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La CST (Commission supérieure technique de l’image et du son) a lancé 3D-Info, un outil destiné à visualiser simplement et efficacement les scènes 3D. Centré sur le format USD, l’outil permet déjà d’explorer des scènes et s’étoffera au fil du temps, avec de nouvelles fonctions.
Nous vous proposons de le découvrir en compagnie de l’équipe du projet.
3DVF : La visionneuse 3D-Info vient d’être lancée. Centré sur le format USD, 3D-Info est gratuit, open source et multiplateforme. Concrètement, que permet l’outil, et quelle est votre public cible ?
Frédéric Fermon – Chargé de mission « Immersion & Temp Réel » – CST : Le projet a pour but de créer une visionneuse 3D facile à utiliser. Quand vous êtes sur Sketchfab, vous n’avez pas besoin d’une formation 3D pour être capable de consulter les assets, même les plus complexes. L’idée est la même, mais en s’intégrant et en proposant des fonctionnalités dédiées à nos métiers du film.
Il vise particulièrement les chefs de poste des tournages (prise de vue, décoration, mise en scène…) et de l’animation : gestion de production, réalisation… mais devrait être utile à toute personne souhaitant consulter des assets 3D USD, avec une interface conviviale et facile à installer (aucune dépendance supplémentaire n’est requise).
L’outil permettra par exemple de régler et d’exporter des caméras et des images, prendre des mesures dans un décor, partager des notes, ou encore jouer des animations. Il est pensé aussi bien pour ouvrir des props, des personnage animés ou des décors. Du côté plus technique, il permet de consulter la hiérarchie du « stage » et des « layers », des notions propres à ce format de composition de scènes.
3DVF : Quelles sont les principales limitations actuelles de 3D-Info ?
Frédéric Fermon : Cette première bêta est assez limitée en fonctionnalités par rapport à notre projet, mais elle est déjà utilisable en l’état en tant que simple visionneuse. Nous nous sommes concentrés sur le confort de navigation et la cohérence de rendu : le rendu visuel dans 3D-Info est identique à celui de usdview (la visionneuse fournie avec USD) et Omniverse Composer de NVidia, car nous utilisons comme eux le moteur de rendu Storm fourni par Pixar avec USD. Il a fallu déjà pas mal d’efforts pour faire fonctionner correctement le framework USD, et nous avons ensuite intégré en priorité les fonctionnalités demandées par nos 2 studios partenaires que sont Loops Creative Studio et Plateau Virtuel, qui travaillent déjà tous deux avec ce format.
3DVF : Le projet est porté par la CST. Pourquoi vous êtes-vous lancés dans la création de cet outil ?
Frédéric Fermon : Nous sommes une association dont l’une des préoccupations premières est l’accompagnement des métiers du cinéma. Au fur et à mesure que la production virtuelle est de plus en plus utilisée, le besoin de valider la 3D dès la pré-production devient plus fréquent. Les chefs de poste sont concernés par les décisions faites lors de la conception de la 3D, et d’une manière générale l’utilisation de 3D se démocratise, mais peu d’outils sont à leur portée.
L’idée est venue lorsque je cherchais un moyen de connaître de manière exhaustive ce que pouvaient contenir les assets 3D que j’avais dans les mains, sans avoir à ouvrir de DCC. J’avais le souvenir du logiciel open source Media-Info qui décrit les fichiers vidéo et que mes collègues du mastering utilisaient régulièrement, et j’aurais voulu avoir un outil du même genre pour la 3D. Je me suis vite rendu compte que ça n’existait pas vraiment, et que ce n’était pas aussi simple. Après avoir échangé avec plusieurs graphistes, TDs et créateurs de décors virtuels, j’ai compris qu’une visionneuse accessible à tous et proposant l’annotation était sans doute davantage attendue qu’une « simple » description technique.
Nous avons donc réfléchi en équipe avec Hans-Nikolas LOCHER qui dirige notre activité de développement logiciel. Cela coïncidait avec notre volonté de nous ancrer dans une démarche open source et notre constat sur la démocratisation de la 3D. Nous avons pensé qu’il serait intéressant de proposer cet outil à la communauté, et nous avons pris le pari de nous y atteler. Nous avons ensuite reçu une aide du CNC pour financer une partie du développement.
Pour ce qui est du format de fonctionnement interne, il fallait commencer quelque part, tout en restant dans notre ADN open source. Ça s’est imposé un peu comme une évidence : gLTF et USD sont les seuls formats ouverts et interopérables qui attirent l’intérêt du secteur, mais gLTF n’est pas très adapté aux scènes complexes. Et bien qu’à l’époque l’Alliance for OpenUSD n’existait pas encore, et que la gouvernance d’USD pouvait encore poser problème, nous sentions que ce n’était qu’une question de temps, tant les fonctionnalités promises par USD sont intéressantes et permettent d’avancer sans avoir à réinventer la roue. Nous guettons maintenant l’arrivée du premier « draft » de standardisation d’OpenUSD annoncé pour la fin de l’année.
