Scan 3D

Dégustations antiques : création de moules par photogrammétrie et impression 3D

Moules

Traitement des photos et reconstruction

Une fois les photos prises, place au post-traitement. Typiquement, je me contente de modifications très mineures sous Adobe Lightroom Classic CC : correction des aberrations chromatiques si besoin (principalement si un objectif grand angle est utilisé), léger renforcement de la Clarté (il s’agit d’un paramètre qui accentue les micro-contraste), ajustement de la température de couleur si nécessaire (si l’on souhaite une texture et que la température de prise de vue ne convient pas, ou si la durée de prise de vue fait que la couleur a varié).
Il n’est pas recommandé de corriger les déformations de l’objectif à ce stade : les outils de photogrammétrie risqueraient d’en être perturbés.

Les photos sont ensuite exportées, typiquement en TIFF – 16 bits par couche (vérifiez bien si ce dernier point est utile : certains logiciels de photogrammétrie travaillent 8 bits par couche et vous ne feriez que gaspiller de l’espace de stockage).

Enfin, dans certains cas je crée des masques : une couche alpha ajoutée à chaque image qui sera chargée dans l’outil de photogrammétrie pour lui indiquer de ne pas se préoccuper des zones inintéressantes (comme les zones floues, ou les zones hors du sujet du scan).

Une approche automatique est assez efficace : j’ai créé une Action sous Photoshop CC qui définit la zone de netteté (Menu Sélection – Zone de mise au Point), puis duplique la sélection dans une nouvelle couche pour donner le masque.
Cette méthode, fonctionne relativement bien, et peut éventuellement être complétée par des retouches manuelles si nécessaires (Metashape, par exemple, permet d’afficher et d’éditer les masques).

J’ai travaillé, sous RealityCapture et Metashape pour la reconstruction : je disposais d’une licence temporaire RealityCapture pour le début du projet. Après expiration de la licence, je suis repassé sous Photoscan, bien moins onéreux mais plus lent sur ce type de scan.

En pratique, RealityCapture ne semblait pas trop gêné par l’absence de masques ; Metashape en revanche semble préférer les avoir.
Je ne reviendrai pas en détail sur le travail sur ces outils : j’ai employé un workflow standard, et me suis contenté de nettoyer sommairement les scans obtenus.

Photoscan

Une astuce utile, toutefois. Metashape permet de vérifier la qualité des photos : dans l’onglet photos, passez en vue « détails » puis cliquez droit sur un cliché, « estimer la qualité d’image », « tous les clichés ». La colonne « Qualité » affichera alors un nombre entre 0 et 1 d’autant plus haut que la qualité estimée est élevée. Cliquez sur la colonne pour trier par qualité croissante : les notes les plus basses correspondent souvent à des clichés totalement flous (flou de bougé, mise au point ratée). Double-cliquez sur les photos pour le vérifier, et si nécessaire, un clic droit permettra d’utiliser la commande « désactiver la caméra » : une photo de qualité médiocre ne fera qu’empirer le résultat.

Cette approche permet de gagner un temps précieux : elle évite de passer en revue tous les clichés.

Dernier point : les reflets sur les photos ne semblent pas avoir trop perturbé la reconstruction. Evidemment, un accès aux objets sans vitrine aurait toutefois été préférable.

Ci-dessus : exemple de scan 3D sous Agisoft Metashape, avec les masques générés automatiquement visibles à droite. Les zones noires correspondent au fond de la vitrine et aux éléments flous.

Photoscan

Meshmixer

Ci-dessus : à ce stade du projet, une surprise : le visage du moule féminin est relativement bien reconstruit, et le modèle fait même apparaître un turban sur la tête du personnage, alors que cet accessoire était si peu visible sur le moule réel que je ne l’avais pas remarqué !

Autodesk Meshmixer : puissant malgré des limitations

Après reconstruction sous Metashape ou RealityCapture, on obtient donc, si tout va bien, un scan de la surface intérieure du moule. Reste désormais à créer le moule proprement dit.

J’ai profité de ce projet pour expérimenter avec Autodesk Meshmixer, un outil gratuit pensé pour l’impression 3D. Il permet de nettoyer les modèles, propose des outils de sculpture, de déformation ou encore des outils booléens.

Sous Meshmixer, j’ai donc créé les modèles utilisés pour les moules, avec deux approches opposées :

– pour créer des moules en silicone, il fallait modéliser un négatif : un modèle 3D correspondant en quelque sorte à un gâteau moulé et non au moule lui-même. Ce « négatif » serait ensuite imprimé pour pouvoir verser du silicone dessus, et ainsi créer un moule.
J’ai inversé les normales de la surface scannée, puis utilisé un plan pour trancher le modèle et créer une base plane.
Il a fallu corriger certains défauts majeurs : éclats importants pour les rebords du moule avec les animaux, trous trop profonds au niveau du motif qui poseraient problème à l’usage.

