste Cambier :  Nous avons surtout travaillé à partir de concepts et character designs, mais tous nos assets ont été créés à partir de zéro. Toutes leurs références nous ont donné une idée de l’espace et de l’atmosphère, et cela nous a beaucoup aidé à retranscrire ces designs en 3d, en veillant à ne pas les dénaturer et rester en complète harmonie avec l’univers véhiculé par ces concepts.

Cela a nécessité de nombreux allers et retours avec Ubisoft, mais c’est ce qui garantit que le joueur retrouvera dans le jeu ce qu’il a pu voir dans le trailer.

 

 

3DVF – Concernant la création des personnages, peux nous nous en dire plus sur votre processus de création et le travail entre les différents départements de production ?

Jean-Baptiste Cambier : Comme je le disais précédemment, le fait d’avoir des caméras très lentes et relativement proches des personnages, nous a obligé à mettre la barre très haut.

On a chez Blur une méthodologie particulière sur la conception personnages que je trouve particulièrement efficace.
Elle consiste en plusieurs étapes assez distinctes qui s’inscrivent dans deux catégories :

– La conception des personnages

– Les données que l’on récupère de la captation.

En travaillant autour de personnages dans nos histoires, on travaille avant tout autour d’un acteur et d’une performance. L’une des premières étapes est donc de scanner le visage d’un acteur, et dans l’idéal, ce qui a été le cas pour Far Cry, de faire un full body scan. Les personnages sont ensuite altérés pour correspondre à nos besoins, mais aussi parfois aux exigences de nos clients.



On en vient ensuite à refaire une topologie de ce modèle pour correspondre à nos besoins, notamment pour le skining. Je pense que ce qui contribue à notre efficacité a consisté à déterminer une topologie faciale qui couvre une très grande partie de nos cas de figure. Autrement dit, que ce soit Marymay, Jerome ou Nick, ils possèdent le même nombre de vertices sur leur visage, ainsi que la même numérotation de points.


Et c’est capital pour nous, étant donné que nous manipulons souvent une grande quantité de personnages pour un seul show.
Les avantages que nous en tirons sont que notre temps de skinning facial est considérablement réduit, car nous avons passé beaucoup de temps et d’attention sur le skinning facial de notre topologie “générique”. Désormais, ce skining est directement applicable à tous nos personnages, incluant bien sûr au cas par cas de petits ajustements. Mais on peut ainsi transférer tous nos blendshapes et notre système facial. Ce qui a pour effet, combiné à des outils de rigging très performants, de sortir un grand nombre de personnages en un temps réduit. Je me souviens d’ailleurs que c’est l’une des premières choses qui m’ a vraiment épaté en arrivant chez Blur. Pour faire le rigging d’un personnage normal, définitif, prêt pour l’animation, il faut compter autour de 4 jours pour le facial et le rig détaillé des mains.

 

 

Ensuite, pour quasiment tous nos projets, nous passons par une étape de motion capture durant laquelle nous essayons la plupart du temps de capturer le facial en même temps que le corps (c’est aussi l’une des clefs du réalisme). La capture faciale est ensuite analysée et rapatriée sur nos contrôleurs faciaux, ce qui permet de traduire les données de la capture en clefs d’animation qui peuvent maintenant être changées, interchangées, modifiées. C’est ce qui donne tout le contrôle à nos animateurs pour qu’ils puissent donner vie aux personnages.

Et nous avons bien sûr une étape de postsculpt, qui nous permet si le besoin s’en fait sentir de rajouter le poids de la chair, redessiner certains muscles, accentuer des expressions, ou corriger des pénétrations.


Après cette étape, les personnages passent enfin au département Cfx (character effects: hair, cloth, fur…).

Pour FarCry nous avons simulé les chevelures en nHair dans maya et feedé les curves animées avec Ornatrixdans 3ds max. Les simulations de vêtements se sont faites dans 3ds max, mais on réfléchit à le faire prochainement avec Maya et/ou Marvelous Designer.

En ce qui concerne le texturing, il n’y a pas de grand mystère. Que ce soit pour les personnages pour les props, on utilise Mari et Substance. On n’hésite pas non plus en termes de shading d’exploiter les qualités des shaders Osl qui nous permettent de pousser le réalisme.

Au-delà du facial des personnages, on a accordé une grande importance aux mains, leur position et leur animation, pour qu’elle puisse contribuer à véhiculer une grande part de la personnalité des personnages.

3DVF – Puisque tu évoques la création des protagonistes, comment a été abordé le personnage de Mary May dans son bar, notamment avec cet éclairage intimiste que tu évoquais précédemment ? Si tu peux en profiter pour nous expliquer comment se déroule ton travail sur une séquence de ce type.

 

Jean-Baptiste Cambier : Pour la séquence de Marymay, après le tournage studio avec Ken Seng, mon premier travail, pour m’assurer de commencer le look de la séquence du bar correctement, a été de préparer les données récupérées pour les rendre exploitables. Ça consiste à assembler et calibrer les dômes Hdr capturés au fisheye sur le set, les calibrer à la bonne intensité et couleur grâce au colorchart shooté sur place, mais aussi à l’orienter correctement pour qu’il s’aligne parfaitement par défaut quand je vais l’importer dans mon espace 3D.


Dans le cas de FarCry, le décor du bar a été modélisé majoritairement par Andrew Averkin, l’un de nos artistes 3D. Pour ma part, j’ai fait beaucoup de modeling additionnel  et d’amélioration de shaders pour tenir les gros plans, ainsi qu’une optimisation globale pour que tout rende dans des temps raisonnables.

