Lors de la conférence Outils Emergents du Festival d’Annecy (dont nous vous avons proposé un compte-rendu), Aurélien Charrier nous avait présenté l’outil qu’il a co-créé avec Yannick Rousseau, akeytsu. Un logiciel atypique, qui cherche à simplifier le travail des animateurs.
Aurélien Charrier a bien voulu revenir pour nous sur ce produit et ses fonctionnalités, mais aussi la façon dont il s’intègre dans un pipeline. Enfin, les licences et conditions de vente sont évoquées.
Aurélien Charrier, avec Yannick Rousseau tu viens de lancer la start-up nukeygara, et d’annoncer le logiciel akeytsu. Avant de le présenter, peux-tu nous expliquer votre démarche ?
Qu’est-ce qui vous a poussé à créer la société ? Quel ont été vos parcours professionnels ?
Yannick et moi nous sommes rencontrés il y a plus de 10 ans. Nous étions dans le même studio de jeux vidéo. Yannick était Ingénieur R&D software sur l’outil 3D généraliste interne du studio. Quant à moi j’étais Lead animateur.
Issu des Gobelins, j’ai souffert de mon passage de l’animation 2D à l’animation 3D.
On vous retire votre table d’animation et on la remplace par un environnement très différent et surtout très (trop) technique. C’est quasiment, selon moi, un autre métier où le « feeling » et l’approche créative sont malheureusement mis au second plan.
J’ai assez vite refusé ce process et j’ai eu la chance de pouvoir mettre en place sur la partie animation de notre outil interne un embryon de workflow et une philosophie de travail très différents. La création d’outils est très vite devenue ma passion. Yannick et moi avons commencé à travailler ensemble à cette époque. Nous avons dès le début remarqué que nous avions une vision assez similaire et, malgré des caractères très différents, beaucoup de points en commun. C’est à partir de cette expérience commune que nous avons décidé, beaucoup plus tard, de monter nukeygara et créer de zéro notre software d’animation.
akeytsu est votre produit phare, dévoilé lors du festival d’Annecy. Que propose-t-il, et quelle est la philosophie de l’outil ?
akeytsu est un logiciel 3D spécialisé en animation de personnages et en rigging. On importe une modélisation, on la prépare (squelette/skinning/rigging) et on l’anime dans akeytsu. A la différence de tous les outils généralistes du marché, nous avons une approche « métier » issue d’un véritable besoin « métier » (12 ans de production au passif). akeytsu est un logiciel designé par un animateur pour des animateurs et la différence est majoritairement là.
Ici la technique est cachée pour laisser l’animateur ne s’occuper que de ses clés et de ses timings. C’est le plus important. Il n’a pas à « gérer » le software et sa technicité. Il n’y a rien entre le personnage et lui : une interface très épurée offrant un viewport 3D « pleine page »(car même avec 3 écrans aujourd’hui la majorité des viewports 3D font au maximum la moitié de l’écran, ce que je trouve insupportable) et tous les outils visibles à l’écran disponibles en 1 clic.
Simplicité, accessibilité immédiate et plaisir. Voilà ce que nous voulons offrir avec akeytsu. Un software qui donne envie d’animer prouvant qu’il y a des alternatives au schéma standard « technicien » des outils du marché. Nous ne sommes pas des techniciens. Nous sommes des créatifs. Et il était temps de proposer enfin un outil vraiment conçu pour des créatifs.
Je n’ai pas fait les Gobelins pour manipuler des curves ou passer des heures à scripter des switch IK/FK. Je l’ai fait pour animer. akeytsu se recentre sur l’essentiel, une évidence : animer. Rien d’autre.
Quel est le public visé ?
Avec akeytsu, nous souhaitons démocratiser l’animation 3D et la rendre accessible à tout type de studio.
En effet, tous les éditeurs de software visent le marché des studios « haut de gamme » (film, FX, etc.). Ces studios ont les moyens humains et financiers pour profiter de ces softwares (équipes R&D en interne, armées de riggers, armées d’animateurs). Par contre, les petits et moyens studios n’ont pas de solutions.
Aujourd’hui, même si vous faites un jeu Iphone avec un personnage très low polys, vous devez supporter la lourdeur écrasante d’un logiciel conçu comme une usine à gaz. J’ai rencontré beaucoup de développeurs indépendants qui me disaient : « On a essayé de passer à la 3D mais c’était trop compliqué. Cela nécessitait trop de compétences. On a passé un mois à essayer de faire bouger un bonhomme. Nous n’y sommes pas arrivés. On reste donc en 2D ».
Nous souhaitons changer ça en apportant une solution légère, efficace et très accessible, dimensionnée aux besoins de l’utilisateur.
Notre premier public est le segment des développeurs indépendants et des petits studios (Film et Games).
