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De Lilo et Stitch à Dragons : rencontre avec le réalisateur Dean DeBlois

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Dans le cadre de notre partenariat avec Thomas Martin alias Gorkab pour la View Conference 2019, qui se tenait en fin d’année passée en Italie, nous vous proposons une nouvelle interview. Au menu : rien de moins que Dean DeBlois, bien connu pour son travail de réalisation sur la trilogie Dragons mais aussi sur Lilo et Stitch.

L’interview revient sur des sujets variés : les modifications de Lilo et Stitch effectuées en dernière minute à cause du 11 septembre (un point que nous avions déjà abordé en relayant l’essai vidéo de Lindsay Ellis sur l’impact du 11 septembre sur la pop culture), Dragons et le design des créatures, l’usage du relief, la gestion des avancées technologiques, la liberté d’un réalisateur sur des films d’animation tels que Dragons, le personnage d’Astrid… Sans oublier un point sur les futurs projets de Dean DeBlois.

Des sous-titres peuvent être activés via l’interface Youtube. Pour les personnes préférant une version texte, une retranscription de l’interview est disponible sous la vidéo.

Lilo et Stitch : retour sur les modifications liées au 11 septembre

Thomas Martin : Avant de travailler sur « Dragons », et à Dreamworks vous étiez à Disney, où vous avez réalisé « Lilo & Stitch ». Et dans « Lilo & Stitch », il y a eu quelque chose de… modifié, changé à cause du 11 septembre. Est-ce que vous pouvez nous en parler ?

Dean DeBlois : Oui, dans la version originale Stitch devient un peu gentil, mais reste encore plutôt irresponsable. Il prend un 747 à l’aéroport, fait évacuer tous les passagers et pilote l’avion dans une poursuite à travers le centre d’Honolulu, se crashant dans les immeubles, avec des bris de verre qui volent partout.

Et puis le 11 septembre est arrivé et, bien sûr… Tout le monde était en état de choc, mais le jour d’après, nous avons réalisé : « Oh non, nous allons devoir modifier le film ». Car, même s’il l’animation et la colorisation sont terminés il n’y a pas moyen [de conserver ce passage, NDLR], ce serait vraiment insensible.
Alors, nous nous y sommes remis. Nous avons changé le 747 en vaisseau spatial, Et au lieu de passer entre les immeubles d’Honolulu, ce sont des canyons. On a fait ce qu’on a pu pour altérer le beau travail qui avait été accompli mais bon, c’était… On n’y a même pas réfléchi, il fallait que ce soit fait.

Des années après, nous nous sommes dit qu’on pouvait raconter l’histoire, qu’on pouvait montrer [sur DVD] le superbe travail accompli, et pourquoi on l’avait modifié. C’était comme une façon d’honorer le magnifique travail réalisé, les superbes animations et les fabuleuses illustrations mais aussi pour reconnaître ce qu’il s’était passé. C’était la bonne chose à faire à l’époque mais nous voulions aussi donner du crédit au bons animateurs qui s’étaient donnés corps et âmes pour créer ce climax.

Thomas Martin : Cela me fait penser au tout premier « Spider-Man », qui avait le même lieu. La fin était censée se dérouler sur le World Trade Center, vous pouviez le voir dans la bande-annonce avec la toile tissée entre les deux tours.
Combien de temps est-ce que cela vous a pris pour remonter la séquence ? Si vous vous souvenez ?

Dean DeBlois : Nous avons dû le faire en catastrophe, donc je pense que… Je crois que nous avons réimaginé, storyboardé, réanimé… Et passé tous les processus en l’espace de 3 mois environ.

Thomas Martin : 3 mois ? Wow.

Dean DeBlois : Ça a vraiment été vite, mais personne ne s’est plaint. On savait que ce serait beaucoup de boulot, et l’équipe était déjà très fatiguée car nous étions à la toute fin, mais… Il n’était pas question qu’on ne fasse rien.

Après Disney, les années DreamWorks et Dragons

Thomas Martin : Puis, vous avez quitté Disney ?

