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D’une cinématique PUBG à l’avenir du rendu : rencontre avec Brunch

Nous suivons l’équipe de Brunch depuis plusieurs années déjà : nous avions notamment eu l’occasion de vous proposer des interviews en leur compagnie autour d’une cinématique pour The Division 2 d’Ubisoft, puis d’une autre destinée à Riot Games et son Teamfight Tactics.

C’est désormais dans l’univers PlayerUnknown’s Battlegrounds (PUBG) que nous plonge Brunch, avec une cinématique sortie cet été pour promouvoir un nouveau jeu mobile lié à la licence.
Réalisée par Boddicker (Jean-Charles Kerninon et Clément Lauricella), produite par Eddy, cette cinématique adopte un rendu stylisé qui tranche avec l’approche photoréaliste de nombreuses bandes-annonces de jeu.

En compagnie de Brunch, nous vous invitons à découvrir le projet, ses coulisses et ses défis techniques et artistiques.
Démarche visuelle, narration poussée, travail en lien avec de la musique, animation en step, contraintes narratives liées à Youtube, vous saurez tout sur les coulisses de cette cinématique.

Et comme le projet adopte un rendu non photoréaliste, nous en avons profité pour échanger avec les réalisateurs sur les tendances actuelles en matière de rendu stylisé, mais aussi sur l’impact de l’IA et du deep learning sur l’avenir du rendu.

Le résultat : une interview dense et riche en informations à découvrir après avoir (re)vu la cinématique PUBG !

3DVF : Bonjour Boddicker/Brunch ! La cinématique PUBG : NEW STATE – La chute de Troi que vous avez récemment dévoilée trouve ses origines dans une autre licence : le travail que vous aviez fait pour The Division 2 d’Ubisoft, sur lequel nous vous avions d’ailleurs déjà interviewés.

Boddicker (Jean-Charles Kerninon et Clément Lauricella) : Tout à fait. En fait, PUBG Studio avait sorti une grosse cinématique, dans un style très photoréaliste et proche du jeu (en termes d’actions, de lighting). Or ils se sont rendus compte que cette approche ne fonctionnait pas : le projet était certes très beau et bien géré, il ne se démarquait pas du reste des cinématiques jeux vidéo en termes de rendu. La cinématique n’avait donc pas marqué le grand public autant que PUBG l’avait espéré.

Ils sont donc venus nous voir avec comme ambition d’aller vers quelque chose de plus stylisé, et d’avoir une narration plus approfondie pour sortir du lot.

Ils avaient eu l’occasion de voir notre travail sur The Division 2 (que nous avions co-réalisé avec Olivier Lescot), et cela correspondait à leur vision, un style fort et une vraie histoire.

Cinématique d’Olivier Lescot & Boddicker pour The Division 2

3DVF : Plus concrètement, quel était la demande, quels aspects du jeu fallait-il souligner ?

Il s’agissait d’accompagner la sortie d’un jeu mobile, PUBG : NEW STATE. L’action se situe dans le futur, et il y a une nouvelle map, des éléments plus technologiques (même si l’équipe est revenue en arrière par rapport à certains plans initiaux).
L’idée était notamment de mettre en place un lore, avec plusieurs factions du jeu. Quelques personnages principaux étaient déjà écrits mais sans avoir d’apparence visuelle associée, car ils n’étaient pas inclus dans le jeu.

Le brief, au fond, était assez simple : le studio avait trois gangs, trois factions, avec leurs leaders. Et une nuit, une équipe de chasseurs devait arriver et tuer tout le monde.
A partir de là on a pu écrire un scénario et leur proposer.

Visuellement, aucune référence, quartier libre pour présenter ce qu’on voulait, ils n’ont même pas demandé un style spécifique. La seule demande était d’éviter le photoréalisme.

Il y a eu une évolution dans le concept, nous avions proposé quelque chose de très narratif, avec des dialogues, une histoire accompagnée par de la musique (nous savions qu’un groupe de musique serait impliqué mais la musique n’était pas encore définie).
Cependant, eux voulaient vraiment appuyer la cinématique sur la musique.

Au final la cinématique est un mix de ces visions, avec un côté clip mais tout en gardant de la narration, et une longue intro sans musique. Ils nous ont tout de même bien permis de nous exprimer.
L’absence de dialogues a aussi des avantages : on a des non-dits, du mystère du fait par exemple que le dialogue final n’est pas audible (même si on l’a écrit dans le script !).

3DVF : Comment avez-vous géré ces contraintes au niveau sonore ?

Cela a beaucoup changé notre façon de réaliser et monter, par exemple nous avons mis en place beaucoup de coupes au moment des tirs.

Pendant longtemps il y a eu un flou pour savoir ce qui prenait le pas : est-ce que la musique devait s’adapter à l’image, ou l’inverse. On a reçu des maquettes que l’on a transformées, découpées, on a rallongé des moments… Nous avions aussi une courbe d’intensité pour le film que nous voulions respecter…

Les tests se sont poursuivis très tardivement, et au final le plus simple a été que le client nous fournisse la musique, qu’elle ne bouge plus et que l’on s’adapte, que l’on cale dessus nos rythmes, nos plans.

3DVF : Quelle était la taille de l’équipe, et combien de temps a duré le projet ?

5 mois de production, c’est un de nos plus longs projets.

