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Les personnes ayant déjà parcouru la sélection du Festival d’Annecy 2024 le savent déjà : on retrouve dans la Sélection Officielle des projets créés à l’aide d’IA générative.
Dans les éléments du programme déjà dévoilés, on retrouve en effet quatre courts métrages utilisant au moins en partie de l’IA générative.
Un choix qui peut surprendre étant donné les polémiques actuelles autour de cette technologie dans le secteur de l’animation, qu’il s’agisse de la question du droit d’auteur ou de l’impact sur les artistes et l’industrie créative.
Nous avons donc contacté l’équipe du Festival d’Annecy en lui demandant de préciser sa position sur le sujet de l’IA, mais aussi sur cette sélection 2024.
Nous avons reçu en réponse un éclaircissement par Marcel Jean, Délégué Artistique du Festival d’Annecy. Il y explicite la manière dont Annecy entend, au moins pour le moment, aborder les projets s’appuyant sur l’IA générative.
Sa réflexion est lisible plus bas.
IA : pourquoi la position du Festival d’Annecy a de l’importance
Si les choix du Festival d’Annecy concernant l’IA ne sont pas anodins, c’est évidemment car Annecy est LE plus gros évènement mondial consacré à l’animation sous toutes ses formes. Depuis sa création en 1960, le Festival a suivi les grandes mutations du secteur, comme l’émergence de l’animation 3D et l’impact du numérique, mais aussi les évolutions artistiques et économiques de l’industrie.
Son influence s’est évidemment renforcée depuis la création du MIFA (Marché international du film d’animation d’Annecy), versant destiné aux professionnels du secteur.
Autrement dit, à l’heure où l’ensemble de l’industrie suit de très près l’impact des IA, la position du Festival d’Annecy est loin d’être un détail. Et sa légitimité dans le milieu peut participer à orienter l’avenir du secteur.
De vives réactions
La présence dans la sélection 2024 de courts utilisant de l’IA générative n’a évidemment pas manqué de générer des questionnements et interrogations de la part de la communauté de l’animation, notamment sur le compte Instagram du Festival et sous un post qui annonçait la sélection des courts de fin d’études (l’un d’entre eux utilise de l’IA).
On y trouve aussi des attaques directes envers le Festival, plusieurs commentaires parlant de « honte », ou évoquant le « travail volé » des artistes. En effet, les équipes derrière des outils d’IA générative bien connus, comme Midjourney ou Dall-E, ont utilisé des données dont elles n’avaient pas obtenu les droits. Y compris, comme nous l’expliquions récemment, des visuels issus des projets de studios d’animation et d’effets visuels.
IA Générative : la position de Marcel Jean, délégué artistique du Festival d’Annecy
C’est donc dans ce contexte que le Festival d’Annecy nous a répondu et a clarifié sa position concernant l’usage des IA génératives, et ce qui a mené à l’inclusion de courts créés avec de l’IA (entre autres techniques) dans la Sélection Officielle.
Vous trouverez donc ci-dessous la réflexion sur le sujet de Marcel Jean, Délégué Artistique du Festival depuis 2012. Il explique que le Festival n’interdit pas de soumettre des projets créés à l’aide d’IA, ajoute que la volonté du Festival est de « réagir avec discernement », et justifie le choix d’inclure des projets s’appuyant sur ces technologies, malgré les réticences de nombreuses personnes du secteur.
Il souligne néanmoins aussi le fait que le comité de sélection est confronté à un volume croissant de projets faisant appel à l’IA, et qu’une « majorité d’entre elles » n’ont « pas de vision, pas de pensée ».
Voici la réaction complète :
D’abord, nous n’avons pas de règle interdisant l’emploi de l’intelligence artificielle. Il s’agit, en cette matière comme dans beaucoup d’autres, d’être attentifs à l’évolution des choses et d’y réagir avec le discernement, la sensibilité et le sens artistique qui justifient notre présence au sein des comités de sélection. Les règles évitent d’avoir à réfléchir plus avant, alors que l’arrivée de l’IA dans la création pose justement une série de questions qui exigent qu’on y réfléchisse.
L’an dernier, nous avons sélectionné le court métrage Algodreams, du cinéaste australien Vladimir Todorovic, dans la section compétitive Animation Off-limits. En 2021, ce cinéaste avait d’ailleurs remporté le Prix de cette section pour son film précédent, Tunable Mimoid. Todorovic a précisément utilisé l’IA dans son film pour en mettre en lumière les mécanismes de création.