Donc nous essayons avec ce projet de remplir un vide dans l’offre d’outils 3D tout en espérant faciliter l’adoption de l’USD, qui en plus d’être prometteur, est un format qui porte nos valeurs que sont l’ouverture, l’interopérabilité et la standardisation.
C’est aussi une manière pour nous de rapprocher les métiers du tournage que nous connaissons bien, avec ceux de la 3D en facilitant les échanges, la compréhension, le langage commun… en mettant concrètement un outil utile dans les mains des « non graphistes ».
3DVF : Quels ont été les principaux défis en termes de développement pour créer 3D-Info ?
Hans-Nikolas LOCHER : Le premier point est que USD dispose d’une documentation très riche mais un peu éparpillée. Ma première surprise a été que le format de fichier ne dispose pas de description formelle, il était jusqu’à maintenant défini “en creux” par le code USD, ce qui va être corrigé par le travail qui est fait au sein de l’AOUSD. La conséquence est qu’il n’y a pas, jusqu’à maintenant, le support d’un standard pour comprendre les choix faits dans le code d’USD.
Par ailleurs, il y a des strates historiques dans la bibliothèque de Pixar, on sent que différentes parties ont été faites par différentes personnes à différents moments, avec des architectures un peu différentes.
Nous avons fait le choix du framework Qt pour l’interface graphique, ce qui simplifie la mise en place de certains widgets, comme la sceneView USD qui s’intègre naturellement dans ce framework graphique. Cela a d’autres intérêts aussi en termes de circulation d’évènements asynchrones, mais cela rend la mise en place d’une GUI “moderne” et dépouillée avec des transparence parfois un peu complexe. La gestion des évènements claviers, par exemple, a demandé aux développeurs des stratégies de contournement.
Un dernier point, qui risque de ne pas s’arranger avec l’arrivée d’autres partenaires dans la gouvernance et sûrement dans l’ingénierie, c’est l’évolution des versions de la bibliothèque, qui demande de courir après le framework. Pour le moment, la version de la lib que l’on utilise est gelée à 23.02, mais il faudra qu’avec le développeur on s’attelle à cette évolution après la bêta.
3DVF : USD est de plus en plus adopté par les studios d’animation et d’effets visuels. Quelle est votre vision de son adoption en France ? Quels sont les freins ? Et pour les studios qui hésitent : quels sont ses avantages ?
Frédéric Fermon : Je ne suis pas au courant de tout, mais je sais par exemple qu’un studio VFX bien implanté a récemment choisi de l’adopter. Donc oui il y a effectivement un lent mouvement vers l’USD.
De ce que j’en perçois, le coût de l’effort d’intégration d’USD dans un pipeline paraît encore trop élevé pour une large adoption. J’ai eu l’honneur de participer à une conférence sur le sujet l’an dernier à Annecy, et les retours d’expérience allaient vers la même conclusion : « c’est compliqué… » Nous avons évalué qu’il faudrait environ 3 mois à un développeur pour être à l’aise avec le framework, ce qui est beaucoup… Par contre d’ici 2025 ou 2026 peut-être, lorsque les premières spécifications sur le modèle de données (AOUSD’s Core Spec) seront intégrées dans les outils du secteur, ce coût d’intégration se réduira largement au profit des utilisateurs.
Pour les studios qui ont une capacité de développement suffisante et qui perçoivent un intérêt à l’intégrer dans leur pipeline, je pense qu’il reste intéressant de s’y pencher dès aujourd’hui. Car même si le format va évoluer, en s’y mettant maintenant ils auront gagné la connaissance de ses nombreux concepts, et donc seront a priori capables de s’adapter plus rapidement au gré des versions standardisées…
3DVF : Évidemment, pour les studios, disposer d’un support, avoir des interlocuteurs est toujours important. Quelques mots à ce sujet ?
Et quelles améliorations sont prévues pour la suite du développement ? Y a-t-il une roadmap publique ?
Frédéric Fermon : Oui notre roadmap publique est accessible ici.
Comme vous le voyez nous avons déjà prévu pas mal de choses, mais pas beaucoup de dates ! Car c’est important pour nous de faire avancer le projet avec et pour les utilisateurs, c’est pourquoi nous priorisons au fil de l’eau avec eux. C’est tout l’objet de cette bêta publique : rassembler autour du projet tous ceux que ça intéresse pour accoucher d’un outil qui soit réellement utile pour le plus grand nombre. C’est aussi particulièrement important pour les développeurs qui souhaitent l’intégrer : c’est grâce à leur implication que nous pourrons proposer un code adapté à leur besoin.