Dean DeBlois : En fait, je n’ai pas démissionné, je suis parti car j’avais fini « Lilo & Stitch » et on ne m’avait pas encore assigné sur d’autres projets. Donc, j’avais la possibilité de décider ce que je voulais faire, et… Et je me suis dit « eh bien, j’ai tous ces projets persos ». Beaucoup étant des idées de films live, alors j’ai décidé de partir voir si j’arrivais à en vendre pour écrire et réaliser, et j’en ai vendu 3.

Thomas Martin : Et, concernant la direction artistique de « Dragons », cela me fait toujours penser à des dessins d’un autre artiste, Tim Burton !

Dean DeBlois : Tim Burton ?

Thomas Martin : Les yeux de certains dragons, situés non pas à l’intérieur, mais à l’extérieur du crâne, sortis tout droits de cauchemars, comme le nom de l’un d’eux l’indique… Est-ce quelque chose que vous confirmez ?

Dean DeBlois : Eh bien, c’est la première fois que quelqu’un m’en parle, en fait, je n’ai jamais… J’adore le style de Tim Burton, mais je n’y ai jamais vraiment réfléchi dans notre monde, car tout ce que nous avons créé est un peu une exagération du réalisme, avec une sorte de look naturel pour l’ensemble.

La sensibilité du design provient d’un chara designer français, Nicolas Marlet. C’était un joyau de Dreamworks, mais c’est lui qui est véritablement responsable de la création du look des dragons. Tous les dragons, à l’exception de Krokmou qui avait été conçu par notre superviseur de l’animation des personnages, le germano-suisse Simon Otto.

Thomas Martin : Le fait que vous ayez fait de Krokmou un hybride de « chat dragon », comment avez-vous pensé à ça ? C’était vraiment habile !

Dean DeBlois : Chris Sanders et moi, lorsque nous sommes arrivés sur le projet pour le réécrire et le réaliser, nous avons passé tous leurs dragons en revue et ils étaient tous très reptiliens. Nous nous sommes dits que si nous devions réinventer cette idée de Krokmou nous devions le distinguer de celui du livre, où c’est un petit dragon parlant. On s’est dit qu’on pourrait peut-être le baser sur des mammifères ? Et on a vu une photo de panthère noire, couchée sur une branche d’arbre. Elle était si gracieuse, mais en même temps si dangereuse, on s’est dit que si on faisait ça bien, avec les bonnes proportions. Cela donnerait un sentiment de puissance et de dangerosité mais cela évoquerait aussi un grand chat, ou chien.
Il y a beaucoup de ça, j’ai des bulldogs français et l’animateur principal de Krokmou sur le premier film, un gars nommé Gabe Hordos, venait juste d’adopter un chat. Donc c’est un mix des comportements félins et canins.

Stéréoscopie : plus qu’un gimmick, un outil de réalisation

Thomas Martin : C’est pour ça, OK, très bien ! Et les 3 films « Dragons » utilisent une très bonne 3D stéréoscopique, Est-ce quelque chose que vous avez travaillé ?

Dean DeBlois : Nous avons réalisé que nous ne voulions pas que la 3D soit utilisée comme un gadget sur ces films. On y a donc vu une opportunité toute naturelle : un gamin qui n’a jamais volé auparavant, chevauchant le dos d’un dragon, expérimentant le vol.
Et si on plaçait la caméra juste au-dessus de ses épaules ? Peut-être ressentirions-nous du vertige lorsqu’ils plongent ? Ou encore une euphorie lorsqu’ils s’élèvent dans le ciel ? Rendre ça le plus viscéral possible.
La 3D nous a bien aidé sur cet aspect, car elle a apporté une profondeur naturelle.
Sur les moments plus intimes et calmes quand, comme par exemple, Harold a son premier contact physique avec Krokmou, nous avons compressé la profondeur de champ, la rendant plus proche du public pour que, émotionnellement, ils se sentent plus connectés eux aussi.

On l’a donc utilisée à la fois subtilement mais aussi de façon flagrante, pour rendre les choses plus viscérales et… cinétiques.

Thomas Martin : J’apprécie vraiment de bonnes 3D stéréo, donc merci beaucoup pour ça !

Dean DeBlois : OK, super !

