Joe Letteri lors du dernier Paris Images Digital Summit – Photo : 3DVF
Lors du dernier salon Paris Images Digital Summit qui s’est déroulé en fin janvier dernier, nous avons eu l’immense chance de passer un moment en compagnie du superviseur VFX Senior Joe Letteri. Considéré par beaucoup comme le Monsieur VFX du célèbre studio néo-zélandais Weta Digital, il a justement remporté lors de la précédente édition de l’évènement un Génie d’Honneur visant à célébrer sa carrière, et il a ajouté un autre trophée à son palmarès il y a quelques semaines lors de la dernière édition des VES Awards. De quoi compléter sa collection de prix (dont 4 Oscar).
Très tôt passionné d’images et de sciences, il a commencé sa carrière chez ILM sur des projets désormais cultes comme le film Abyss et la fameuse séquence du visage liquide ou encore les dinosaures numériques de Jurassic Park (au côté de Denis Murren que nous avions rencontré il y a 2 ans). Après quelques autres projets en Californie, Peter Jackson lui propose en 2002 de rejoindre le studio Weta Digital pour travailler sur le second volet de l’ambitieuse trilogie Lord of the Rings. Il y restera jusqu’à aujourd’hui, avec les nombreux succès que l’on connaît : King Kong, The Hobbit, Avatar, La Planète des Singes, Le Livre de la Jungle.
Comme toujours, ce genre de rencontre se fait trop fugacement et l’organisation serrée de ce genre de salon ne permet pas de passer le temps qu’il faudrait pour aller au fond des choses, mais nous espérons néanmoins que cette interview de 10 minutes vous aidera à y voir plus clair sur son travail, sa démarche, et vous rendra curieux d’en savoir plus sur l’un des plus talentueux superviseurs VFX de ces 20 dernières années.
Vous trouverez par ailleurs sous la vidéo des informations plus techniques, issues de la conférence donnée par Joe Letteri lors du Paris Images Digital Summit.
3DVF Interview – Joe Letteri, Senion VFX Supervisor – Weta Digital from 3DVF on Vimeo.
Lors de sa masterclass, Joe Letteri s’est focalisé sur La Planète des Singes : Suprématie et les évolutions artistiques et techniques au cours de la saga.
En modélisation, tout d’abord : même si les modèles de base ont pu être réemployés, ils ont évolué au fil des films, et pas uniquement pour figurer le vieillissement des grands singes virtuels. Le museau de Caesar s’est fait plus court pour faciliter le travail d’élocution ; les rides ont été retravaillées et détaillées pour affiner les émotions. L’anatomie est parfois laissée de côté : le « bad ape » de La Planète des Singes : Suprématie n’a pas grand chose à voir avec les vrais chimpanzés.
Joe Letteri en compagnie des superviseurs Phil Tippett et Christian Guillon et du réalisateur Costa-Gavras au dernier Paris Images Digital Summit
Crédit : Xavier Granet.
Du côté de la motion capture, les équipements ont été grandement améliorés. Les contraintes vécues durant le tournage de La Planète des singes : Les Origines ont été éliminées dès La Planète des singes : L’Affrontement avec un matériel plus léger, moins sensible aux éléments et avec moins de câbles. Pour La Planète des Singes : Suprématie, la résistance à la pluie et la neige a été encore accentuée.
Ceci étant dit, la performance capture n’est qu’une première étape, a souligné Joe Letteri. C’est l’équipe d’animation qui reste essentielle pour corriger la longueur des membres, jouer sur l’emplacement des poches de gras sous la peau pour remplacer les sourcils inexistants des grands singes, faire en sorte d’avoir un résultat compréhensible par le public sans pour autant tomber dans un effet d’humain en costume. Le retiming est un autre outil clé de ce processus créatif. Un énorme travail manuel est donc nécessaire pour aboutir à l’animation telle qu’on peut la voir sur grand écran. De l’aveu même de Letteri, la performance capture est bien souvent utilisée comme référence dont est tirée une animation keyframe classique.
Autre défi technique : la forêt de La Planète des Singes : Suprématie, surprenante de réalisme. Le secret ? Les artistes de Weta Digital ont employé un nouvel outil maison, Totara, qui permet de simuler la croissance naturelle des plantes. Après avoir planté des arbres, ils ont simulé un siècle d’évolution avant de rajouter une couche de neige : de quoi aboutir à un ensemble bien plus réaliste que ce qu’un artiste pourrait créer avec des outils de dispersion classique.
Le rendu est bien évidemment lui aussi un élément crucial. Weta a mis en place un ensemble d’éléments avancés dans son pipeline, rassemblés sous le nom PhysLight. Le concept central est l’élimination de l’approche classique R, G et B qui se révèle insuffisante dans bien des cas, et notamment pour le rendu ultra-réaliste de poils translucides. Weta a basculé sur un système spectral qui échantillonne l’ensemble du spectre de la lumière visible.
L’avantage de cet effort est que le studio est désormais capable de simuler précisément une caméra réelle : réponse en ISO, filtres ND (gris neutre), réponse du capteur… Des avancées indispensables dans le troisième volet de la saga, qui comporte de très nombreux gros plans.
Vous l’aurez compris dans notre interview, Joe Letteri adore manifestement cette quête vers le réalisme, cette découverte perpétuelle de nouveaux outils. Il a d’ailleurs précisé avec malice que beaucoup de chemin restait encore à faire, et qu’il avait trois films Avatar pour s’améliorer. Nous aurons donc l’occasion de plonger à nouveau dans son travail au cours des mois et années à venir.
D’ici là, si vous souhaitez en savoir plus sur le studio Weta Digital, nous vous invitons à consulter l’ouvrage publié pour les 20 ans du studio, dont nous vous avions proposé une critique.