J’ai cependant volontairement gardé un résultat proche des originaux, en atténuant certains défauts bloquants mais sans les supprimer. Cela signifie par exemple que j’ai volontairement laissé sur le moule avec motif géométrique une marque de restauration qui indique que le moule a autrefois été brisé.

Vu la finesse des modèles, je n’ai pas cherché à les évider pour économiser du matériau lors de l’impression.

– pour créer le moule en céramique, inutile de passer en « négatif » : c’est directement le moule final qui est imprimé. J’ai extrudé un volume sous la surface scannée, puis sommairement créé des chanfreins dans les coins.
La surface externe du modèle final est très loin d’être parfaite et l’extrusion a généré bien plus de polygones que le strict nécessaire, mais un nettoyage approfondi s’avérait inutile pour l’impression, d’autant que la glaçure atténuerait les détails fins.

Des corrections sur le modèle ont tout de même été nécessaires, principalement dans les zones mal scannées en raison des ombres ou du manque d’accessibilité (plante des pieds, certains détails de la tête). J’ai par ailleurs fortement rectifié et remonté un coin cassé du moule, pour le rendre plus pratique à utiliser. Il a aussi fallu veiller à ce que l’épaisseur des parois soit suffisante : le système d’analyse des défauts du service d’impression 3D Shapeways a été très utile.

Comme l’objectif était dès le départ de faire une impression en céramique, je n’ai pas évidé le modèle : sur ce type de matériau, c’est surtout la surface d’émail qui influe sur le tarif final, bien plus que le volume de céramique.

Défauts

Ci-dessus : entourés en rouge, les défauts mis en avant par Shapeways lors de son analyse : les zones en jaune et rouge risquent d’être mal imprimées, il est donc recommandé d’épaissir les parois.

Au final, Meshmixer est un outil assez puissant, mais qui souffre d’un gros manque d’optimisation pour les modèles très lourds comme ceux de ce projet. Une solution aurait été d’alléger les modèles 3D : vu la taille des impressions et les techniques de création des moules, la finesse des scans obtenus dépasse de loin les besoins réels.

Après ces travaux sous Meshmixer, les commandes ont été passées sur des services d’impression 3D en ligne (i.materialise et Shapeways), en comparant les tarifs sur chaque type de matériau : n’hésitez pas à le faire pour des projets de ce type, les écarts sont significatifs.
Peu de temps après réception du moule, Shapeways a stoppé la production d’impressions 3D en céramique. Comme nous l’avions indiqué dans les actualités lors de cet arrêt, il semble malheureusement que tous les principaux sites d’impression 3D en ligne aient abandonné ce processus qui nécessite beaucoup de main d’oeuvre.

Meshmixer

Ci-dessus, un aperçu du modèle issu du scan du moules avec animaux, sous Meshmixer. A ce stade, l’empreinte a déjà été inversée pour donner un modèle en positif.
La majorité des « défauts » n’en sont pas : la bosse entre les pattes du caprins en haut à gauche, la déformation sur la patte du bovidé, sous l’épaule, correspondent à des détails présents sur le moule d’origine. Il s’agit de trous et craquelures.

Ci-dessous : un exemple de défaut à corriger : au centre de l’image, la reconstruction du rebord du moule a engendré une zone bruitée caractéristiques, avec des creux et bosses. Il faudra la lisser avant impression 3D.

Meshmixer

Moules et essais

Enfin, les commandes ont été reçues. Aucun problème à signaler : les délais annoncés ont été respectés et l’emballage soigné.
La taille retenue, environ une dizaine de cm de côté, a été choisie pour éviter de faire grimper les tarifs.
Les originaux sont bien plus grands : environ 22cm de large environ pour le moule avec des animaux, un peu moins de 30cm de diamètre pour les moules ronds, 24cm pour le moule orné d’une représentation féminine.

Pour les moules en silicone, j’ai choisi un matériau peu onéreux (Polyamide en technique SLS, sans post-traitement).
Techniquement, ce matériau n’est pas censé être apte au contact alimentaire, d’autant qu’il est poreux. Toutefois, puisque c’est le moule en silicone et non l’objet qui est employé, je ne pense pas qu’il y ait de problème majeur. J’ai bien évidemment travaillé les mains propres et lavé les moules soigneusement avant usage.

Pour le silicone, mon choix s’est porté sur un matériau spécifiquement pensé pour du contact alimentaire (Wagnersil 26 LE). Il se trouve facilement sur Amazon, entre autres, pour environ 36€ le kilo. Son seul défaut : la notice, en anglais approximatif et en allemand uniquement.
Le matériau est stocké sous forme liquide dans deux bidons : une fois les liquides mélangés, ils vont doucement se solidifier.