Une fois le dôme prêt, j’ai fait la même opération pour toutes les light du set, la key, les bounces, les lights qui éclaire les bounces, les spots, néon lights… Et après avoir conçu les lightrigs pour ces différentes lights, je vais pouvoir de traiter séparément les valeurs de diffuse, spéculaire et réflexion. Je me réfère alors aux plans et mesures que j’ai pris sur le set, et je fais le placement pour que ce soit le plus juste possible.

À ce stade, je me fixe l’objectif de reproduire à l’identique l’éclairage du set.
Je place donc Marymay derrière son bar en T-pose, et si tout est correct, à ce stade j’ai une entière confiance en mon lighting. Ça me permet tout de suite de diagnostiquer ce que je vois, et de confiner les éventuels problèmes liés au modeling et au shading. C’est le moment où le dialogue commence avec le département character modeling (qui chez Blur s’occupe également du shading des personnages) pour résoudre les éventuels problèmes. On peut alors commencer à faire ce qu’on appelle des dailies (réunion quotidienne avec l’équipe) pour discuter de la manière dont on va pouvoir pousser le réalisme du personnage, en l’occurrence Marymay. Et ainsi, suggérer les améliorations qui nous semblent nécessaires.


Avant d’aller plus loin, je m’assure de placer dans Nuke mes premiers rendus tests, à côté des plates shootées par la caméra. Puis en appliquant le LUT de la camera, j’obtiens un résultat aussi proche que possible.

 

C’est là que mon boulot de lookdev commence vraiment.
Je ramène tout l’environnement du bar, et je commence à faire mon Set Dressing : j’agence les objets et je commence à identifier ce qui pourrait être de potentielles sources de lumière.
J’identifie d’où proviendra ma keylight, en l’occurrence dans le bar on a un ventilo-lampe qui semble tout à fait indique (sachant qu’avant de tourner en studio, on savait que cette lampe existait, ce qui a permis à l’équipe d’en tenir compte. De même, on savait qu’on mettrait des néons dans le bar). Il y a aussi une borne d’arcade dans un coin, ce qui peut être intéressant pour obtenir une lumière dont l’intensité varie (due à un probable jeu vidéo qui tourne en veille). Cela peut aussi être intéressant de mettre un peu de fog, d’atmosphère, comme si des clients tardifs avaient fumé quelques cigarettes avant de repartir chez eux. La lumière de la borne pourra ainsi gagner de la présence à l’image. Les lampes LED du tournage vont me donner un bon prétexte pour jouer et placer les néons dans la scène.



C’est à ce moment qu’on prend nos distances avec l’éclairage du tournage et qu’on définit le look de la séquence. L’idée est aussi de flatter Marymay pour la mettre à son avantage.


Elle vient de terminer une journée chargée. Elle a déjà rangé une partie de son bar, je renverse donc une partie des chaises sur les tables, laisse deux ou trois verres qui trainent, nettoie le bar. Je m’assure que le sol est débarrassé, mais avec le niveau de crasse d’un vieux plancher, je laisse quelques détritus le long du bar et des murs, qu’un simple coup de balai n’aura pas suffi à nettoyer.
Il y a quelque chose d’intéressant dans le discours de Marymay, elle parle de sa famille et de son bar, mais plus elle avance dans son discours, plus on s’aperçoit que son environnement est menacé, et que le propriétaire du bar est mort. Il y a donc un peu de colère et d’énervement dans sa voix. C’est là qu’on se dit matière à jouer avec ce néon rouge. En la soulignant sur tous les plans de cette rimlight rouge, on peut essayer de suggérer une colère latente, tout en baignant l’environnement dans une atmosphère chaleureuse provenant de la keylight.



Et petit à petit, on crée l’éclairage du contexte et on essaye d’appuyer si possible son discours. Ce qui devient plus évident dans un cas comme celui-ci, avec des caméras qui bougent lentement. Autrement dit, plus on a le temps de regarder un plan, plus on peut faire passer une grande quantité d’informations et donner plus de profondeur à ce qu’on veut raconter.

D’une manière plus technique, il y a un certain équilibre à trouver, car il n’est pas totalement possible d’éclairer au mieux le bar et Marymay en même temps. J’ai donc deux lightrigs que je m’efforce de garder le plus identique possible, mais qui me permettent de placer mes impacts de lumière différemment sur le décor et sur elle. Dépendamment des plans (et notamment pour les plus rapprochés), je me suis mis dans des conditions studio, un peu comme sur un tournage d’intérieur en studio ou seul un coin de l’intérieur d’une maison est recréé, pour pouvoir prendre de la distance avec les caméras et le lighting.


J’ai donc ouvert le décor, ce qui permet de faire rentrer plus de lumière ambiante venant de mon dôme, et de récupérer plus d’information de lumière dans mes valeurs sombres.


Pour les plans larges, comme le premier plan du film, je suis contraint de refermer le décor et de tricher en cachant des bounce light dans le décor et en ramenant un peu de lumière ambiante depuis l’extérieur des fenêtres. J’ai donc 4 lighrigs pour les plans où apparait Marymay dans cette séquence: 2 lighrigs (décor et perso) pour les plans larges (dehors ferme) et 2 lightrigs (décor et perso) pour les plans serrés (extérieur ouvert). Ensuite, pour chaque “one off” avec les plans serrés sur le décor, ils avaient chacun leur rig.

 

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