Nous visons également les écoles, car l’intérêt majeur de notre produit est de le placer sur les 1ères années. Grâce à akeytsu, l’élève n’a pas à apprendre d’un coté le software et sa technicité et de l’autre l’animation (ce qui conduit actuellement, comme vous le savez, à des cursus très longs). Avec akeytsu, l’étudiant apprend uniquement l’animation et donc acquiert beaucoup plus vite les bases. Ces bases sont ensuite ré-utilisées les années suivantes sur les logiciels standard. akeytsu n’est pas un concurrent direct mais un logiciel complémentaire qui a tout à fait sa place dans un cursus 3D.
Vous mettez en avant plusieurs spécificités du logiciel, à commencer par son système de rigging. Quelques mots à ce sujet ?
Le rigging a toujours été un point épineux pour moi. Pourquoi est-ce si compliqué ? Quand cela est véritablement justifié, oui le rigging a tout son sens : un personnage avec pleins de tentacule, etc. Mais sinon, on peut raisonnablement dire que la majorité des productions fait au moins 75% de bipèdes. Nous avons donc tous à peu près les mêmes besoins. Et bien même pour faire bouger un bipède, cela reste compliqué. On est en 2014, on envoie des robots sur Mars mais pour un switch d’IK/FK il faut toujours chercher sur le net pour trouver un tutoriel. C’est quelque chose que je ne comprends pas.
De la même manière, pourquoi a-t-on fait croire aux gens qu’on ne pouvait pas nativement utiliser un joint ? Cela me paraît aberrant de devoir créer une curve pour utiliser un joint. C’est comme si vous disiez à l’artiste qui vient de terminer son articulation de marionnette en stop motion : »Ecoute, tu ne vas pas l’utiliser, tu vas recréer tout une articulation par dessus et c’est celle là que tu manipuleras ! ».
On peut faire autrement. Je vous avoue que c’est loin d’être simple techniquement à réaliser mais au final, question confort, temps de travail, affichage et légèreté des scènes, c’est incomparable.
Donc oui, nous avons un système de rigging extrêmement léger ou plutôt, j’aurais tendance à dire, un système « sans rigging ».
Aux futurs utilisateurs de trouver une bonne appellation car nous sommes effectivement dans une zone inconnue…
akeytsu propose également un système de contrôle épuré du mesh…
Ce point est lié avec le sujet précédent. La manière la plus logique, la plus ergonomique et la plus visuelle de travailler est de cliquer sur le mesh. Il n’y a pas plus pratique en terme d’utilisation et le feedback visuel de la sélection courante est immédiat. Je pense que cela va beaucoup plaire aux utilisateurs…
Parle-nous également de votre solveur IK.
Il n’y a qu’un squelette chez nous. Aussi le keyframing ne se fait que sur une entité. Ceci implique que l’on a plus à blender entre 2 modes différents. Il n’y a qu’un seul mode « homogène » et les passages IK/FK se font très naturellement via un clic.
Une fois de plus c’est un gain à tous les niveaux : aussi bien en « rigging » car le temps de construction – et de modification – est drastiquement réduit, qu’en animation car il n’y a quasiment plus rien à gérer.
Le système de « stacker » s’inspire de l’animation 2D : de quoi s’agit-il et quels sont ses avantages ?
Nous disposons de près de 100 ans d’expérience et de recul en animation traditionnelle. Des professionnels ont mis en place des process et ont designé des outils qui ont fait leurs preuves sur des décennies d’industrie cinématographique et télévisuelle. Cependant avec l’arrivée de la 3D, nous n’avons rien repris…
Le stacker s’inspire d’une feuille d’exposition traditionnelle car il n’y a rien de mieux pour animer. Tout le challenge a été de l’adapter pertinemment à la 3D : multi-keyframing, layers, compacité à l’affichage, etc.
Le stacker est complémentaire avec la timeBar : quand on rajoute/enlève/déplace des clés dans le stacker cela « décale » les clés suivante. Nous avons une notion de « clé+temps » dans le stacker. Enlever une clé enlève du temps, rajouter une clé rajoute du temps. C’est un comportement très « animation 2D ».
Enfin, l’interface propose un « Spinner » : comment fonctionne-t-il ?
C’est un manipulateur 2D, extrêmement optimisé pour les rotations notamment, qui évite de passer par les manipulateurs 3D standard. Ces derniers ont beaucoup d’inconvénients : les axes très fins nécessitent une sélection précise où l’utilisateur doit impérativement jouer avec sa caméra pour attraper le bon axe. Une fois la transformation effectuée, si l’on veut manipuler un autre controleur, il faut recommencer : tourner sa caméra pour re-prendre l’axe et ainsi de suite.
Au final, et sans s’en rendre compte, l’utilisateur passe près de la moitié de son temps à tourner sa vue rien que pour sélectionner ses axes.
Notre approche est inverse : le spinner, tel un hub, se place entre le personnage le panel d’outil d’animation (afin de minimiser les trajets de souris). Vous placez votre caméra dans le plan qui vous convient (le plan du layout ou le plan qui vous plait pour construire votre posing). Après quoi vous ne regardez que votre personnage, le spinner étant dans votre champ visuel, vous opérez les manipulations sur les zones de spinning colorées. Vous le manipulez sans le regarder, un peu comme un levier de vitesses. Un des gros avantages étant que vos axes ne bougent pas.