Cette année – et ce n’est pas une surprise – nous recevons un plus grand nombre d’œuvres faisant appel à l’IA. La majorité d’entre elles ne font pas illusion : on constate rapidement qu’il n’y a pas de vision, pas de pensée, pas de sensibilité singulière derrière l’utilisation de la technologie. Par contre, une minorité de ces œuvres cherchent à s’engager dans une voie fertile. Ces œuvres provoquent chez nous un questionnement que nous devons partager avec le public, avec le milieu, avec les jurys… D’où la sélection de ce qui nous semble le plus pertinent, le plus apte à stimuler voire à provoquer les débats.
Nous remarquons aussi que les vidéoclips, à cause de la vitesse de leur conception et des budgets souvent modestes qui sont alloués à leur production, sont le terreau par excellence de l’IA. Les artistes semblent se tourner vers la technologie parce qu’on leur demande sans cesse de proposer une nouvelle imagerie, de le faire rapidement et à moindre coût. Au final, cela donne souvent une imagerie très datée, qui expose ses limites, au point où on pourra probablement dire, dans quelques années, pendant quel trimestre précis de 2023 ce vidéoclip aura été produit…
Marcel Jean – Délégué Artistique – Festival d’Annecy
IA au Festival d’Annecy 2024 : quels projets sont concernés ?
Voici également les courts-métrages sélectionnés au Festival d’Annecy 2024 et faisant appel à l’IA générative. Les fiches sur le site du Festival précisent que d’autres techniques sont employées en parallèle : animation 3D, 2D ou encore photo.
En sélection Off-Limits, nous avons noté trois projets utilisant de l’IA : Das große Baumstück (Claudia LARCHER), Data Flesh (Felipe ELGUETA), Glass House (Boris LABBÉ).
Dans la sélection des films étudiants, un film utilise de l’IA générative : Echoes of Grief de Verena REPAR. Précisons que cette dernière a réagi publiquement à la polémique. Elle explique que l’usage de Stable Diffusion concerne « 50 secondes du film entier », qui dure environ 19 minutes, insiste sur le fait que l’essentiel du projet s’appuie sur Blender et Unreal Engine et invite à consulter son compte Instagram, qui propose un aperçu des coulisses.
Quel avenir pour l’IA générative dans les festivals d’animation ?
3DVF suivra évidemment de près l’évolution de la politique des Festivals d’Animation concernant les IA génératives. En effet, on peut tout à fait imaginer que certains festivals changent de position au fil du temps, par exemple en fonction des réactions de l’industrie, des changements législatifs. Les réactions des festivalières et festivaliers auront aussi, sans nul doute, un impact considérable sur ces choix.
A moyen terme, et alors que les IA progresseront, on peut aussi se demander si la facilité de création à l’aide d’IA ne se traduira pas par une explosion du nombre de projets reçus par les festivals, et donc par un volume de travail insurmontable pour les comités de sélection. Ces derniers pourraient du coup être contraints de mettre en place des mesures de filtrage, qu’ils soient favorables ou non à l’usage des IA.
Nous serons présents au Festival d’Annecy en juin et couvrirons donc les réactions du grand public et des professionnels sur ces sujets. Pour ne rien manquer de nos contenus sur l’événement, vous pouvez nous suivre sur LinkedIn, X/Twitter, Facebook, Instagram, Youtube.
Et d’ici là, n’hésitez pas à nous donner votre avis sur la position du Festival d’Annecy, que ce soit en commentaire ou sur les réseaux sociaux.
Et pour aller plus loin sur le sujet des IA, vous pouvez par exemple :
- Découvrir notre interview vidéo du superviseur VFX Guillaume Rocheron, qui abordait notamment la question de l’IA et ses enjeux ;
- Regarder notre interview de Véronique Augereau et Philippe Peythieu qui sont entre autres les voix françaises de Marge et Homer Simpson. Ils nous parlaient l’an passé de leur métier mais aussi, évidemment, des possibles changements dans leur métier en raison de l’arrivée des IA.
- Enfin, vous pouvez découvrir les capacités de Sora, IA permettant de générer des vidéos très poussées. L’outil est encore en cours de développement par OpenAI. L’entreprise a récemment botté en touche durant une interview, suite à des questions sur les sources utilisées.
4 commentaires
Dommage ! C’est bien de rester ouvert, mais c’est une occasion manquée de rentrer un peu dans le détail ! IA veut tout dire, et rien dire ! C’est trop généraliste, autant parler des ciseaux, c’est top pour couper, mais pas top pour couper le travail des autres ! C’était l’occasion de dire quelles IA étaient acceptables, ou pas ! QUID de l’auto entrainement ? Des NeRF ? Surtout sur la protection des artistes, mieux vaut attendre les nouvelles lois Européennes : Les systèmes d’IA à usage général et les modèles sur lesquels ils sont basés devront respecter des exigences de transparence et la législation européenne sur les droits d’auteurs, ainsi que la publication de résumés détaillés des contenus utilisés pour leur entraînement.