Lorsque le silicone a suffisamment durci, on démoule puis on passe le silicone au four en suivant les instructions du fabricant (4 heures à 200°C : il s’agit a priori d’éliminer certains composants volatiles).
Enfin, on peut laver le moule et l’utiliser. Il supporte 200°C sur de longues durées, jusqu’à 250°C pour de très courtes périodes.

Il est à noter que la création du moule ne nécessite pas la destruction des impressions 3D, ce qui permet d’envisager de multiples tirages et une économie d’échelle.

Impressions 3D

Ci-dessous, les moules finalisés. Les petits points sont des bulles de petite taille, probablement causées par une mauvaise manipulation lors du mélange et de l’application du silicone. Le silicone a coulé sous les rebords des impressions 3D, d’où des bavures que l’on peut éliminer avec des ciseaux. Le résultat n’est pas forcément esthétique, mais très fonctionnel.

MouleMoules

J’ai bien entendu fait plusieurs essais avec les moules en silicone. Les plats de type entremet/gelée gardent les moindre détails du moule. Du biscuit donne également un bon rendu, quitte à précuire la pâte dans le moule puis à repasser le biscuit démoulé au four pour dorer la face supérieure.

Le chocolat convient moins : comme les modèles ont été imprimés dans un matériau poreux, le silicone n’est pas totalement lisse, et le chocolat moulé ne brille pas. Utiliser des modèles imprimés en résine ou ayant subi un traitement pour les lisser, serait sans doute une option.

Aliments

Moule

Pour le moule en céramique, rien à faire si ce n’est ouvrir le colis et nettoyer l’impression avant usage. Le moule est visible ci-contre. La glaçure fait perdre quelques détails par rapport à l’impression, mais souligne les reliefs. En outre, le résultat est bien plus esthétique qu’un simple moule en silicone.

Ce moule en céramique était en fait une commande d’une amie, NinniZaza / Museolepse sur YouTube et Twitter. Elle est doctorante en histoire de l’art et spécialiste de la Mésopotamie antique, museogeek, créatrice de la marque Gamethread.

 

Sa démarche s’est aventurée dans l’expérimentation culinaire, puisqu’elle a tenté de s’inspirer de ce que l’on sait de la cuisine de la civilisation dont sont issus ces moules, et a voulu reproduire la recette d’une spécialité de l’époque, le mersu. Elle évoque son travail dans la vidéo ci-dessous.

Conclusion

Bien entendu, les résultats obtenus pourraient être améliorés, en particulier si une collaboration était mise en place avec le Louvre. Une prise de vue avec accès privilégié (autorisation d’utilisation de trépied, ou objet placé sur un plateau tournant avec éclairage contrôlé) donnerait de meilleurs résultats.

Reste que les moules obtenus dépassent de loin mes espérances lors du lancement du projet. Les progrès de la photogrammétrie et des appareils numériques ces dernières années ont véritablement permis d’envisager de nouveaux usages.
Au vu des résultats obtenus sur les premiers moules, j’ai poursuivi la démarche sur d’autres artefacts, visibles ci-dessous. Les résultats ne sont pas toujours parfaits mais sont suffisants pour envisager, là aussi, un usage pour créer des moules physiques.

Si ce projet avait avant tout un but purement ludique, il a trouvé un écho très favorable. En partageant les expérimentations sur les réseaux sociaux, j’ai vite réalisé que le grand public était intéressé. Ce fut aussi le cas de spécialistes (milieu de l’histoire, des musées, notamment) : la démarche d’appropriation des oeuvres lors d’une visite et l’expérimentation sans mise en danger des artefacts les ont sans doute séduits.

Enfin, il est évident que le résultat très concret rend la démarche plus attractive qu’un simple scan 3D.

Au vu de cet intérêt, j’ai décidé de proposer les modèles employés au téléchargement sur Sketchfab, sous licence Creative Commons (avec attribution et sans usage commercial). Vous êtes donc libres de créer vos propres moules et de modifier les modèles si vous le désirez.

Pour les personnes qui souhaiteraient se lancer dans la photogrammétrie dans les musées, 3DF Zephyr Free est une bonne approche dans un premier temps : le logiciel est gratuit, mais limité à 50 photos par projet.
Meshroom est de son côté totalement gratuit, mais son interface pourra dérouter les débutants. N’hésitez pas à vous appuyer sur des tutoriels.
Metashape reste accessible financièrement aux particuliers passionnés, mais je recommande de tester la version démo avant d’ouvrir le porte-monnaie.

Nos articles sur comment débuter en photogrammétrie et sur les bases de Metashape  (anciennement Photoscan) pourront aussi vous aider.

Ci-dessous : l’ensemble des scans réalisés. Les derniers sont des scans bruts, volontairement mis en ligne avec un nombre élevé de polygones (plusieurs millions) pour permettre d’éventuelles impressions grand format.
La visualisation peut donc prendre du temps à charger.

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