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Annecy 2018 : Another Day of Life, animer pour ne pas oublier

Another Day of Life

A l’occasion du Festival d’Annecy, Platige Image présentait un projet pour le moins atypique : Another Day of Life, un long-métrage produit avec Kanaki Films, sur les débuts de la guerre civile en Angola dans les années 70.

Le film est centré sur le parcours du journaliste polonais Ryszard Kapuscinski, qui était sur place à l’époque. Il est d’ailleurs l’auteur du livre D’une guerre à l’autre, qui raconte le début de ce conflit meurtrier (plus de 500 000 morts).
Le choix peut évidemment surprendre au premier abord : le film aurait pu prendre comme protagoniste principal un des acteurs du conflit, plutôt qu’un observateur occidental. La décision se justifie néamoins à plusieurs titres. Tout d’abord, Kapuscinski fut un témoin de premier plan, désireux de voir le front et de ne pas rester en arrière. D’autre part, il a lui-même été acteur du conflit, comme nous allons le voir. Un point qui permet d’ailleurs au film de créer un questionnement sur le métier même de journaliste.

Concrètement, Another Day Of Life adopte un parti pris esthétique qui nous a dérouté au premier abord : il mêle animation 3D (en partie réalisée en motion capture) pour la partie se situant dans les années 70 mais aussi images d’archives, images d’illustration et interviews récentes de protagonistes du conflit. La décision n’est pas sans provoquer quelques dissonances, par exemple lors de l’évocation de fêtes des années 70 par des images filmées récemment : l’irruption à l’écran de smartphones tranche avec les propos ancrés dans le passé.
Néanmoins, ce choix esthétique prend tout son sens lorsque les extraits d’interviews commencent à faire leur apparition. Les personnages vu quelques secondes plus tôt en animation reviennent alors en chair et en os sur leurs actions de l’époque, comme une voix intérieure qui complèterait la partie animée en explicitant motivations et ressentis.

Another Day of Life
De gauche à droite : les réalisateurs Damian Nenow et Raúl de la Fuente accompagnés du producteur Jarek Sawko, lors de la projection du film à Annecy.

Le scénario, lui, suit de façon chronologique les évènements tragiques de l’indépendance angolaise. Alors que le jour de la fin de la domination portugaise approche, plusieurs mouvements prennent les armes. Les deux principaux sont le MPLA, soutenu activement par l’URSS et Cuba, et d’autre part l’UNITA, qui bénéficie de l’appui des USA, du Royaume-Uni et de l’Afrique du Sud. Aux visions politiques opposées s’ajoutent des différences de développement économique et des divisions ethniques, qui ne font que renforcer les fractures.

Ryszard Kapuscinski, d’abord en poste au coeur de la capitale Luanda, décide rapidement de foncer droit au Sud, vers le front. Tandis que le chaos et l’incertitude gagnent de l’ampleur, il croise différents membres du MPLA, assiste aux atrocités du conflit.

Pour représenter ces dernières, les réalisateurs  Raúl de la Fuente et Damian Nenow ont utilisé plusieurs outils. Tout d’abord, la représentation frontale en animation, renforcée par un sound design qui ne laisse aucun doute : les balles fusent, mais nous sommes ici dans un film de guerre et non un blockbuster. Chaque tir peut tuer.
Raúl de la Fuente et Damian Nenow font également appel à des images d’archives, dont quelques extraits visuellement difficiles. Enfin, ils convoquent en animation une imagerie surréaliste que l’on aperçoit brièvement dans la bande-annonce. Terrain qui se morcèle, irruption de tanks sortis du sol : l’effet nous a rappelé les séquences oniriques de certains jeux vidéo, comme les derniers Far Cry. L’idée est bonne : elle permet d’évoquer des scènes de guerre sans pour autant les représenter directement, et de matérialiser la déchirure produite par le conflit. Elle appuie également les émotions du personnage principal.

Another Day of Life

Ces émotions, le spectateur les ressent également au travers de la focalisation sur le MPLA, pour lequel Ryszard Kapuscinski avait clairement une certaine sympathie. Si certains pourront être rebutés par son parti pris politique, le film ne masque pas pour autant le fait que des atrocités ont été commises dans les deux camps.
L’affinité de Kapuscinski pose en outre un questionnement sur le métier même de journaliste : quelle distance un reporter de guerre doit-il avoir de ses sujets ? Un journaliste peut-il intervenir concrètement dans le déroulement d’une guerre, et si oui comment ? L’inaction n’est-elle pas elle aussi une intervention ? Si certains vont jusqu’à prendre les armes, Ryszard Kapuscinski se retrouve dans le film confronté à un terrible dilemme : envoyer à son agence un scoop énorme, ou retarder son annonce pour influer directement sur les décisions des puissances étrangères, et donc sur l’issue du conflit. Une décision d’autant plus difficile à prendre qu’il sait que quel que soit son choix, il aura une influence sur le cours de la guerre.

Another Day of Life

Another Day of Life, enfin, est aussi le reflet d’une amertume. Celui d’un mouvement de libération qui avançait vouloir mettre en place une société plus juste et plus égalitaire après l’effondrement du système colonial. Des idéaux qui, quelques décennies plus tard, ont échoué à se concrétiser.

Malgré ses choix artistiques parfois déroutants et ses imperfections, Another Day of Life a réussi son pari : faire en sorte de nous replonger dans un des conflits les plus meurtriers de l’indépendance des anciennes colonies africaines, mais aussi et surtout nous rappeler l’existence de certains de ses protagonistes.
Le public d’Annecy ne s’y est pas trompé, et a accordé une standing ovation au long-métrage.

Another Day of Life sortira en décembre dans les salles françaises.

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