Ceux qui s’offusquent et réclament la censure aujourd’hui, ça me rappelle exactement ceux qui, il y a presque 40 ans (1985), réclamaient l’interdiction de l’utilisation de l’ordinateur.
Le Festival avait, là aussi, courageusement résisté. Imaginerait on aujourd’hui un festival d’Annecy avec uniquement des films fabriqués sans l’aide de l’ordinateur ?
Au lieu d’avoir peur des nouveaux outils, mieux vaut apprendre à en exploiter le potentiel…
Et faisons confiance aux jurys pour éliminer les films nuls réalisés par ceux qui croient que l’outil fait tout.
Après, le gros du débat, n’est pas tant sur les qualités des modèles de diffusion, et les avancées technologiques sous jacentes, mais plus sur quoi a été entrainé ces IA génératives. Ce n’est pas la peur d’une création non contrôlée, mais la peur d’une création volée. Mettre un peu d’intelligence dans nos outils, c’est très bien, et c’est attendu depuis longtemps, mais dans le respect des droits d’auteurs. Entrainer une IA sur ses propres travaux est totalement possible, et me semble plus respectueux ; entrainer une IA sur tout ce qui se trouve sur Internet est plus sujet à débat, surtout dans le milieu artistique. La révolution est telle, qui faut être très clair sur ce sujet, et je comprends la demande Européenne. Même si sur l’aspect purement créatif, qu’une œuvre soit faite à la main, à l’ordinateur, ou avec une IA, cela ne changera pas fondamentalement son sens, ce qu’elle apporte, ce qui la rend indispensable et intemporelle. Mais ne confondons pas inspiration, influence, et plagiat. La technique a son importance, et cela doit rester un outil contrôlable. Merci.
Bonjour,
J’ai hésité à trois fois avant de poster un commentaire ici par peur de perte de temps, ça n’a que peu d’intérêt, il se destine aux professionnels du secteur qui sont déjà au courant de la finalité des ia générative.
On sait tous où sont placées les billes (les grosses billes) et ce n’est pas la propagande à demi masquée du CNC qui nous fera dire le contraire…
Ethiquement c’est déjà très moche de fermer les yeux sur cette utilisation d’ia generativ qui s’est allègrement servi sur la base de donnée soumises aux droits d’auteurs. Mais l’heure n’est plus à la moralité, elle est complètement piétinée depuis la réponse à la manifestation international des acteurs du secteur sur artstation. L’opinion des professionnels sur ce sujet n’est pas un mystère, c’est insultant de faire parler quelques it du secteur.
Pour ceux qui se posent encore la question dans le secteur européen et qui sortent des amphigouris aussi ridicule que le passage du traditionnel au numérique (ça a fait exploser la création d’emploi dans le secteur), essayez de sortir de votre bocal et regardez ce qu’il se passe. On a déjà vu les conséquence sur le marché asiatique, c’est déjà le cas en europe, aller questionner les artistes à ce sujet, ceux qui sont directement confrontés à la situation et qui produisent vraiment.
Beaucoup de producteurs (heureusement pas tous) et c’est logique, y voient l’appât du gain; des temps de production plus courts, de belles images alimentées par les créateurs, pour pas un rond. Mais ils finiront dans la même situation critique sur un marché qui est déjà saturé. Ils n’auront en plus, plus aucuns arguments d’embauches auprès des financements publiques régionaux.
Il n’y aura plus d’argent à se faire dans ce secteur, ce ne sera pas demain, mais là maintenant.
De mon côtés étant pipe developper et superviser 3D, ce évidement très simple d’abuser de ces solutions mais on se le refuse, par bon sens !!
J’ai vent de plusieurs collègues du secteur (c’est un petit monde n’est ce pas ? tout le monde n’en fait pas partie, semble t-il) qui se retrouvent avec des contrats prématurément stoppés, d’équipes divisées par 3, de travaux ingérés pour être finalisé automatiquement avec un superviseur/opérateur.
Mais quand tout le monde pourra produire n’importe quoi avec 0 moyens, à votre avis, que va devenir le marché, les fonds d’investissements, on a pourtant l’exemple de crash dans des secteurs très proche au notre.
Et on ne détaillera pas l’emprunte carbone, je tiens à digérer mon café…