Donc pour les prochaines étapes, ce qui est sûr c’est que nous allons reprendre la GUI pour qu’elle permette le développement des prochaines fonctionnalités depuis le viewport. Pour le reste, à notre communauté naissante de nous orienter en consultant notre roadmap.
Pour ce qui est du support, nous n’envisageons pas d’en fournir stricto sensu. Nous avons créé un serveur Discord pour échanger directement avec les utilisateurs, répondre à leurs questions, recueillir leurs demandes de fonctionnalités et leur remontées de bug. A terme, ce serait pas mal qu’une petite communauté de développeurs commence doucement à participer au projet avec nous.
3DVF : Comment soutenir le projet 3D-Info ?
Frédéric Fermon : Testez la bêta !
Si votre pipeline repose pour tout ou partie sur USD, normalement 3D-Info peut déjà être pour vous une visionneuse confortable au moins pour vérifier des modèles ou la hiérarchie du stage et des layers USD. Nous avons hâte d’entendre vos avis, vos retours, et vos conseils.
3DVF : Une dernière question : l’an passé, une partie de l’équipe était présente au Festival d’Annecy. Est-ce que ce sera aussi le cas en 2024 ?
Comment vous croiser sur place ?
Frédéric Fermon : Oui je ferai le déplacement comme l’an dernier. Mon planning est encore assez incertain mais il y aura forcément des occasions, notamment dans les couloirs du Mifa. Ne pas hésiter à m’envoyer un petit mail en amont, mon mail est dans les contacts ici.
Et l’outil sera en démonstration sur le stand Progiss/3DVF au MIFA (A.36, à l’étage de l’espace d’expositon) !
3DVF : Merci ! Pour les personnes qui nous lisent, n’hésitez pas à faire un tour sur la page du projet pour télécharger 3D-info et le tester. Et n’hésitez pas à nous suivre sur les réseaux sociaux: Facebook, X/Twitter, Instagram, LinkedIn, Youtube.
2 commentaires
Bonne initiative ! Il serait peut-être encore plus pertinent de supporter d’autres formats. En ce qui concerne l’USD, nous disposons déjà d’outils performants, comme la « Wizart DCC Platform », qui devrait bientôt être accessible en open source, et mon préféré, « usdtweak », qui est déjà entièrement open source. Selon moi, c’est l’outil le plus performant et léger pour travailler avec de l’USD à ce jour sans ouvrir un DCC.
Ce qui manque vraiment, c’est l’aspect cross-platform. Je ne parle pas seulement de Linux/Mac/Windows, mais aussi de la compatibilité entre desktop, tablette et téléphone. Avez-vous envisagé de développer quelque chose qui fonctionnerait sur le web, par exemple ? Cependant, le choix de QT pourrait limiter certaines possibilités. On constate déjà les même problèmes de performance avec l’USDView officiel.
Lors de mon premier test, ouvrir un asset de moins de 1 GB a pris plus d’une minute sur CST 3D-info, alors que cela ne prend qu’une seconde sur usdtweak. À mon avis, ce ralentissement provient principalement de QT.
Cela dit, j’apprécie vraiment les efforts déployés pour ce types d’outils en open-source, et je suis convaincu qu’avec quelques ajustements, ce projet a un excellent potentiel pour répondre aux besoins des utilisateurs de manière encore plus efficace. Hâte de voir les prochaines évolutions !
Bonjour oumounad,
Merci pour vos encouragements !
– Le projet est effectivement cross plateform. Pour l’instant nous compilons pour ubuntu 20.04 à travers une CI, avec version manuelle pour windows (nous passons bientôt à ubuntu 22.04). Mac OS est dans la roadmap, et nous regarderons sans doute à ce moment là pour les iPad &co. Mais pour l’instant l’objectif est d’aboutir à une première release ubuntu + windows.
– Nous avons écarté pour l’instant l’idée d’une web app, par simplicité (pour nous) et parce que cela ne correspond sans doute pas aux usages les plus courants dans l’anim et la production virtuelle. Pour autant l’idée m’a toujours séduit.
– Je suis étonné par votre temps de chargement de votre scène de 1Go, et voudrais bien en savoir un peu plus !
Un grand merci pour votre retour. Si vous le souhaitez envoyez moi un petit mail à ffermon [at] cst.fr, et nous pourrons échanger d’avantage.
Bien à vous
Frédéric