Evolutions technologies et trilogie Dragons

Thomas Martin : Et tout le long de la trilogie on pouvait voir que vous ajoutiez, rajoutiez, et rajoutiez encore des éléments à l’écran, jusqu’à l’arrivée du troisième film. J’ignore comment vous et votre équipe avez réussi à mettre tant de choses à l’écran en même temps et je ne sais pas combien de temps de rendu une seule image vous a pris mais je n’arrive même pas à me l’imaginer !

Dean DeBlois : Eh bien, en 10 ans, la technologie progresse d’année en année. Sur le premier film, nous avions beaucoup… Je veux dire que pour Chris Sanders et moi, venant de l’animation traditionnelle, c’était incroyable !
Mais, il y avait beaucoup de restrictions. Vous ne pouviez pas mettre beaucoup de personnages à l’écran en même temps, pas de personnages dans leurs costumes, beaucoup de choses provoquaient une coupure des ordinateurs. Lorsque nous sommes arrivés sur le second film ils avaient complètement repensé les outils d’animation et les animateurs pouvaient à présent, au lieu de travailler avec des chiffres, des entrées numériques, travailler presque comme avec des marionnettes en stop motion.
Ils pouvaient, sur leurs écrans, manipuler les personnages, créer les poses… Cet outil était vraiment très rapide, très intuitif, convivial pour l’artiste. Mais nous avions toujours un engorgement, au bout du pipeline de production on avait donc ces grandes idées de batailles massives avec des centaines de personnages à l’écran, mais on n’y arrivait toujours pas sans une bonne dose de souffrance, car ça prenait une éternité à rendre.

Donc, sur le troisième film, ils ont amélioré le moteur de rendu et là, c’était vraiment très rapide, le raytracing calculait la lumière d’une façon bien différente de celle que nous utilisions, d’où cette lumière très naturelle. Et ça nous a permis de placer autant de personnages que nous voulions à l’écran, mettre autant de sources de lumière que nous voulions, c e qui nous a permis de créer des images comme le Monde Caché.
Dans les autres films, ça aurait été une peinture statique.

Thomas Martin : Et dans les techniques de rendu, depuis le tout premier vous avez vraiment étudié le feu, la simulation du feu, comme j’ai pu l’entendre dans les bonus du premier film était toujours basé sur une base de propane, de gaz, et non de la lave.

Dean DeBlois : Oui, nous avons essayé de créer un feu différent pour chaque dragon comme faisant partie intégrante de chacune de leurs personnalités.
Certains dragons mangent des rochers, et donc éructent une lave similaire à une épaisse mélasse alors que d’autres crachent du gaz, qu’une autre tête vient embraser ensuite. Nous avons essayé d’être créatifs pour chaque type de dragon.

Collaboration avec Roger Deakins, liberté créative

Thomas Martin : Vous avez travaillé avec le directeur de la photographie Roger Deakins…

Dean DeBlois : C’est une personne merveilleuse, j’adore travailler avec lui. Chaque fois qu’il venait au studio, c’était comme une masterclass car il a une voix très douce, en plus d’avoir une immense expérience et un bon goût. Et il était là dès le début, quand nous étions en train d’accrocher des photos, parlant d’atmosphères et de couleurs, jusqu’au bout, à travailler avec le département caméra, à travailler sur la lumière finale, ajustant absolument tout, pour que la palette de couleurs et la direction de caméra reflète également sa sensibilité.

Thomas Martin : J’ai été surpris de voir que tant d’années séparaient les trois films. Avez-vous rencontré des problèmes ?

Dean DeBlois : Non, le premier film avait été fait à la hâte parce qu’ils avaient déjà gaspillé deux ans à essayer de faire une adaptation respectueuse du livre. Et donc, lorsque Chris Sanders et moi sommes arrivés pour réécrire et réaliser nous n’avions plus que 16 mois environ avant la sortie, ce qui est vraiment court pour un film d’animation.
Le second, c’était dans la moyenne, il avait pris 3 ans environ à faire.
Le troisième a pris bien plus, presque 4 ans à faire, car il y avait eu beaucoup de stagnation, en raison du rachat du studio, vendu, racheté, avec de nouvelles têtes pensantes. On est passés de 3 films à 2 films par an, l’équipe s’est réduite, plein de choses diverses, mais tout du long, l’histoire n’a jamais vraiment changé de ce qu’elle devait être.