Pour l’équipe, une quarantaine de personnes sur l’ensemble du projet mais sans dépasser la douzaine de personnes en même temps.

Et avec donc Eddy à la production, Brunch à la fabrication.

3DVF : Une ambiance nocturne peut être délicate à gérer au compositing, est-ce que ça a été le cas ici ?

Pas autant qu’on aurait pu le craindre. Evidemment, il a été nécessaire d’égaliser les plans durant la production, mais visuellement on est sur une nuit très graphique, teintée, pas sur une obscurité totale. Et comme les graphistes s’occupaient de séquences entières, on a pu facilement obtenir une unité de séquence.

3DVF : En termes de chara design, comment se sont passées les choses ?

Pour les leaders, nous n’avions pas de design, aucun élément, juste une fiche descriptive de la personnalité (faits d’arme par exemple).

Par contre nous avions quelques charas designs ou skins de personnages « lambda » qui étaient pressentis pour intégrer le jeu, nous avons donc étudié ces éléments afin d’avoir une cohérence visuelle. C’est ensuite que l’on a imaginé nos designs.

Nous avons eu une liberté énorme.

En pratique, quand on travaille sur le design de personnages, il y a des plannings, plusieurs designers en parallèle qui font plusieurs propositions par personnage, et c’est ensuite qu’il faut trouver un style global pour le film.

Or entre en design 2D et une retranscription 3D il est toujours difficile de se projeter ou d’avoir une bonne cohérence sur l’ensemble des designs. Il n’est jamais évident de dire à un graphiste « on voudrait tel type de rendu » et d’avoir un design adapté, c’est plutôt à l’étape de fabrication que l’on intègre tout ça, que l’on adapte tous les personnages, qu’on se les approprie. En décidant du type de textures, de la patte graphique.

D’autant plus que nous sommes des techniciens, nous maîtrisons la 3D plus que la 2D.

Si a posteriori on compare les characters designs et le résultat final, ça se ressemble mais il y a clairement une différence.

3DVF : Comment avez-vous abordé les visages ?

Notre parti pris était de nous affranchir d’un look 2D, de règles un peu idiotes que beaucoup se mettent pour avoir un « look 2D » ou « look 3D », on ne voulait pas que les gens pensent que le but était « d’imiter de la 2D », ce qui est très laborieux.

Nous avons donc opté pour garder du détail en modélisation, mais aussi pour le fait de mettre de la matière, de la texture. De même, sur les masques des chasseurs, on a assumé le côté 3D, mis une patine, des reflets réalistes et non bakés.

Un point qu’il faut souligner, c’est l’importance ici de la confiance que l’on nous a accordée. Sur ce genre de projet il faut généralement tout de suite, dès le pitch, montrer ce à quoi montrera le film. Ici, nous avons pu faire des essais, des recherches, le client et la production ont vraiment fait confiance, malgré l’attente que génère ce processus.

3DVF : Toujours sur les détails, le travail sur les yeux est impressionnant, de la texture, des reflets…

Il y a de la triche sur certains plans, avec par exemple des spéculaires 2D sur des petites plaques que l’on fait trembler pour créer du mouvement, par exemple à la fin quand Marion parle au Sherif et que ses yeux s’écarquillent. Ou quand une autre héroïne est allongée, avant de se faire exécuter. A l’inverse, sur d’autres plans ça ne marche pas visuellement, donc soit on retirait totalement, soit on mettait du spéculaire 3D.

Au final, tant que ça marche, peu importe la technique.

On a surtout gardé cet effet quand nous voulions raconter quelque chose avec le spéculaire, jouer sur les émotions.

3DVF : Vous avez opté pour une animation en step. Or il nous a semblé que certains FX sont animés avec plus de fluidité…

Pas tout à fait.

En fait on a adapté le framerate au plan, voire pendant le plan. Par exemple sur un plan un antagoniste court, manque de tomber, la caméra le suit et s’attarde. La caméra est fluide au début, puis beaucoup moins sur la fin pour renforcer le côté nerveux.

Les FX sont tous en step, mais comme ça bouge très vite on a cette sensation de fluidité. Et comme animer en 2 nous semblait parfois trop fluide, nous sommes parfois passés sur une animation en 3 ! Ca dépend vraiment du plan. Ca s’est fait au ressenti.

Pages suivantes : animation, FX, chara design, violence Youtube, rendu stylisé, machine learning.

1 commentaire

phicata 11 octobre 2021 at 17 h 01 min

[I]Pour un projet comme La Passion van Gogh ou Les Paysans, il faut bien avouer que ça n’a pas la même saveur quand on sait qu’une équipe a passé 8 ans derrière, ou si le style Van Gogh a été créé par un ingénieur de Google en appuyant sur un bouton. [B]On ne regarde pas ça de la même façon[/B].[/I]
Je ne sais pas, vraiment ça m’interroge. Comme tu le soulignes, on en avait déjà parlé sur le forum et je ne trouves toujours pas de réponses définitives.
Autant j’ai étais fan de réalisateurs/animateurs qui passaient des dizaines d’années sur un seul court métrage, autant aujourd’hui, je me poses sans cesse la question de la légitimité de tel part pris. Ça soulève plein de question qui dépasse même le domaine créatif. Et je ne sais pas si le spectateur lambda, lui, est sensible à ce genre d’arguments.
Sinon très bien l’interview.

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