Cette semaine sort dans les salles françaises le film d’animation Funan, réalisé par Denis Do. Il est donc enfin visible par le grand public après avoir reçu un accueil triomphal à Annecy, tant de la part des accrédités que du jury, qui lui a décerné le Cristal du Meilleur Long-Métrage.
Funan, c’est avant tout une histoire très personnelle. Celle de la survie d’une jeune femme cambodgienne alors que la révolution Khmère rouge éclate et prend tout le pays dans sa tourmente, de la lutte de cette dernière pour tenter de retrouver son fils de 4 ans, arraché par le régime durant le départ forcé de la capitale Phnom Penh.
Si Denis Do connaît bien cette histoire, c’est qu’elle est tirée (avec évidemment une part de fiction) du vécu de sa mère et de son grand frère. Un récit qu’elle a partagé avec lui depuis son enfance, et qu’il porte donc ici à l’écran.
Cette proximité, et même cette intimité du récit expliquent à la fois son fond et sa forme.
Le fond, tout d’abord : Denis Do ne cherche pas ici à proposer une vision documentaire globale du régime, préférant se concentrer sur l’humain, le quotidien. On assiste donc aux actes anodins en apparence qui permettent de retranscrire le vécu sous le régime Khmer : le travail dans les rizières, la nourriture qui manque cruellement, la maladie, les renoncements successifs mais aussi la volonté de survivre.
Dans la forme, ensuite. La caméra évite ici de montrer directement les éléments les plus atroces du récit. Si certains y voient une obligation liée à la contrainte de ne pas couper le film du jeune public, il nous semble plutôt qu’il s’agit ici d’une forme de pudeur. Ce que confirme le réalisateur dans ses interviews. Les actes ne sont d’ailleurs pas escamotés : le son, les regards expriment clairement, mais indirectement, cette violence.
Sur le plan esthétique, Funan adopte une patte graphique très minimaliste : les personnages se limitent ainsi souvent à des aplats et des lignes de contour, sans gestion complexe de l’éclairage. L’animation se charge ensuite de donner du relief aux protagonistes, grâce notamment aux visages très expressifs.
Les décors, eux, font la part belle à la végétation luxuriante qui contraste violemment avec l’horreur des évènements.
Le récit personnel de Denis Do et son traitement ont permis à Funan de s’éloigner de ses prédécesseurs : il est par exemple loin d’une oeuvre comme La Déchirure –The Killing Fields en VO-, film britannique de Roland Joffé sorti en 1984 qui proposait un regard plus global et des points de vue plus occidentaux. Loin également du terrifiant documentaire franco-cambodgien S-21, la machine de mort Khmère rouge (2003), documentaire de Rithy Panh sur la terrible prison S-21, au coeur du régime.
Funan apporte un un point de vue différent et donc complémentaire des autres films évoquant cette même période sombre. Son approche empathique incitera, on l’espère, les spectateurs et spectatrices à se renseigner davantage sur un génocide souvent méconnu en occident.
Nous vous invitons donc grandement à aller voir ce film. On regrettera à ce sujet la distribution malheureusement assez limitée : le projet mériterait d’être davantage mis en avant.
Denis Do, au centre, lors de la projection du film au Festival d’Annecy 2018. A sa droite, l’actrice Bérénice Bejo (qui interprète le personnage principal), le producteur Sébastien Onomo et enfin David Grumbach, producteur et distributeur.
En complément de notre critique, nous vous invitons à découvrir deux interviews vidéo réalisées par l’équipe organisatrice du Festival d’Annecy, l’an passé.
– Dans la première, Denis Do évoque des éléments tels que la transmission du vécu de sa mère, mais aussi le choix d’inclure des artistes cambodgiens dans la fabrication du film. Un choix qui comme l’explique Denis Do faisait sens, dans une démarche de réappropriation de leur propre histoire par les cambodgiens.
– La seconde interview a été réalisée après le remise du Cristal du meilleur long-métrage. Denis Do est ici accompagné par Sébastien Onomo, producteur du film.
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