Thomas Martin : Et sur le troisième, pensez-vous avoir eu le plus de liberté, de création ? Pour faire ce que vous vouliez ?

Dean DeBlois : Non.

Thomas Martin : Non ?

Dean DeBlois : Non, je ne pense pas, je veux dire… Lorsque vous travaillez dans un médium où les films sont si coûteux, vous avez toujours des gens qui viennent vous remettre en question et ils sont très rigoureux à vouloir tester les films avec un public.
Je ne crois pas que vous puissiez jamais avoir votre montage final dans l’animation, à moins de faire un film indé.

Thomas Martin : Avez-vous dû changer des choses, après… ?

Dean DeBlois : Des petites choses.

Thomas Martin : Des petites choses ?

Dean DeBlois : Oui, des petites choses. Je crois que le plus gros changement est arrivé au début, lorsque j’avais le méchant du second film qui devait endurer une histoire de rédemption, en histoire secondaire, parallèle. Et ça grignotait trop de temps de l’histoire des personnages principaux. Je l’ai donc abandonné, pour qu’on puisse plus se concentrer sur les défis que rencontrait Harold, et l’histoire des dragons également.

Astrid et son évolution dans la trilogie

Thomas Martin : Sur une note plus personnelle, lorsque j’ai vu toute la trilogie j’ai été surpris par l’évolution du personnage d’Astrid, j’ai eu l’impression qu’elle était laissée de côté dans les deuxièmes et troisièmes films
Est-ce quelque chose que vous confirmez ?

Dean DeBlois : Ouais, dans le troisième, j’ai essayé pendant longtemps de lui donner son propre arc, de lui donner de vrais problématiques à surmonter. Et c’est marrant parce que, chaque fois que j’essayais de forcer ça, moins l’histoire semblait l’accepter car c’était déjà… L’histoire portait sur la capacité d’Harold à défier sa propre perception.
Avec Astrid et ses propres problèmes, cela se tournait vers une histoire à deux vitesses.

Je pense que c’est un personnage très intéressant, que j’aimerais explorer plus en détail, mais… Lorsque vous avez de telles limitations de temps, il arrive que vous deviez faire marche arrière sur la complexité des autres personnages, pour pouvoir étayer votre personnage principal. Et donc, elle a de nouveau été reléguée au rang de personnage de support.

Thomas Martin : Oui, c’est ce que j’ai ressenti.

Dean DeBlois : On a essayé de continuer à la rendre assurée, avec un rôle utile dans l’histoire, mais… Je suis d’accord avec vous, on aurait pu aller plus loin.

Thomas Martin : C’est vraiment quelque chose que je n’ai pas du tout apprécié dans le second film. Je me disais « pourquoi ? Qu’est-ce qui est arrivé à Astrid ?! ».

Dean DeBlois : Oui, elle est trop en soutien.

Thomas Martin : C’est ça, trop en soutien dans le deuxième. Et dans le troisième, j’ai plus eu l’impression de la revoir comme avant, plus comme une guerrière.

Dean DeBlois : quels projets pour l’avenir ?

Thomas Martin : Dernière question : Quels sont vos projets actuels ? Je crois savoir qu’il y a un nouveau projet avec Hasbro si je ne me trompe pas ?

Dean DeBlois : Oui, ça s’appelle « Micronauts » !

Thomas Martin : Pouvez-vous en parler ? Ou êtes-vous sous clause de confidentialité ?

Dean DeBlois : Je ne peux pas encore vous en parler, simplement parce que je suis en pleine écriture. J’écris l’histoire en ce moment, et c’est fun, un monde différent, de nouveaux défis, un autre groupe de personnages, donc…
Je ne sais pas moi-même où l’histoire va aller exactement. Donc, je ne suis pas prêt pour en parler, mais c’est excitant de faire du film live.

J’ai aussi « La Planète au Trésor », pardon, « L’Île au Trésor », en cours, qui est une sorte de pirouette amusante, adaptée du livre original, et d’autres choses que je développe également.

Thomas Martin : Eh bien, merci infiniment pour votre temps.

Dean DeBlois : Merci !

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